Finalisme

Finalisme

Le finalisme est une option théorique qui affirme l'existence d'une cause finale de l'univers, de la nature ou de l'humanité. Elle présuppose un dessein, un but ultime, une signification, immanents ou transcendants, présents dès leur origine. Le finalisme se retrouve souvent dans l'évocation de processus d'évolution biologique, dont le « but final » serait par exemple l'apparition de l'espèce humaine.

Cette perspective est aussi dite téléologique.

Le finalisme s'oppose au mécanisme.

Sommaire

Philosophie antique et scolastique

En raison du principe de l'antériorité (au moins logique, sinon chronologique) de la cause par rapport à ses effets, la question des causes finales à l'œuvre dans la nature touche de près à celle de l'existence de Dieu ; c'est pourquoi elle est si débattue. Pour Aristote, le Premier moteur meut l'univers tout entier en tant que cause finale. C'est une application de sa théorie des quatre causes de la substance.

Le finalisme a été critiqué dans l'antiquité par les matérialistes tels qu'Épicure ou Lucrèce : expliquer les phénomènes par leur fin paraît contraire au bon sens , puisqu'une cause précède ses effets. Ainsi pour Lucrèce, ce n'est pas la fonction qui crée l'organe, mais l'organe qui crée la fonction : ce n'est pas la vue qui fait que l'on a des yeux, mais les yeux qui permettent la vue.

Nourrie d'Aristote, la philosophie scolastique répond à l'objection mécaniste par le moyen de la formule « Finis est prima in intentione, ultima in executione », qui concilie déterminisme et finalisme : la fin est première dans l'intention, ultime dans l'exécution. Ultime dans l'exécution : c'est bien parce que les éléments qui forment l'œil sont disposés de manière adéquate qu'il y a vue (déterminisme). Première dans l'intention : la structure de l'œil et son adéquation à la nature de la lumière supposent une intention ordonnatrice, et donc une Pensée préalable (finalisme), car ce n'est qu'en tant que conçue que la fin peut être une cause antérieure à ses effets.

Discussion du finalisme à l'époque moderne

C'est sur le finalisme que repose l'argument classique en faveur de l'existence de Dieu fondé sur l'ordre du monde, qui met pour une fois Bossuet et Voltaire d'accord. Le premier écrivait : « Tout ce qui montre de l'ordre, des proportions bien prises, des moyens propres à obtenir certains effets, montre aussi une intention, un dessein préconçu, et par suite une cause intelligente ; or le monde est une œuvre où éclatent partout l'ordre le plus admirable, les dispositions les mieux prises ; donc il est l'œuvre d'une cause intelligente ». Et l'on connaît les vers du second : L'univers m'embarrasse et je ne puis songer / Que cette horloge existe et n'ait pas d'horloger.

L'ordre, en effet, peut être défini comme une finalité interne à ce qui est ordonné. L'horloger qui fabrique deux engrenages A et B destinés à fonctionner ensemble les fabrique l'un pour l'autre. L'engrenage B est présent à sa pensée pendant qu'il fabrique le A, comme cause finale de la forme de ce dernier. Donc le bon fonctionnement commun des engrenages A et B suppose la pensée d'un horloger.

Spinoza a critiqué le finalisme au XVIIe s. notamment dans l'appendice à la première partie de Éthique, par un argument propre à sa philosophie selon laquelle le monde et l'être supreme ne se distinguent pas : si l'être suprême poursuivait des finalités, alors il ne serait pas suprême. En effet, l'être suprême est absolument infini or seul un être fini ne se suffit pas à lui-même et doit donc chercher hors de son état initial ce qui serait susceptible de le compléter. Par ailleurs, ce philosophe se propose aussi d'expliquer les causes de la croyance selon laquelle des finalités qui nous dépassent seraient à l'œuvre dans la nature : c'est par ignorance des causes réelles qui déterminent les phénomènes naturels et parce qu'ils se connaissent uniquement comme cherchant ce qui leur est utile, que les hommes croient connaître quelque chose quand ils en ont imaginé une cause finale. Le finalisme repose sur l'idée qu'il existerait une volonté comparable à celle de l'homme ayant organisé toutes choses dans la nature pour son utilité. Or tout ce qui existe dans la nature n'existe qu'en tant que façon d'être de Dieu, autrement dit mode de la substance absolument infinie. Rien ne peut donc être déterminé par des causes finales. Autrement ce serait considérer Dieu comme imparfait, manquant de quelque chose puisqu'il aurait besoin de la réalisation de ces fins pour son utilité.

Donc, le finalisme est incompatible avec le panthéisme : si le fonctionnement et le développement de l'univers s'expliquent par une pensée suprême recherchant des effets, il faut qu'elle soit transcendante (et non immanente) à celui-ci, visant des fins pour l'univers et non pour elle-même.

Pour Kant (notamment dans la Critique de la faculté de juger, § 75) nous ne pouvons considérer l'ordre du monde sans y associer l'idée d'une finalité objective et donc d'une cause intelligente, qu'on appelle communément Dieu. C'est vrai de tout esprit humain. Mais justement, ce n'est vrai que de l'esprit humain, car cette conception tient aux conditions propres à la connaissance humaine. On ne sait pas ce qu'il en est en soi, du point de vue de la réalité nouménale. Ce point de vue s'inscrit dans le cadre général du criticisme kantien, et l'on peut lui opposer les objections classiquement faites à ce dernier ; notamment le fait que Kant soit obligé de faire un usage transcendant de l'entendement humain pour nier qu'un tel usage soit possible.

Science et finalisme

On distingue classiquement finalité extrinsèque et intrinsèque.

La finalité extrinsèque vise à rendre compte de l'adéquation des êtres naturels entre eux. Elle peut aboutir à un finalisme simpliste, que Bernardin de Saint-Pierre a exprimé de la manière la plus naïve et caricaturale :

« Il n’y a pas moins de convenance dans les formes et les grosseurs des fruits. Il y en a beaucoup qui sont taillés pour la bouche de l'homme, comme les cerises et les prunes ; d’autres pour sa main, comme les poires et les pommes ; d’autres beaucoup plus gros comme les melons, sont divisés par côtes et semblent destinés à être mangés en famille : il y en a même aux Indes, comme le jacq, et chez nous, la citrouille qu’on pourrait partager avec ses voisins. La nature paraît avoir suivi les mêmes proportions dans les diverses grosseurs des fruits destinés à nourrir l'homme, que dans la grandeur des feuilles qui devaient lui donner de l’ombre dans les pays chauds ; car elle y en a taillé pour abriter une seule personne, une famille entière, et tous les habitants du même hameau. » (Études de la nature, ch. XI, sec. Harmonies végétales des plantes avec l'homme, 1784).

Pierre Teilhard de Chardin, par exemple, est en quelque manière l'héritier de cette conception. Son finalisme religieux conçoit l'évolution de l'univers comme un mouvement ascendant et convergent de la nature vers Dieu en passant par l'homme. Dans sa théorie, contrairement à l'option mécaniste, l'humanité n'est pas issue du hasard, mais d'un dessein intelligent à l'œuvre dans l'évolution. La fin selon Teilhard est l'avènement du « Christ Cosmique » au « Point Oméga ».

Le principe anthropique repose aussi sur la considération de la finalité extrinsèque.


La finalité intrinsèque est l'organisation interne des éléments naturels, qui leur permet de persister dans l'être et d'agir par un concours ordonné de causalités intérieures. C'est particulièrement frappant pour les êtres vivants, dont on ne cesse de d'approfondir la complexité depuis une cinquantaine d'années. C'est pourquoi la biologie est aujourd'hui le principal des champs de bataille opposant finalistes et mécanistes. Le mécanisme de la sélection naturelle est souvent considéré comme permettant de se passer d'une pensée ordonnatrice et donc d'une cause finale à l'œuvre dans le monde du vivant. Pourtant Darwin a inscrit initialement sa découverte dans le cadre d'une conception finaliste, comme en témoigne le dernier paragraphe de L'origine des espèces : « Le résultat direct de cette guerre de la nature, qui se traduit par la famine et par la mort, est donc le fait le plus admirable que nous puissions concevoir, à savoir : la production des animaux supérieurs. N’y a-t-il pas une véritable grandeur dans cette manière d’envisager la vie, avec ses puissances diverses attribuées primitivement par le Créateur à un petit nombre de formes, ou même à une seule ?  »


Il est quasi universellement admis que le finalisme est étranger aux préoccupations scientifiques. La science ne recherche pas les causes finales. Son domaine est le déterminisme, non le finalisme. Ainsi, la sélection naturelle (surtout complétée par les acquis de la génétique) décrit et explique au niveau scientifique le processus d'évolution. Mais la science n'est pas le seul mode légitime de connaissance, et la question de la finalité est un vrai problème philosophique.

La confusion entre les deux niveaux - aussi légitimes l'un que l'autre mais qui doivent être distingués - est à l'origine de bien des errements, entre autres dans le débat sur l' intelligent design. Ce n'est pas une théorie scientifique, beaucoup en conviennent, sauf ses tenants bien sûr. Mais la science n'a pas vocation à répondre aux questions ultimes, dont celle de la finalité fait partie.

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