Jean de l'Ours

Jean de l'Ours
Jean de l'Ours

Jean de l'Ours est le nom le plus courant d'un personnage mythique, héros de nombreuses versions d'un conte populaire, recensé par Aarne-Thompson comme conte-type 301B. Il s'agit d'un être hybride, mi-humain, mi-animal, né d'une femme et d'un ours, et doté d'une force surhumaine qui lui permet de surmonter diverses épreuves. La « folklorisation » progressive de ses différentes versions a tendu à atténuer la nature fondamentalement duale et ambiguë du personnage, écartelé entre sa nature animale, sauvage, païenne voire satanique, et son humanité aspirant au spirituel et à la religion, pour en faire un gentil « nounours », héros positif. Dans des versions anciennes, Jean de l'Ours terrifie les gens par sa laideur et fait le mal sans le vouloir par sa force démesurée[1]. Des récits identiques sur le fond mettent en scène le fils[2] d'une jeune femme et d'un Maure ou Sarrasin, dernier survivant des anciens envahisseurs, sorte de brigand maléfique ayant perdu tout caractère humain ; le fils Mouret est amené à la rédemption par sa mère et l'amour d'une jeune fille. Mais, ailleurs, il finit par rejoindre son père dans le « côté sombre »[3]. Le thème de Jean de l'Ours est l'un des plus répandus dans le monde : son extension recouvre Europe, Asie occidentale, Russie (Ivachko-Ourseau et Ivanko-Ourseau), Inde, Chine, Afrique du Nord, anciennes colonies européennes, Indiens de l'Amérique du Nord[4].

Sommaire

Jean de l'Ours dans les Pyrénées

Dans la mythologie pyrénéenne, « Jean de l'Ours » est un des contes les plus connus. Alors qu'il disparaissait progressivement des forêts européennes, l'ours est demeuré très présent dans les Pyrénées en tant que fauve redouté, piégé, chassé, à la fois prédateur et proie. Paradoxalement, c'est le constat de sa disparition annoncée qui a retourné l'opinion générale en sa faveur. Partout dans cette chaîne de montagnes comme dans d'autres pays et dans plusieurs langues, du Juan Artz ou Xan de l’Ours des Basques jusqu’au Joan de l’Ós catalan[5], on retrouve l’histoire d’un enfant velu né de l’accouplement d’un ours et d’une femme. Cette histoire reflète le rôle mythologique joué par l’ours qui est lié à la fécondité, en Europe comme ailleurs. La mythologie basque l'assimile parfois à Basajaun ou Baxajaun (le seigneur sauvage de la forêt, pluriel : Basajaunak), personnage mythique fort, poilu et sauvage, vivant dans les Pyrénées, le plus souvent dans la forêt d'Iraty.

Il est possible que cette croyance résulte d'un anthropomorphisme de l'ours, en raison de son attitude proche de l'homme quand il se redresse sur ses pattes arrière. Dans certaines légendes, le pic du Midi d'Ossau représente la tête de Jean de l'Ours. D'un point de vue toponymique dans les Pyrénées, Jean est parfois considéré comme une déformation francisée de « gens » ou « géants »[6], hypothèse qui ne fonctionne évidemment qu'en langue française, donc pas antérieure au XIXe s., et non dans les différents dialectes occitans ou hispaniques.

Différentes versions

La structure générale du conte se compose, schématiquement, de plusieurs épisodes dont les contenus peuvent varier, mais où l'on retrouve des éléments constants. Paul Delarue (le Conte populaire français), suivant Aarne-Thompson, l'a classé comme conte-type (301 B) dans la catégorie « Les princesses délivrées du monde souterrain », dans laquelle l'origine ursine du héros, bien que majoritaire, n'est pas déterminante (il existe de nombreuses versions où le personnage est un soldat[7]).

  • Une jeune fille, ou jeune femme, est enlevée par un ours d'une taille prodigieuse. Il l'enferme dans une caverne en roulant un énorme rocher devant l'entrée, il lui apporte à manger, à boire, se vêtir. Au bout de plusieurs mois, le jeune femme met au monde un enfant fils de l'ours, velu et fort comme son père : Jean de l'Ours. L'enfant grandit très vite et lorsqu'il est devenu assez fort, il pousse le rocher et fuit avec sa mère. Dans certaines variantes les origines de Jean de l'Ours sont moins clairement définies (la femme déjà enceinte met au monde l'enfant après avoir simplement vu l'ours).
  • Il commence une vie nouvelle parmi les hommes, avec des fortunes diverses (grâce à sa force, il rend de nombreux services, mais il tue ses camarades d'école sans le vouloir, etc...). Apprenti chez un forgeron (il brise une enclume d'un seul coup), il dépasse vite son maître et se fabrique une canne de fer d'un poids considérable, de cinq cents livres à plusieurs quintaux. Comme dans la plupart des contes, chiffres et unités ont une valeur plus symbolique que réelle. Le personnage s'appelle parfois Jean Bâton de Fer. Parfois la canne n'est pas de fer, mais d'un tronc de chêne tout aussi imposant.
  • Jean de l'Ours part pour courir le monde. Chemin faisant, il rencontre deux ou trois compagnons d'une force phénoménale, chacun dans sa spécialité, qui vont l'accompagner.
  • Parvenus dans un château mystérieux, ils s'y installent et y font la rencontre d'un personnage d'aspect variable, toujours maléfique, souvent identifiable au diable, qui les défie et les bat l'un après l'autre, mais il ne peut vaincre Jean de l'Ours et lui révèle le secret : une (ou plusieurs) princesses sont prisonnières dans un palais souterrain.
  • Jean de l'Ours descend au fond d'un puits vertigineux, doit surmonter de nouvelles épreuves, affronter des monstres, pour enfin délivrer la princesse. Ses compagnons l'ayant abandonné, Jean de l'Ours et sa princesse ne peuvent regagner la surface qu'en montant sur le dos d'un oiseau gigantesque (généralement, une aigle, parfois un Oiseau Roc). Il doit nourrir l'oiseau de viande pendant la longue remontée. À la fin, Jean de l'Ours se taille lui-même un morceau de sa cuisse pour arriver au terme de l'ascension. Il épousera bien sûr la princesse, tandis que les compagnons ingrats ont disparu, sont punis, ou pardonnés selon les versions.

Légendes et réalités

Jean de l'Ours est reconnu par la plupart des narrateurs comme un conte, c'est-à-dire mettant en scène des personnages et des événements acceptés comme totalement fictifs. Mais compte tenu de sa proximité avec des êtres à caractère plus ambigu, comme le Basajaun, dont l'existence réelle pouvait être une croyance populaire (à défaut d'une certitude), on l'a parfois classé parmi les « hommes sauvages » typiquement montagnards, comme le Yéti de l'Himalaya, l'Almasty du Caucase, le Bigfoot ou le Sasquatch américains, et bien d'autres. Des exégètes modernes ont cherché et proposé des théories[8] tentant de justifier l'existence de telles créatures, notamment par la survivance de Néandertaliens, ou bien des maladies ou malformations pathologiques.

Jean-Jacques Rousseau a écrit à propos de ces hommes sauvages en 1754 dans son Discours sur l’origine de l’inégalité entre les hommes. Comme Carl von Linné, il classait ces êtres sauvages dans l'espèce « Homo ferus ». Il décrit des humains marchant à quatre pattes, ne sachant pas parler et velus comme des ours. En 1776, c'est l’ingénieur Leroy, chargé de la Marine royale et de l’exploitation des forêts d’Aspe, qui fait part dans ses mémoires d'êtres humains sauvages dans les forêts d’Iraty et d’Issaux. Il décrit même un homme velu d'environ trente ans. Il est possible qu'il fut atteint d’hypertrichose (syndrome d’Ambras). La probable réalité des faits évoqués par l'ingénieur Paul-Marie Leroy rejoignait donc en partie la légende[9], sans la justifier totalement puisque la légende est bien antérieure. D'après certains, les légendes de Basajaunak tireraient leur origine de la rencontre des proto-Basques arrivés il y a environ 40 000 ans, avec les derniers Néandertaliens. Hypothèse difficile à concilier avec la tradition basque qui voit dans les Basajaunak les « inventeurs » de l'agriculture (apparue au Néolithique). Sans aller jusqu’à ces cas extrêmes, l’histoire de la femme sauvage du Vicdessos, dont l’épilogue se passe en 1808, semble démonter que la cohabitation entre un humain et des ours est une chose possible.

Le montreur d'ours Jean Pezon (1831-1874) fut surnommé « Jean de l'Ours ».

Jean de l’Ours dans la littérature

Le rapt de la femme par un ours demeure un thème universel. Il n’est pas étonnant de le retrouver dans la littérature, soit dérivant d’une des versions du conte, soit variation purement littéraire. En 1868, Prosper Mérimée publie Lokis[10], une nouvelle racontant le mariage d’un mystérieux comte, qui apparaît être né suite au viol de sa mère, et vraisemblablement par un ours, ces éléments étant progressivement révélés, jusqu’à l’épilogue où les instincts bestiaux du personnage reprennent le dessus. Cette nouvelle est écrite suite à un voyage de Mérimée en Lithuanie et dans les pays baltes où le conte (voire la légende) avait cours.

En 1990, Alina Reyes évoque le mythe dans son deuxième roman, Lucie au long cours[11].

En 2011, le roman de Philippe Jaenada La femme et l’ours[12] se réfère explicitement au conte.

Voir aussi

Liens internes

Notes et références

  1. Michel Praneuf (1988).
  2. Cénac-Moncaut (1861).
  3. Dans sa dernière nouvelle, Lokis (1869), Prosper Mérimée reprend ce thème (sans jamais l'évoquer explicitement), d'après une version lithuanienne de la légende.
  4. Paul Delarue (1976), p. 110 : conte-type 301B, Jean de l'Ours.
  5. Joan Soler i Amigó (1990), p. 82-85.
  6. Le prénom Jean dans la Vallée d'Ossau
  7. Afanassiev (1988), p. 196. : « Le soldat délivre la princesse ».
  8. Paul Delarue (1976), p. 132, met en garde contre ces tentations récurrentes que l'on retrouve à propos de la plupart des légendes : « On conçoit que, choisissant parmi les éléments du conte un motif isolé, tous les théoriciens aprioristes ont pu donner de ce récit une explication qui justifiait leur théorie, depuis les défenseurs du mythe astral, jusqu'aux derniers venus qui voient dans le conte la préoccupation de l'au-delà ou de l'au-dessous, ou le commerce des vivants avec les trépassés [...], ou bien qui veulent y retrouver un sens ritualiste ou ésotérique (les épreuves et la montée vers la lumière), ou bien encore qui cherchent à l'interpréter par la psychanalyse (la bestialité refoulée, etc.) ».
  9. Large (2008).
  10. Lokis sur Wikisource : [1]
  11. Alina Reyes, Lucie au long cours, Seuil, Paris, 1990
  12. Philippe Jaenada, La femme et l’ours, Paris, Grasset, septembre 2011.

Bibliographie

  • Alexandre Afanassiev, Les Contes populaires russes, Maisonneuve et Larose, Paris, 1988. – Les héros s'appellent Ivachko-Ourseau et Ivanko-Ourseau. Un autre conte, Le soldat délivre la princesse, reprend le thème mais il n'est pas question d'ours.
  • José Miguel Barandiarán, Dictionnaire Illustré de la Mythologie Basque, traduit et annoté par Michel Duvert, Éditions Elkar.
  • Jean Barbier, Légendes basques, Delagrave, Paris, 1931 : Hachko et ses deux compagnons. – Hachko, le héros, est le fils d'un « Basajaun ».
  • Édouard Brasey, L'Encyclopédie du merveilleux, T3 : Des peuples de l'ombre, Le Pré aux Clercs, 2006, p. 11-13.
  • Justin Cénac-Moncaut, Contes populaires de la Gascogne, E. Dentu, Paris, 1861, rééd. Lacour, 1992. – Le conte Mouret : le héros est le fils d'un « Maure d'Espagne ». Il rejoint son père et devient un terrible brigand, avant d'être ramené à la civilisation par l'amour d'une jeune fille.
  • Paul Delarue, Le Conte populaire français, tome premier, Maisonneuve et Larose, Paris, rééd. 1976.
  • Marc Large, Xan de l'Ours, la légende de l'homme sauvage, préface de Renaud, Éditions Cairn, 2008.
  • Bruno de La Salle, Jean de l'Ours, illustrations de Dominique Maes, Casterman, coll. « Contes de toujours », 1985.
  • Olivier de Marliave et Jean-Claude Pertuzé, Panthéon Pyrénéen, Loubatières, Toulouse, 1990.
  • Jean-Claude Pertuzé, Le conte de Jean de l'Ours, album illustré, Loubatières, Toulouse, 1988.
  • Eugène Polain, Il était une fois... : Contes populaires, entendus en français à Liège et publiés avec notes et index, Université de Liège, coll. « Bibliothèque de la Faculté de Philosophie et Lettres, fasc. XC », Liège – E. Droz, Paris, 1942, p. 78-87 (version du conte connue en région liégeoise), 243-259 (notes).
  • Maurice Pottecher, Jean de l'Ours, pièce légendaire en quatre actes et sept tableaux, ed. Librairie théâtrale, Paris 1951.
  • Michel Praneuf, L'Ours et les Hommes dans les traditions européennes, Imago, Paris, 1988.
  • Jean-Pierre Saltarelli, Jean de l'Ours et le Verbouc, dans Contes Truffandiers, Éd. La Mirandole, Pont-Saint-Esprit, 2004, (ISBN 2909282899).
  • Claude Seignolle, Jean de l’Ours, illustrations de Philippe Legendre-Kvater, éditions Hesse, 2004
  • Joan Soler i Amigó, Mitologia catalana, Barcanova, Barcelone, 1990.
  • Julien Vinson, Le Folk-lore du Pays Basque, Maisonneuve, Paris, 1883. – Le conte Malbrouc reprend des éléments, mais le héros n'est pas le fils d'un ours.
  • Wentworth Webster, Légendes basques, Anglet, Aubéron, 2005. – Une autre version de Malbrouc.

Liens externes


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