Alsacien

Alsacien
Alsacien
Elsässisch
Parlée en France
Région Alsace, communes mosellanes de Baerenthal et Philippsbourg
Nombre de locuteurs environ 700.000 Transmission inter-générationnelle très minoritaire depuis les années 1980[1].
Typologie SVO
Classification par famille
Statut officiel
Langue officielle de Statut de langue régionale de France

L'alsacien (Elsässisch) est par convention, la dénomination donnée à l'ensemble des parlers alémaniques et franciques traditionnels d'Alsace.

L'alsacien est la deuxième langue autochtone parlée en France (en nombre de locuteurs) après le français si on considère l'occitan comme un ensemble de parlers non-homogènes et la troisième si on prend en compte l'hypothèse contraire. Les transcriptions phonologiques basées sur le Schriftbild (les conventions orthographiques) du Hochdeutsch, des œuvres littéraires (poésie, théâtre) rendent compte de la richesse des variantes dialectales. En « krummes Elsass » Alsace « bossue » ou « tortue » sont des parlers franciques moyen-allemands proches des formes parlées en Sarre / Saarland et au Luxembourg. Dans la région au nord de l'isoglosse û/au frontalier (Wissembourg - Lauterbourg) on parle un continuum francique méridional proche du pfälzisch / palatin, rattaché comme les dialectes alémaniques à l'allemand supérieur. Par ailleurs, des espaces de langue romane, patois dit welches et franc-comtois se trouvent sur les zones vosgienne et méridionale de l'Alsace. Le Territoire de Belfort « Romandie alsacienne » est un district alsacien séparé après 1871, et rattaché à la Franche-Comté, qui n'a pas encore retrouvé sa place traditionnelle en marge de la province.

Différents codes orthographiques sont en usage, chaque écrivain adoptant une orthographe plus ou moins personnelle. L’orthographe utilisée cherche plus à rendre compte précisément des coloris locaux de la langue parlée que d'assurer la compréhension pratique, la langue écrite (allemande ou française) suffisant à cette fonction. La prononciation en particulier varie d’une microrégion linguistique à l’autre, voire d’un village à l’autre. Ainsi les différences phonologiques, et dans une moindre mesure morphologiques, entre les parlers du nord au sud de l'Alsace sont importantes. On constate cependant une grande unité dans la syntaxe commune de l'alsacien et la compréhension entre alsaciens est assurée. Les dialectes germaniques parlés en Alsace sont proches linguistiquement et compris dans le sud de l'Allemagne (Souabe / Schwaben, Palatinat / Pfalz, Bayern / Bavière) la Suisse et l'Autriche. La connaissance de l'allemand standard comme point de référence culturelle et littéraire entre les dialectes permet une intercompréhension facile. .


Cartographie linguistique de l'Alsace en 1910

Caractéristiques linguistiques

L'aire de diffusion traditionnelle des signes dialectals d'allemand supérieur occidental (=alémannique) au XIXe et XXe siècles. On notera que l'Alsace bossue et la zone septentrionale autour de Wissembourg ne sont pas comprises.

Parmi les nombreux traits qui séparent l'alsacien de l'allemand standard, l'allemand littéraire "Schriftdeutsch" ou "Hochdeutsch", on peut citer entre autres l'absence de la diphtongaison dite bavaroise : « Wyn ou Wyh » pour « Wein », « Hüs » pour « Haus » ; la palatalisation du « u » long et le maintien d'anciennes diphtongues : « güet » pour « gut » (anciennement «guot»); un certain relâchement articulatoire : « sewa » pour « sieben »; le passage de [rs] intervocalique à [rsch] (le nom du village Schnersheim se prononce sur place Schnarsche) etc.

Il s'agit d'un dialecte de type germanique, dont la tendance est d'accentuer les premières syllabes d'un mot.

L'alsacien est également un dialecte flexionnel, qui comprend quatre cas (théoriques) de déclinaison : le nominatif (cas du sujet), l'accusatif (le cas du complément d'objet direct ou COD), le datif (cas du complément d'objet indirect) et le génitif (cas du complément du nom). Toutefois, il ne subsiste réellement que deux formes courantes, celles du nominatif et celles du datif. L'accusatif n'est plus utilisé que dans quelques rares régions (sauf pour la flexion des pronoms personnels) et le génitif a disparu. On ne compte plus que trois temps dont deux sont des temps composés: le présent, le prétérit (passé composé; le passé simple a disparu comme dans l'ensemble des dialectes alémaniques) et le futur (qui est formé, tout comme en allemand et tous les dialectes germaniques, à l'aide d'un auxiliaire); et peu de modes : indicatif et subjonctif (qui sert également à former le conditionnel), ainsi que deux voix : active et passive. Il est à remarquer que l'alsacien, comme tous les autres dialectes alémaniques et bons nombres d'autres dialectes germaniques, peut utiliser un présent progressif [2] en plus du présent conventionnel.

L'appartenance de l'Alsace à la France dès le XVIIe siècle (règnes de Louis XIII et Louis XIV) s'est répercutée sur le plan lexical. Le fait d'être coupé politiquement de la sphère de l'allemand standard, qui, outre-Rhin, en Suisse, en Autriche, au Liechtenstein et ailleurs, sert aux locuteurs alémaniques de langue écrite (Schriftsprache), a permis la préservation d'un grand nombre d'archaïsmes, inintelligibles de nos jours même au pays de Bade ; d'autre part, le dialecte n'a cessé d'emprunter au françaiset même. Ces deux tendances séparent très fortement l'alsacien des parlers alémaniques d'Allemagne et de Suisse peut-être davantage que les caractéristiques purement phonétiques. Il est important de souligner la présence très importante de mots et expressions provenant du Yiddish. Plus récemment, le dialecte alsacien s'est également enrichi de mots anglais.

Prononciation de l'alsacien

Voyelles

Voyelle Voyelle française prononciation française exemple exemple [prononciation]
a o [ɔ] ou [å] mort, sort, or, gore der Mann (l'homme) [d'r mànn]
å oo (variante longue) [ɔ:] idem, plus long das Råd (la roue) [s' ràd]
à a [a] salle, barde, salade d'Mànner (les hommes) [d'mann'r]
e a idem en début et fin de mot dans le Haut-Rhin idem Mànele (petits hommes) [manala]
e a idem après une voyelle idem miet (fatigué) [miia't], lüege (regarder) [luuaga]
e é [ɛ] ailleurs pré, été lege (poser) [lééga]
e eu [ə] en fin de mot dans le Bas-Rhin, [a] en fin de mot dans le Haut-Rhin sœur mänele (petits hommes) [mèneuleu] à Strasbourg, [manala] à Mulhouse
i é Entre [ɛ] et [i] (aucun) der Himmel (le ciel) [d'r hémm'l]
i i [i] lorsque la voyelle est longue île, mille der Rhi (le Rhin) [d'r Rii], der Wi (le vin) [d'r vii]
o o, ô [o] sot, seau, beau der Morge (le matin) [d'r môrga], solle (devoir, avoir l'obligation de) [sôla]
u ou [u] nous, vous, sous d'Wulke (les nuages) [t'voulka]
ü u [y] sûr, dur, mur Nüdle (nouilles) [nuudla]
ie iia [i:a] aucun Biewele (petit garçon) [biiavala]
üe uua [y:a] aucun der Büe (le garçon) [d'r buua]
ei, ài [ai] ail, aïe Meidele (jeune fille) [maïdala]

Consonnes

Consonne Consonne française prononciation française exemple exemple [prononciation]
b b, p entre [b] et [p] aucun bliwe (rester) [bliiva]
p p, b assez rare, rencontré dans les mots d'origine latine passage, pierre prowiere (essayer) [proviiara] (un vrai "p"), passe (aller bien, passer, seoir) [possa/bossa] (entre b et p)
d d, t entre [d] et [t] aucun trinke (boire) [trénka/drénka]
t d, t entre [d] et [t] idem iwertriwe (exagéger) [év'r-triiva]
v f [f] fièvre, filet vergeifre (baver, salir en bavant) [f'r-gaïfra]
f f [f] idem Flàcke (taches) [flaka], fliege (voler dans les airs) [fliiaga]
g gu, g, k entre [g] et [k] toujours comme dans "gare" geifre (baver) [gaïfra/kaïfra]
h h [h] h aspiré, prononcé en expulsant l'air des poumons der Himmel (le ciel) [d'r hémm'l]
j y [j] yeux, yodler jede (chaque) [yééda]
k k, g entre [k] et [g] aucun kuma (venir) [kouma/gouma]
r r [r] roulé ou non, selon les régions rouille, rouler ràgne (pleuvoir) [rag'na]
s s, ch [s] le plus souvent; [ʃ] devant t, d, p et parfois r savon, si (jamais comme un z) ou chat, chien springe (sauter) [chpré-nga], steh (être debout) [chtéé], sewe (sept) [sééva]
w v [v] wagon, voiture, victoire Wage (voiture) [vooga], Wulke (nuage) [voulka]
x kss [ks] exciter, exfolier Wax (aussi écrit Wachs) (cire) [voks]
z ts [ts] tsé-tsé Zahn (dent) [tsoo'n], Zorn (colère) [tsôrn]
sch ch [ʃ] chat, chien schriwe (écrire) [chriiva]
ch rr [x] comme un r grasseyé semblable au r dans cri, croire noch (encore) [nôrr], Büech (livre) [buuarr]
ch ch [ç] comme un ch de chat prononcé avec la langue collée au palais ; particularité retrouvée dans le Bas-Rhin et en allemand Schlüch (tuyau) [chluurr] dans le Haut-Rhin et [chluuch] dans le Bas-Rhin
ch k [k] se prononce k] lorsqu'il se trouve avant un s Wachs (cire) [vɔks], wachse (grandir, croître, pousser) [vɔksa]
ng ng [ng] se prononce ng comme dans parking. Attention ; le "g" final ne s'entend pas, le n est simplement prononcé avec le nez et le fond de la gorge Iewung (iia'vou-ng) (exercice, expérience)

En ce qui concerne les couples (b, p), (d, t) et (g, k) - qui, normalement, ne présentent aucune différence de sonorité - il est en usage de privilégier l'orthographe des mots retrouvés en allemand standard. Par exemple, le mot Biewele (petit garçon) [biiavala] pourrait très bien être écrit Piewele. Toutefois, la racine germanique du mot, Bub, est orthographiée avec un B, ce qui a orienté notre choix.

De même pour les voyelles. Il existe deux a en alsacien. Celui que l'on dit naturel (noté a) et qui se prononce [ɔ] ou [å], et l'autre (noté à), qui se prononce comme le a français de avion. Pourquoi noter a une lettre qui ne se prononce pas du tout comme tel ? Pour la raison que les voyelles des mots apparentés en allemand se prononcent [a]. Par exemple, le mot roue se traduit en allemand par Rad [raad]. En alsacien, il se prononce différemment : [rood]. C'est encore une fois l'orthographe allemande qui prédomine. Le même phénomène est observé pour le e, qui se prononce a presque partout dans le Haut-Rhin, à des positions où, normalement, en allemand, ils sont muets, légèrement prononcés, ou entièrement prononcés é ou eu.

Il faut également noter qu'il existe une disparité dans l'utilisation des articles définis (le, la, les) : dans le Bas-Rhin, le masculin singulier (le) se dit plutôt de, alors que le Haut-Rhin préférera der. L'article défini féminin singulier demeure d' dans toutes les régions ou presque, alors que l'article défini neutre singulier peut se présenter sous la forme das ou plus généralement s. La subtilité la plus flagrante (voir le début de cette partie) est que, normalement, on admet que l'accusatif (le cas du complément d'objet direct) n'est plus usité en alsacien moderne. C'est vrai dans la majorité de la région, puisque l'accusatif de der/de est der/de, celui de d' est d', et celui de s est s. Par contre, il existe de petites bourgades jouxtant les Vosges, dans lesquelles l'accusatif de der devient de pour le masculin, mais rien ne change au féminin ni au neutre. Ce sont des disparités linguistiques pouvannt dérouter le néophyte qui désirerait apprendre cette variante des langues germaniques.

Il faut également signaler, dans le Haut-Rhin, à hauteur de Colmar, d'un auxiliaire particulier servant à former le conditionnel. Là où le reste de l'Alsace utilise l'auxiliaire düe/tüe (faire) (qui sert aussi à former le présent progressif), les Colmariens font volontiers usage de gàtt.

Éléments grammaticaux simples

Les verbes

L'alsacien est un dialecte de type germanique et sa syntaxe est proche de celle de l'allemand. Elle utilise une logique majoritairement rétrograde. Par exemple, les adjectifs se placent avant le nom (la voiture bleue : der blaie Wage [d'r bloïa wooga]) et certaines phrases complexes peuvent inverser le sujet et le verbe. Point plus important, les verbes alsaciens, tout comme les verbes allemands, possèdent souvent des « préverbes ». À l'infinitif, ils se placent devant le verbe (on les sépare du radical de verbe par un trait vertical totalement artificiel pour plus de clarté), tandis que fléchis (conjugués), ils s'en séparent, et migrent à la fin de la proposition, en accord avec la logique rétrograde de la langue. Ces particules peuvent parfois modifier considérablement le sens du verbe.

La phrase simple

En temps normal, une phrase simple se construit selon le modèle suivant : sujet + verbe + complément/nom/adjectif.

Quoi qu'il advienne, le verbe doit toujours se trouver en seconde position dans la phrase. De ce fait, si la proposition commence par un complément, le sujet sera déplacé après le verbe, de manière à respecter cet axiome.

Exemples :

  • Aller : géh [géé]
  • Monter : ufe|géh [oufa géé]
  • Poser (verticalement) : stelle [chdella]
  • Déplacer : um|stelle [oum chdella]
  • Diminuer, perdre du poids : ab|neme [opp nemme]
  • Il déplace le verre sur la table
  • Er stellt s'Glas uf'm Tisch um
  • Maintenant, il déplace le verre sur la table
  • Jetz stellt er s'Glas uf'm Tisch um [yets chdellt'r s'Glooss ouf'em téch oum]

Dans le second exemple, la présence d'un élément temporel en début de phrase oblige à déplacer le sujet (ici "er") APRES le verbe, de manière à ce que ce dernier demeure en deuxième position. Chose importante : lorsque le verbe est composé (affublé d'un préverbe), c'est le radical (ici "stelle" sous forme conjuguée) qui se place en seconde position, la particule (ici "um") migrant à la fin.

Conjugaison des verbes au présent

L'Alsacien comporte deux présents : le présent simple (celui qu'on trouve en français) et le présent progressif (être en train de faire quelque chose), qui perd progressivement son sens. Le mode de conjugaison n'est pas compliqué : le verbe à l'infinitif est composé d'un RADICAL sur lequel est graffée une terminaison de l'infinitif -e. Exemples : stelle [chdella] poser, mache [moora] faire, lése [lééssa] lire. La conjugaison se sert uniquement du radical :

Exemple du verbe stelle

  • Ich stell [érr chdell] pas de terminaison
  • dü/de stellsch [duu/da chdellch] terminaison : -sch
  • er/se/es stellt [ar, sa, as chdellt] terminaison : -t
  • mér/mer stelle [méér, m'r chdella] terminaison : -e (forme du radical infinitif)
  • ihr stelle [éér chdella] terminaison : -e (forme du radical infinitif)
  • sé/se stelle [sé, sa chdella] terminaison : -e (forme du radical infinitif)

Les pronoms personnels sont donc : ich [érr/ich selon les régions] (je), dü [duu] (tu), er [ar] (il), sé/sa [sé, sa] (elle), es [ass] (cela/il/elle, neutre), mér/mer [méér, m'r](nous), ihr [éér] (vous, pluriel de "dü" et parfois forme de politesse pour "vous"), sé/se [sé, sa] (ils/elles) (attention, la forme majuscule Sé peut vouloir dire "vous" en temps que forme de politesse).

NOTE : Le pronom dü/de n'est pas obligatoire et peut être négligé. En effet, la terminaison -sch suffit amplement à signaler que le locuteur est "dü". La forme deest ce qu'on appelle la forme atone de . Chaque pronom personnel possède une telle forme atone (le plus souvent utilisées avec l'usage), mais elles ne sont pas toutes indiquées.

Le présent progressif

Le présent progressif se forme à l'aide d'un auxiliaire : düe (faire)

Cette forme peut servir au débutant à former le présent simple, forme par ailleurs assez enfantine, mais tout à fait pardonnable pour une personne non initiée. Elle ne nécessite que de connaître la conjugaison de düe uniquement.

  • ich düe [érr duua]
  • dü/de düesch [duu/da duuasch]
  • er/se/es düet [duuat]
  • mer/ihr/se düe(n) [duua(n)]

Pour former le présent progressif, il suffit d'ajouter derrière la forme conjuguée de düe, l'infinitif du verbe désiré.

  • ich düe stelle
  • dü düesch stelle
  • er/se/es düet stelle
  • mer/ihr/se düe(n) stelle

(Exemple du verbe stelle, poser)

ATTENTION, ici s'applique bien évidemment la règle de la DEUXIEME position du verbe : düe se place en seconde position et le verbe à l'infinitif se déplace à la FIN de la proposition.

  • Cet homme est en train d'observer
  • Dà Mann düet züelüege [da monn duuat tsuua luaka]
  • (züe|lüege : observer)

La particularité du « fralsacien »

Toutes ces particularités de prononciation du dialecte alsacien ont conduit ses locuteurs à rencontrer un certain nombre de difficultés lors de l'utilisation du français. Tout d'abord, notons qu'avant la fin de la Seconde Guerre mondiale, la plupart des Alsaciens vivaient de manière très rurale, et, même pour les citadins, il était d'usage de parler uniquement alsacien à la maison. La répression allemande (qui interdisait l'usage du français et même de l'alsacien et imposait l'Allemand comme seule langue) n'a pas arrangé les choses. L'Alsacien moyen parlait donc très mal le français qu'il devait apprendre à l'école.

Un certain nombre de phonèmes ou de consonnes n'existent pas en alsacien et sont retrouvées dans la langue de Molière, ce qui explique que les j ou les v soient écorchés en ch et f (pourtant existant). De plus, comme nous l'avons expliqué, il n'y a pas de différence entre b et p, d et t, ainsi qu'entre g et k (bopele, bébé; dottel, idiot; grièk, guerre) (pour être plus précis, il y a clairement une différence pour un Alsacien, mais elle est inintelligible pour un non-Alsacien), ce qui ne facilite pas la différenciation des sons par un Alsacien. Ce phénomène n'est plus aujourd'hui rencontré que chez les personnes âgées ou ceux parlant couramment le dialecte, mais plus chez les jeunes. La seule réminiscence de l'alsacien chez les jeunes ne le parlant pas est leur accent traînant, qui résulte de l'allongement de certaines syllabes.

De telles particularités, ainsi que l'apparente dureté des phonèmes ont conduit de nombreux francophones à se moquer des Alsaciens, haine exacerbée, durant la guerre, par la ressemblance auditive entre le parler alsacien et le parler allemand. L'association d'idées a très vite été réalisée, et l'accent alsacien associé au nazisme par les uns, au yiddish par les autres... Beaucoup de réfugiés ont souffert de cet amalgame durant la guerre et après la libération. Cette discrimination ne date pas d'hier.

Dès 1674, les Français estimaient que les rares Alsaciens à connaître leur langue la prononçaient mal (i.e. avec un accent germanique). Au XIXe siècle, « l’accent d’un homme comme Humann, plusieurs fois ministre sous Louis-Philippe et vivant fréquemment dans une société purement française, ne cessait de provoquer les railleries des journaux anti-dynastiques de Paris. Ils racontèrent que, Humann disant à la tribune "Mes projets sont détruits", la Chambre avait compris "Mes brochets sont des truites"[3]. »

Cette prononciation particulière, ainsi que l'existence d'expressions particulières - nées de la traduction littérale de certaines expressions germaniques et alsaciennes - ont donné naissance à ce qu'on appelle aujourd'hui le fralsacien, un français coloré d'expression et de tonalités alsaciennes. Ce n'est guère plus que ce langage qui est aujourd'hui connu de la France, ainsi que des jeunes alsaciens, puisque le dialecte et plus généralement l'alsacien disparaissent progressivement au profit du français. Notons que cet état de fait n'était pas une évidence cinquante ans en arrière, puisque 80% des Alsaciens était capable de parler et de comprendre leur dialecte, contre bien peu aujourd'hui. La politique française d'après guerre pour la disparition progressive de l'alsacien y est pour beaucoup, puisqu'une répression existait, notamment dans les écoles, pour sanctionner les locuteurs. "C'est chic de parler français" était lisible sur les bus alsaciens juste au sortir de la guerre. C'est ce slogan qui a survécu jusqu'à nos jours et qui a popularisé la croyance selon laquelle l'alsacien est la langue des paysans et des non-instruits... Phénomène qui existe également pour bien d'autres parlers régionaux.

De tout cela, un Alsacien sage dirait : "Wenn jeder vor sinre Tire tàt wische, wàr s'ganze Dorf süffer" (si chacun balayait devant sa porte, le village tout entier serait propre) [vènn yéd'r fôr sinra tééra tatt vécha, var s'gonntsa dôrf suf'r]

Usage

Inscription sur une fenêtre à Eguisheim :
Dis Hausz sted in Godes Hand - God be war es vor Feyr u(nd Brand)
("Cette maison se trouve dans les mains de Dieu - Puisse Dieu la protéger du feu et des incendies")

Aujourd'hui, on observe une forte diminution de l'usage de l'alsacien. C'est dans les centres urbains, que le recul est le plus notable. La Révolution française, période durant laquelle les États allemands étaient dans le camp ennemi, a marqué une véritable rupture dans le rapport à la langue alsacienne. C'est essentiellement au sortir de la Première et de la Seconde Guerre mondiale que les autorités françaises ont le plus œuvré pour que l'usage du dialecte disparaisse au profit du français (notamment dans l'enseignement voir ci après . Ce type de phénomène n'était pas isolé et a été observé pour d'autre dialectes en ailleurs France. En cette dernière période, il était entre autres dit qu'« il est chic de parler français ». Si le déclin continue, on peut cependant constater que l'alsacien a tendance à mieux résister que d'autres langues régionales, plus isolées, comme le breton. De fait, c'est la langue régionale française qui a le plus résisté à la politique d'uniformisation linguistique menée par le gouvernement français : en 1991, environ 400 000 alsaciens l'avaient léguée à leurs enfants.

Le recul brutal de l'alsacien a commencé au cours des années 1970. Les sexagénaires, et même parfois les quinquagénaires, se rappellent que dans leur enfance ils étaient surpris d'entendre des personnes âgées discuter entre elles en français ; dans la rue c'est en dialecte que, dans les années 1960, les enfants proposaient des billets de tombola. L'irruption de la télévision dans la vie familiale est pour beaucoup dans ce recul : il n'existe pas de chaîne en dialecte, à peine quelques émissions sur France 3 Alsace, et le jeune Alsacien élevé dans le bilinguisme français-alsacien comprend d'emblée les chaînes françaises alors qu'il a beaucoup plus de mal avec les chaînes allemandes.

Culture alsacienne

De nombreux artistes s'expriment en alsacien, contribuant à une culture spécifique, comme Tomi Ungerer, André Weckmann, René Schickelé, Jean Egen, Roger Siffer, Germain Muller, Liselotte Hamm et Jean-Marie Hummel, René Eglès, Isabelle Grussenmeyer, Sylvie Reff, Kansas of Elsass, Christophe Voltz, etc. De grands poètes ont écrit et écrivent en alsacien comme c'est le cas de Claude Vigée et Conrad Winter. Simone Morgenthaler a longtemps animé la populaire émission Sür un siess (France 3 Alsace), traduit Prévert et écrit des pièces en alsacien.


Exemples

Les exemples ci-dessous permettent de montrer les ressemblances entre l'alsacien et les langues de type germanique et anglo-saxone, mais aussi les emprunts qu'il a fait au français.

français allemand [prononciation] alsacien* [prononciation] néerlandais anglais
terre Erde [éérde] erd/erde [ard/arda] aarde earth
ciel Himmel [hîm'l] himmel [hém'l] hemel heaven, sky
eau Wasser [vass'r] wasser [voss'r] water water
feu Feuer [foï'r] fir [fîr] vuur fire
homme Mann [mann] mann [monn] man man
femme Frau [fraou] frai [froï/freuy] vrouw woman
mademoiselle Fräulein [fraoulaïn] Màmsell [momsell] juffrouw miss
manger essen [èss'n] àsse [assa/asse] eten eat (to)
boire trinken [trîng-k'n] trinke [dréng-gue] drinken drink (to)
grand gross [grôss] gross [grôss] groot great
plaisir Freude/Lust [freunde/ loust] plasier [plesser] lust/ plezier pleasure
petit klein [klâïn] klein/klen [klaïnn/glèèn] klein/smal little, small
gros/gras dick/fett [dîk/fèt] dick/fàt [dék/fatt] dik/vet thick/fat
nuit Nacht [nârrt] nacht [norrt] nacht night
jour Tag [tâk] däi/dag [deï/dook/deu] dag day
aujourd'hui heute [hôïte] hit/héte [hit/hétt/hééta] vandaag/heden today
bonjour guten Tage Boschour [ bochour] goede morgen hello
au revoir Auf wiederseen Orùaar [ orouaar] Tot ziens Good bye
hier gestern [g(u)èst'rn] gescht/geschtert [g(u)ècht] gisteren/gisterdag yesterday
demain morgen [môr-g'n] morm/morne [môrn/môrna] morgen tomorrow
(le) matin Morgen [môr-g'n] morje/morge [môrya/môrga/môriè] morgen morning
(le) midi Mittag [mitâg] mitta/mitdag [mét'too/mét'tok/médeu] middag midday
(le) soir Abend [âb'nd] owe/obe [ôva/ôba/ôve] avond evening
être, tu es sein [zâïn], du bist [dou bîst] sin [sén], du besch [du béch] zijn, je bent be (to), you are
avoir haben [hâb'n] han/ha [hon/hô/hôn] hebben have (to)
ceci/cela dies/das [dîss/dâss] diss/zal/das [déss/tsal/dôss] dit/dat this/that
oui ja [yâ] jà/jo [ya/yô] ja yes
non nein [nâïn] nee/nà/nej/nài [néé/naa/neï/naï] nee no

*L'alsacien ne possède aucune écriture officielle, ou alors pas d'écriture admise par toute la région.

La prononciation "phonétique" est indiquée entre crochets.

En Alsacien : "i" se prononce presque toujours [é] (sauf lorsqu'il est long, où il se prononce [i] comme dans "île"), le "a" se prononce [o] comme dans "or" ou dans "bord", le "à" se prononce [a], comme dans "avion" ou "gare", le "e" se prononce [a] après une voyelle ou à la fin des mots (parfois au début) (dans le Haut-Rhin) ou [oe] (partout ailleurs). Le "w" se prononce [v] et le "v" se prononce [f].

Ces écrits ne reflètent de loin pas toutes les sortes de prononciations de l'Alsacien.

"b" devient "w" [v] et dans plusieurs cas, comme entre le français, l'anglais, l'allemand, l'espagnol et l'italien…


L'alsacien peut parfois évoquer des sonorités exotiques. Une plaisanterie classique en Alsace[4] rapporte ce dialogue entre deux soldats alsaciens lors de la campagne de Chine de 1860 :

  • Schang, schint d'Sunn schun ? (Jean, le soleil est-il déjà levé ?)
  • Jo, Schang, d'Sunn schint schun lang ! (Mais oui, Jean, le soleil est levé depuis longtemps !)

ce qui convainquit les autres soldats français que les deux compères parlaient le chinois

[Cho-ng, chiin't d'Soun choun ?] [Yôô, Cho-ng, d'Soun chiin't shoun lo-ng]

Il transparaît clairement de ces quelques phrases que l'Alsacien n'est absolument pas aisé à prononcer pour un francophone.

Quelques expressions alsaciennes

  • Nùmme d'tote Fisch schwimme mit'm Strom [nouma d'tôôta féch chvémma métt'em chtrôôm]

Seuls les poissons morts nagent avec le courant

  • S'Wasser laift nit der Bàrg ufe [s'woss'r loïfft nétt d'r barg ouffa]

L'eau ne coule pas vers le sommet

  • Iewùng macht der Meischter [iiavou-ng morrt d'r maïcht'r]

L'expérience fait le maître

  • Wenn der Kopf weg esch, hat der Arsch firowe [venn d'r kôpff vekk éch hott d'r oorch firoova]

Quand la tête est partie, le cul est tranquille

  • Üss're Muk macht er e Elefant [uss'ra mouk morrt'r a éléfo-nt]

D'une mouche il fait un éléphant

  • Dàs de kerich em dorf blit [doss deu kérich ém dorf blit]

Que l'église reste dans le village (= [Pour] Que la paix reste dans les chaumières)

Publications en alsacien

Bande dessinée

Livres pour enfants

  • E. et M. Sinniger-Wollbrett, s'Zwarichel vom Bàschbarri, ed. Nord-Alsace, 2002. (ISBN 2951754639)

Logiciels

Notes et références

  1. olcalsace.org
  2. Cf. français populaire: je suis après (en train de) de manger; allemand populaire: ich bin am essen; anglais: I am eating.
  3. http://www.koechlin.net/bk/bk43_022.htm
  4. Ernst Martin und Hans Lienhart, Wörterbuch der elsässischen Mundarten, Straßburg 1899-1907

Voir aussi

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Bibliographie

  • Adolf Paul, dictionnaire comparatif multilingue: Français - Allemand - Alsacien - Anglais, éditions Midgard, Strasbourg, 2006. 372 pages
  • Matzen Raymond, Daul Léon, Wie geht's ? Le dialecte à portée de tous, éditions La Nuée bleue, Strasbourg, 1999. 256 pages
  • Matzen Raymond, Daul Léon, Wie steht's ? Lexiques alsacien et français, Variantes dialectales, Grammaire, éditions La Nuée bleue/DNA, Strasbourg, 2000. 175 pages
  • Paul Lévy, Histoire linguistique d'Alsace et de Lorraine, éditions Manucius, Houilles, 2004 (rééd., 1re édition 1929).
  • Robert Grossmann, Main basse sur ma langue, Éditions La Nuée bleue, 1999
  • Alphonse Jenny & Doris Richert, Précis pratique de grammaire alsacienne, ISTRA, 1984 (ISBN 2-219-00364-7)

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Contenu soumis à la licence CC-BY-SA. Source : Article Alsacien de Wikipédia en français (auteurs)

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