Karl Ferdinand Werner

Karl Ferdinand Werner
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Karl Ferdinand Werner (né le 21 février 1924 à Neunkirchen et décédé le 9 décembre 2008) est un historien allemand.

Il fit ses études à Heidelberg (docteur ès lettres, histoire, géographie, histoire ecclésiastique en 1950), puis à Paris à l'École pratique des Hautes Études de 1951 à 1953, se spécialisant dans l'histoire du monde franc et médiéval avant d'enseigner quelque temps en Allemagne de 1954 à 1968. Il devint cette même année directeur de l'Institut historique allemand de Paris, jusqu'en 1989, et fonda en 1973 la revue Francia. Profondément européen, il a aussi essayé de rechercher les responsabilités et les influences de l`historiographie allemande des XIXe et XXe siècles dans l'essor du nazisme. Il fut élu, le 11 octobre 1991, associé étranger de l'Académie des inscriptions et belles-lettres, au fauteuil de Marcel Renard.

Il demeure essentiel de souligner l'influence fondamentale du milieu de la médiévistique française sur l'ensemble de son œuvre, sa fréquentation assidue du séminaire de Georges Duby au Collège de France illustrant son intégration dans les milieux universitaires français[1]. En addition à son ample réflexion sur la naissance de l'Allemagne, il peut être défini comme « le plus français des médiévistes allemands »[2] .

Sommaire

Le travail de l'historien

Traits fédérateurs de l'ensemble de l'œuvre: héritage des Annales et méthode

La pratique historienne de Werner, qui se situe à la confluence des traditions allemandes et françaises, est profondément marquée par l'héritage de l'École des Annales. L'œuvre de Werner reflète en effet tout autant le souci d'une exactitude érudite, comme en témoigne la multiplication des notes infrapaginales dans l'ensemble de ses monographies et de ses articles – multiplication qui rappelle aisément l' « Éloge des notes infrapaginales » de Marc Bloch dans son Apologie pour l'histoire[3] -, que l'inscription de l'interrogation historique dans sa contemporéanité. Son article sur « La "conquête franque" de la Gaule » traduit ainsi l'importance qu'il accorde, dans sa réinterprétation de la prise du pouvoir dans l'ancienne province des Gaules par Childéric et Clovis, à la nouvelle « coopération internationale »[4], entre la France et l'Allemagne. Le caractère positif de cette coopération permettrait de « se dégager [...] du lourd héritage »[5] qui entravait jusqu'alors la compréhension de la prise du pouvoir par les Francs.

Sa méthode se base essentiellement sur la recherche de sources inédites – comme en témoigne son ambitieux projet Prosopographia regnum occidentalium, qui tente de recenser l'ensemble des individus ayant vécu dans l'ouest de l'Europe entre 200 et 1200[6] - et sur la réinterprétation et la mise en relation de sources précédemment analysées. La rigueur de ses démonstrations, même lorsqu'elles se révèlent erronées, est extrême, et accompagne une remise en question constante de l'ensemble des présupposés historiographiques qui obscurcissent la compréhension de sa période d'étude privilégiée, le Haut Moyen Âge et les origines de la France et de l'Allemagne à partir de la prise du pouvoir par les Francs. Son article « La date de naissance de Charlemagne » combat ainsi une donnée, extraite de la biographie d'Eghinard, qui avait jusqu'alors été admise sans critique par l'ensemble de la communauté historienne[7].

Champs de recherche principaux

L'historiographie

Dans la mesure où Karl Ferdinand Werner attache une importance considérable au renouvellement des problématiques historiques, son œuvre fait évidemment état d'une réflexion historiographique étoffée. Son inscription dans le projet européen, né de la Seconde Guerre mondiale, commande ainsi une vigoureuse dénonciation de l'imbrication de la pensée nazie et de la science historique qui lui était contemporaine. Son article « On some examples of the National-Socialist view of History »[8]. déconstruit de manière systématique, malgré sa brièveté, l'intégration de l'historiographie dans la construction idéologique du régime nazi. Il souligne ainsi le rôle de la réinterprétation de l'œuvre de Christoph Steding – Das Reich und die Krankheit der europäischen Kultur[9] - à la lumière des évènements de 1940, et sa participation à la construction du concept de « force brute »[10] , au cœur de l'idéologie nazie. Werner dénonce également vigoureusement les « mythes de l'héritage humaniste »[11] , qui commandent une interprétation erronée de la chute de la portion occidentale de l'Empire Romain.

Le Haut Moyen Âge

À l'intérieur de la période du Haut Moyen Âge, l'œuvre de Werner se consacre plus spécifiquement à l'étude des Capétiens et des Carolingiens, dans leurs dimensions prosopographiques et administratives. Michel Parisse propose, dans le cadre de l'ouvrage collectif Les historiens, un diptyque, qui permet de caractériser les deux grands champs d'étude de Werner: « princes et principautés » et « la noblesse »[12] .

D'une part, s'appuyant sur sa déconstruction de la chute de l'Empire Romain d'Occident - « la prétendue fin de l'Empire et du monde romain a abouti à des erreurs grossières, en particulier dans l'histoire du droit et des institutions »[13] - Werner a entamé une série de recherches sur la genèse des duchés du VIIIe au Xe siècles[14] . Ces recherches lui permettent d'élaborer le nouveau concept de « regna » - circonscription territoriale d'origine carolingienne qui se forme définitivement au Xe siècle[15] . Cette hypothèse novatrice permet un renouvellement de l'histoire administrative du Haut Moyen Âge, comme en témoigne, par exemple, son article « Quelques observations au sujet des débuts du "duché" de Normandie »[16] . Werner se plaît également à chercher les structures fixes qui permettent de comprendre le fonctionnement du régime carolingien, en embrassant une très large variété de facteurs (géographiques, politiques, etc.). « Missus-marchio-comes. Entre l'administration centrale et l'administration locale de l'Empire carolingien » met ainsi en lumière le caractère particulier de « la royauté carolingienne[, qui] semble disposer d'une administration assez efficace [...] [pour lui permettre] d'agir à travers ses "fonctionnaires" et d'avoir une présence morale lorsqu'il n'y a pas de présence physique »[17].

Ce sont, d'autre part, ces études qui mènent Werner à travailler sur la noblesse, évidemment en charge de l'administration des territoires. L'historien réussit non seulement à réhabiliter la dynastie des Robertiens[18] , mais également à élaborer une nouvelle théorie sur les origines de la noblesse féodale, qui ne serait plus issue – comme l'avait soutenu Marc Bloch – de la chevalerie mais plutôt des anciennes élites romaines, en postulant « une parfaite continuité depuis la République et l'Empire Romain jusqu'au milieu du Moyen Âge »[19] . Il définit ainsi, dès 1979, un des types de la noblesse carolingienne comme des « families whose senatorial rank is confirmed by the sources »[20] . Ces nouvelles observations ne sont cependant pas encore admises par l'ensemble de la communauté historienne.

Brève critique de l'œuvre de Werner

Si l'œuvre de Werner peut être considérée comme une des étapes essentielles du renouvellement de la recherche portant sur le Haut Moyen Âge, elle n'est pas, néanmoins, exempte de certains défauts. Sa propension à rechercher des lois et des structures dans son analyse de l'histoire médiévale le conduit parfois à une certaine simplification de la matière traitée. Il définit ainsi « une loi » sur laquelle se baserait « le rôle de l'aristocratie dans la christianisation du nord-est de la Gaule »[21] : « changement de l'aristocratie par l'action de l'Église, changement de l'Église par l'aide de l'aristocratie »[22] . Cette phrase, même si elle atteste du sens de la formule du grand historien, fait preuve d'une schématisation un peu trop poussée. Mais il demeure essentiel de souligner, finalement, les qualités de vulgarisateur de Werner, qui, au sein de sa participation à L'histoire de France (sous la direction de Jean Favier), a brillamment réussi à rendre accessible au plus grand nombre Les origines (avant l'an 1000) de la France[23] .

Quelques ouvrages

  • Die Entstehung des Reditus regni Francorum ad stirpem Karoli, Diss. 1950.
  • Aufstieg der westlichen Nationalstaaten, in: Historia Mundi, VI, 1958
  • Untersuchungen zur Frühzeit des französischen Fürstentums, 8-10 Jahrhundert, 1960
  • Das NS-Geschichtsbild und die deutsche Geschichtswissenschaft, 1967
  • Die Nachkommen Karls des Grossen bis um das Jahr 1000, in: Karls des Großen Lebenswerk und Nachleben, IV, hrsg. v. W. Braunfels, 1967
  • Das Frankenreich 486-911 (carte murale)., 1967, 1972
  • Structures politiques du monde franc (VIe-XIIe siècles). Études sur les origines de la France et de l'Allemagne, 1979
  • Les Origines (avant l'an Mil) (vol. 1 de l'Histoire de France, sous la direction de Jean Favier), 1984-1988
  • Hludovicus Augustus. Gouverner l'empire chrétien, idées et réalités, 1990
  • Volk, Nation. Geschichtliche Grundbegriffe, VII., 1992
  • Il y a mille ans, les Carolingiens. Fin d'une dynastie, début d'un mythe, in: Annuaire-Bulletin de la Société de l'Histoire de France, 1993
  • Marc Bloch und die Anfänge einer europäischen Geschichtsforschung, 1994
  • Karl der Große oder Charlemagne?, in: Sitzungsberichte der Bayerischen Akademie der Wissenschaften, 1995
  • Die Ursprünge Frankreichs bis zum Jahr 1000. Deutscher Taschenbuch Verlag München 1995
  • La Conquête franque de la Gaule. Itinéraires historiographiques d’une erreur, in: Bibliothèque de l’École des chartes, 1996
  • Politik und kirchliche Konflikte in Lotharingien und Burgund im Spiegel des lat. Tierepos (10.-11. Jh.), in: Rheinische Vierteljahrsblätter, 1997
  • Völker und Regna (Beiheft HZ), 1997
  • Les premiers Robertiens et les premiers Anjous (IXe s.-Xe s.), in: Mémoires de la Société des Antiquaires de l’Ouest, 1997
  • Naissance de la noblesse. L’essor des élites politiques en Europe, 1998

Quelques articles

  • « On some examples of the Nationalist-Socialist view of History », Journal of Contemporary History, vol. 3, nº 2 (avril 1968), p.193-206.
  • « Quelques observations au sujet des débuts du "duché" de Normandie », Droit privé et institutions régionales. Études historiques offertes à Jean Yver, Paris, 1976, dans Structures politiques du monde franc (VIe-XIIe siècles). Études sur les origines de la France et de l'Allemagne, Londres, Variorum Reprints, 1979, p. 691-709
  • « Important Noble Families in the Kingdom of Charlemagne », dans Timothy Reuter, dir., The medieval nobility, Amsterdam/New York/Oxford, North-Holland Publishing Company, 1979
  • « La "conquête franque" de la Gaule. Itinéraires historiographiques d'une erreur », Bibliothèque de l'École des chartes, t. 154 (1996), p.  7-45 Lire en ligne

Recueil d’articles :

  • Vom Frankenreich zur Entfallung Deutschlands und Frankreichs, Sigmaringen, 1984 (C.r. par L. Theis, Annales…, 1986, 41-1, p. 151-152 Lire en ligne)

Notes et références

  1. Michel Parisse. « Karl Ferdinand Werner », dans Véronique Sales, dir. Les historiens. Paris, Armand Colin, 2003, p. 267
  2. Michel Parisse. « Karl Ferdinand... », p. 267
  3. Marc Bloch, Apologie pour l'histoire ou métier d'historien, Paris, Armand Colin, 1960 (1949), p.40, cité dans Antoine Prost, Douze leçons sur l'histoire, Paris, Éditions du Seuil, 1996, p.59
  4. Karl Ferdinand Werner, « La "conquête franque" de la Gaule. Itinéraires historiographiques d'une erreur », Bibliothèque de l'École des chartes, t. 154 (1996), p.43
  5. Karl Ferdinand Werner, « La "conquête franque"...  », p.43
  6. Michel Parisse, « Karl Ferdinand... », p. 275
  7. Karl Ferdinand Werner, « La date de naissance de Charlemagne », Bulletin de la Société nationale des Antiquaires de France, 1972, Paris (1975), dans Structures politiques du monde franc (VIe-XIIe siècles), Londres, Variorum Reprints, 1979, p.116-142
  8. Karl Ferdinand Werner, « On some examples of the Nationalist-Socialist view of History », Journal of Contemporary History, vol. 3, nº 2 (avril 1968), p.193-206
  9. Karl Ferdinand Werner, « On some examples of the Nationalist-Socialist...  », p.197
  10. Karl Ferdinand Werner, « On some examples of the Nationalist-Socialist...  », p.199
  11. Karl Ferdinand Werner, Naissance de la noblesse. L'essor des élites politiques en Europe, Paris, Fayard, 1998, p. 35-57
  12. Michel Parisse, « Karl Ferdinand... », p. 273 et 276
  13. Karl Ferdinand Werner, Naissance de la noblesse... , p. 45-46
  14. Michel Parisse, « Karl Ferdinand... », p. 273
  15. Michel Parisse, « Karl Ferdinand... », p. 274
  16. Karl Ferdinand Werner, « Quelques observations au sujet des débuts du "duché" de Normandie », Droit privé et institutions régionales. Études historiques offertes à Jean Yver, Paris, 1976, dans Structures politiques du monde franc (VIe-XIIe siècles). Études sur les origines de la France et de l'Allemagne, Londres, Variorum Reprints, 1979, p. 691-709
  17. Karl Ferdinand Werner, « Missus-marchio-comes. Entre l'administration centrale et l'administration locale dans l'empire carolingien », dans W. Paravicini et F.K. Werner, dir, Histoire comparée de l'administration (IVe-XVIIIe siècles), Munich/Zürick, 1980. p.194
  18. Michel Parisse, « Karl Ferdinand... », p. 275-276
  19. Michel Parisse, « Karl Ferdinand... », p. 276
  20. Karl Ferdinand Werner, « Important Noble Families in the Kingdom of Charlemagne », dans Timothy Reuter, dir., The medieval nobility, Amsterdam/New York/Oxford, North-Holland Publishing Company, 1979, p.149
  21. Karl Ferdinand Werner, « Le rôle de l'aristocratie dans la christianisation du nord-est de la Gaule », Revue d'histoire de l'Église de France, Paris, 63 (1976), dans Structures politiques du monde franc (VIe-XIIe siècles), Londres, Variorum Reprints, 1979, p.45-73
  22. Karl Ferdinand Werner, « Le rôle de l'aristocratie... », p.73
  23. Karl Ferdinand Werner, Les origines (avant l'an mil), Paris, Fayard, 1984, 635 pages, [coll. « Histoire de France », 1]

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