Jean-Pierre Durand (sociologue)

Jean-Pierre Durand (sociologue)
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Jean-Pierre Durand, né en 1948, est un sociologue français. Professeur de sociologie à l'université d’Évry, il y dirige le centre Pierre-Naville. Spécialiste du travail et de l’entreprise, ses travaux portent aussi sur la sociologie générale.

Sommaire

Parcours

Il a d’abord travaillé sur le développement des pays du Sud, à l’île Maurice (1971-1972) et en Algérie (1973-1979), pays qui lui ont fourni les terrains d’analyse pour sa thèse de Doctorat de Sociologie (1973) et pour sa thèse d’Etat (1979) toutes deux préparées sous la direction de Louis-Vincent Thomas à l’Université de Paris V-Sorbonne. Lesquelles ont donné lieu à la publication de plusieurs ouvrages. Ceux sur l’Ile Maurice, publiés avec Joyce Sebag, ont servi très longtemps de textes de références aux étudiants et aux lycéens de Maurice ; celui écrit avec Habib Tengour, L’Algérie et ses populations traitait des questions économiques, politiques et culturelles sans aucun tabou : il a été épuisé en quelques semaines.

Depuis le début des années 80, les recherches de J.-P. Durand portent sur le travail dans différents secteurs d’activité. Il s’est intéressé très tôt aux transformations sociales liées à la généralisation des TIC (technologies de l’information et de la communication) dans l’espace domestique et dans l’espace de travail. D’où la création du Groupe de Recherche sur l’Informatisation de la Société (GRIS) à l’Université de Rouen où il a été maître de conférences puis professeur de sociologie de 1980 à 1991.

Il s’est ensuite intéressé durablement à l’industrie automobile, des phases de conception (avec les TIC) jusqu’au travail d’atelier, en étroite collaboration avec le GERPISA (Groupe de Recherche Permanent sur l’Industrie et les Salariés de l’Automobile). À partir du début des années 90, il a multiplié les séjours au Japon, aux États-Unis, en Corée, en Malaisie et dans la plupart des pays européens pour y comparer les ateliers de fabrication. La jeune Université d’Évry (Sud parisien) l’appelle en 1991 pour créer, en coopération avec les entreprises environnantes, l’un des premiers diplômes professionnalisés en Sociologie, le DESS Sciences de la Production et des Organisations. Il ouvre le cursus de Sociologie de la première année au Doctorat et crée le Centre Pierre Naville, du nom de ce sociologue qui su être savant autant qu’artiste en conservant une approche indépendante et critique de la société.

Les coopérations étrangères sont l’occasion d’observer finement les difficultés du modèle suédois (La fin du modèle suédois, 1994), les tentatives de dépassement des crises du syndicalisme dans les pays industrialisés (Le syndicalisme au futur, 1995) tout en théorisant l’émergence d’un modèle productif (L’Après-fordisme, 1993, avec Robert Boyer). Cette période d’intenses échanges internationaux donne lieu à un ouvrage collectif immédiatement traduit en anglais, comparant 27 ateliers de montage automobile à travers le monde (L’avenir du travail à la chaîne, 1998 ; Teamwork in the Automobile industry : Radical Change or Passing Fashion ?, 1998). L’affinement du travail de terrain, en collaboration avec Nicolas Hatzfeld, à travers une approche quasi ethnographique montre comment le travail d’OS de l’automobile est à la fois plus dur mais est rendu acceptable par tout un entrelacs de jeux sociaux (La chaîne et le réseau. , 2002, Traduit en anglais).

Ces travaux le conduisent à devenir Professeur invité à l’Université de Cardiff (Pays de Galles), puis de Bristol (Angleterre) et de Sterling (Écosse). Il a ensuite publié une synthèse de toutes ces recherches appliquées à différents secteurs dont les services (La chaîne invisible. Le travail aujourd’hui : du flux tendu à la servitude volontaire, 2004, bientôt publié à Londres et à Sao-Paulo). Ces recherches de terrain sur le travail ne l’ont pas empêché d’actualiser Sociologie contemporaine, un manuel publié avec Robert Weil pour la première fois en 1989 et devenu l’ouvrage de référence dans les universités françaises (traduit en chinois). La dernière version (2006) inclut une table ronde rassemblant les principaux sociologues de l’hexagone qui interrogent le statut de la Sociologie française par rapport au pouvoir, par rapport à sa professionnalisation et par rapport à la domination anglo-saxonne dans l’arène internationale.

La sociologie étant une science d’observation, elle mobilise un regard assez proche de celui du photographe. J.-P. Durand a longtemps hésité entre les deux métiers et a conservé la photographie comme seconde activité professionnelle. Il a travaillé longtemps pour des magazines publiés par Larousse, les Éditions Atlas (La Bible aujourd’hui), etc., pour les éditeurs scolaires ou universitaires. Il a rapporté de ses nombreux séjours et voyages à l’étranger de longues séries de photos pour l’agence Atlas Photo, puis pour l’agence Diaf avant son rachat par Photononstop pour laquelle il travaille aujourd’hui.

Thèses en débat

La sociologie du travail a trop tendance depuis deux décennies à ne s’intéresser qu’aux situations de travail (comprises dans le sens le plus étroit, c’est-à-dire le travail immédiat), aux activités de travail, aux interactions dans le travail : il s’agit bien au contraire de traiter ces objets dans leur contexte et de prendre en compte les transformations économiques (globalisation des échanges, financiarisation de l’économie) et les changements managériaux, sans omettre la généralisation des TIC. J.-P. Durand soutient l’hypothèse de l’émergence d’un modèle productif nouveau (sans désignation car trop récent) dont la cohérence des composantes explique son succès mondial :les variations nationales ou les trajectoires propres aux firmes s’inscrivent dans ce paradigme global.

Le fonctionnement de ce modèle productif émergent a été formalisé dans « Le nouveau modèle productif » (in Claude Durand et Alain Pichon, La nouvelle division du travail, Les éditions de l’Atelier, 1999). Il s’agit d’intégrer les apports de l’Ecole de la Régulation sans jamais omettre les tensions et les contradictions traversant le corps social. La relation salariale, composante essentielle du modèle précédent, a été aussi formalisée (Introduction à L’avenir du travail à la chaîne, 1998) à partir de ses quatre éléments essentiels : l’organisation du travail, les relations professionnelles, les rapports hiérarchiques et le système de rémunération. Lesquels se combinent en un régime de mobilisation plus ou moins efficace des salariés.

Selon J.-P. Durand, le retour à des gains de productivité conséquents depuis le milieu des années 90 ne tient pas tant à l’utilisation des TIC qu’à une réorganisation de la production et du travail. L’intégration de toutes les activités (la transversalité) dans la firme étendue (dite en réseau) a conduit à de nouvelles rationalisations managériales et à de nouvelles flexibilités productives. Plus encore, c’est la réorganisation du travail qui apparaît comme le cœur du dispositif. En premier lieu, le juste-à-temps ou flux tendu s’est généralisé (juste-à-temps dans l’industrie, grande distribution, fast-food, hôpitaux, plateformes aériennes, assurances et banques, etc.) comme en témoigne l’explosion des activités de logistique.

L’application du principe du flux tendu dans tous les secteurs d’activité a révolutionné le travail avec l’avènement du travail en groupe : la responsabilité collective du groupe conduit chacun à faire pression sur ses pairs pour atteindre les objectifs fixés. L’ambiance au travail s’est détériorée et le stress au travail est devenu plus que le harcèlement moral le lot de chacun alors que le nombre de suicides au travail ne cesse de croître. Enfin, un régime innovant de mobilisation des salariés cimente le tout : l’évaluation individuelle des comportements et des compétences pousse les salariés à une nouvelle normalité qui exclut en particulier l’activité syndicale et la revendication. La chaîne invisible (Le Seuil, 1984) et les articles postérieurs montrent l’imbrication de tous ces éléments et leur cohérence qui rendent le travail plus difficile et plus dur, en même temps qu’il devient plus acceptable par une mobilisation de la subjectivité de chacun.

Le débat entre les tenants du renforcement de la souffrance au travail (cf. Sociologie du travail, 2/2000 pour la controverse avec Christophe Dejours), et ceux qui pensent que les réorganisations ouvrent la voie à plus de responsabilités individuelles avec un épanouissement au travail n’est pas clos cf. le débat avec Philippe Zarifian dans Gérer et Comprendre, décembre 2000) . Surtout que ces questions ne sauraient être détachées de celles de l’emploi (et du chômage), du développement des formes dites atypiques de l’emploi et enfin de l’explosion des services, eux-mêmes de plus en plus industrialisés dans leur management.

Autant de thèmes enchevêtrés que la sociologie du travail et de l’emploi ne saurait ignorer et qui sont aussi débattus dans les Journées de Sociologie du Travail ou à l’Association française de Sociologie.

Bibliographie sélective

  • Sociologie contemporaine, Ed. Vigot, 1989, 3e édition 2006 (direction avec R. Weil, traduit en chinois).
  • Les ressorts de la mobilisation au travail, Octarès, 2005 (direction avec D. Linhart)
  • La chaîne invisible. Travailler aujourd'hui : du flux tendu à la servitude volontaire, Le Seuil, 2004.
  • La chaîne et le réseau. Peugeot-Sochaux, ambiances d'intérieur, Lausanne, Page 2, 2002 (avec N. Hatzfeld), traduit en anglais : Living Labour. Life on the line at Peugeot France, London, Palgrave-MacMillan, 2003.
  • L’avenir du travail à la chaîne. Une comparaison internationale dans l’industrie automobile, La Découverte, 1998 (direction avec P. Stewart et J.-J. Castillo), traduit en anglais : Teamwork in Automobile Industry : Radical Change or Passing Fashion ?, London, MacMillan, 1998.
  • L'Après Fordisme, Éditions Syros, 1993 et 1998 (avec R. Boyer, traduit en japonais et en anglais : After Fordism, MacMillan, 1996).
  • The Hidden Face of the Japanese Model, Monash Asia Institute, Clayton, Australia, 1996 (avec J. Sebag).
  • Le syndicalisme au futur, Éditions Syros, 1996.
  • Sociologie de Marx, La Découverte, 1995 (traduit en turc)
  • La fin du modèle suédois, Éditions Syros, 1994 .
  • Vers un nouveau modèle productif ? Éditions Syros, 1993 (dir.)
  • Sortie de Siècle. La France en mutation, Ed. Vigot, 1991 (direction avec F.-X. Merrien).

Films vidéo

  • Rêves de chaîne, Production Centre Pierre Naville, 2002 (film de 26' réalisé à NUMMI, coentreprise GM/Toyota, près de San Francisco). Version anglaise : Dream on line, 2003 (avec J. Sebag)
  • Nissan, une histoire de management, Production Centre Pierre Naville, 2004 (film réalisé à Tokyo dans les usines Nissan, avec des entretiens de la direction, des managers et d’ouvriers), avec J. Sebag

Liens externes


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