La Rhétorique à Herennius

La Rhétorique à Herennius

La Rhétorique à Hérennius, en latin Rhetorica ad Herennium, d’un auteur anonyme du Ier siècle avant l’ère chrétienne, est le plus ancien manuel de rhétorique connu. Il sert toujours d’ouvrage de référence pour qui étudie l’art oratoire.

Ce fut un ouvrage incontournable pour les étudiants et les lettrés du Moyen Âge et de la Renaissance. De pair avec le De Inventione de Cicéron, il servait à l’enseignement de la rhétorique et sa popularité est clairement attestée par le grand nombre de manuscrits (plus d’une centaine) qui nous sont parvenus et par les nombreuses traductions de l’original latin en langues vernaculaires.

L’ouvrage s’intéresse aux applications pratiques de la rhétorique et en étudie des exemples. C’est également le texte le plus ancien connu qui traite de la rhétorique d’une façon aussi structurée et rigoureuse.

Le passage qui examine l’elocutio, c’est-à-dire le style, est la plus ancienne étude systématique du style latin, émaillée d’un grand nombre d’exemples empruntés à l’actualité de son époque. Le traité reflète l’émergence d’un style nouveau qui devait s’épanouir dans le siècle qui suivit sa rédaction, provoquant une véritable révolution dans les lettres et l’art oratoire romains. C’est également dans ce traité que l’on trouve pour la première fois exposée la méthode mnémotechnique des loci, qui est à l’origine d’un nouveau genre, l’art de mémoire (Ars memoriae).

Sommaire

Auteur

Le manuscrit original ayant disparu, et avec lui le nom de l’auteur, celui-ci est resté inconnu malgré les efforts des spécialistes. La paternité du texte a été attribuée un temps à Cicéron, en raison des analogies avec le De l'invention. Dans les manuscrits médiévaux, la Rhetorique ad Herennium figure après ce livre, ce qui lui a valu le surnom de Rhetorica secunda[1] au XIIe siècle, ou de Rhetorica nova de la part des éditeurs qui pensaient que Cicéron avait souhaité reprendre et corriger le De Inventione, texte de jeunesse qu'il critique dans le De Oratore[1]. Dès le XVe siècle, des spécialistes (Lorenzo Valla, Raphael Regius) contestent cette attribution qui dès lors donne lieu à de nombreux débats. En 1835, le texte figure encore dans l’édition française des Œuvres complètes de Cicéron publiée chez Panckoucke dans une traduction de M. Delcasso. Ce dernier signale la polémique et les attributions selon lui fantaisistes qui ont été proposées[2] et tranche en faveur de Cicéron en s'appuyant sur des autorités telles que saint Jérôme[2]. Pour lui il s’agit d’une œuvre de jeunesse, que Cicéron aurait corrigée et remaniée pour composer le De Inventione, ce qui explique à la fois les similitudes et les différences entre les deux textes.

Les adversaires de l’attribution à Cicéron font valoir qu’elle est tardive, puisqu’elle est à peu près contemporaine de saint Jérôme (vers 340 - 30 septembre 420)[3]. Parmi les auteurs qui citent le De Inventione, ni Quintilien (Ier siècle apr. J.-C.), ni Aulu-Gelle (v. 115-120180), Marius Victorinus (milieu du IVe siècle), Maurus Servius Honoratus (fin du IVe siècle après J.-C.), ni même Cassiodore (vers 485 - vers 580) ne mentionnent un tel ouvrage comme étant de la main de Cicéron[1]. Selon les auteurs modernes qui contestent l’attribution à Cicéron, par exemple Henri Bornecque, le texte permet d’esquisser le portrait d’un homme mûr[4], ce qui contredit l’hypothèse d’une œuvre de jeunesse. Selon lui encore, l’auteur de La Rhétorique témoigne de goûts littéraires et de partis pris politiques fort éloignés de ceux de Cicéron[3] et il se montre critique vis-à-vis des auteurs grecs, ce qui n’est pas le cas de Cicéron[4].

Structure

Se présentant comme une lettre de l’auteur à Herennius, il est divisé en quatre livres, eux-mêmes comportant des subdivisions. Chaque livre comporte un préambule et une conclusion[5].

  • Le Livre I introduit les points que devra traiter l'ouvrage : les différentes sortes de discours (judiciaire, délibératif et épidictique) et les compétences que doit acquérir l’orateur touchant l’invention, la disposition, l’élocution, la mémoire et la performance, compétences qui s'acquièrent par la théorie, l’imitation mais surtout l’exercice.
    L’auteur entre ensuite dans le vif de son sujet en commençant par l’invention, ce qui l’amène à l’étude du discours qu’il recommande de structurer selon le découpage suivant : exorde, narration, division, confirmation, réfutation, péroraison. Suit un passage consacré aux causes judiciaires, qu'il interrompt délibérément pour ne pas lasser son lecteur[5].
  • Le livre II résume brièvement les sujets abordés dans le livre précédent avant de reprendre l’analyse de l’invention appliquée au discours judiciaire, le plus délicat aux yeux de l’auteur[5].
  • Le livre III étudie successivement des deux autres formes de discours, délibératif et épidictique, qui terminent la partie consacrée à l'invention, pour passer à la disposition, la mémoire et la performance[5].
  • Le livre IV est consacré à un discours illustrant les conseils théoriques donnés dans les livres précédents, où l’auteur débat des raisons qui l'ont poussé à choisir des exemples qu'il a lui-même inventés plutôt que les choisir dans la littérature comme le préconisent les rhéteurs grecs. Il étudie ensuite l’élocution[5].

Sources

La Rhétorique à Herennius fait référence sans toutefois les nommer aux rhéteurs grecs[6]. Avant elle, il n'existe pas d’œuvre didactique systématiquement consacrée à l’art de la parole qui nous soit parvenue. D’Isocrate (actif entre 390-338 av. J.-C.) nous est parvenu un texte qui concerne un aspect du discours épidictique, le Panégyrique, d’Aristote une Rhétorique (vers 332 av. J.-C.)[7] ; il existe d’autres écrits anonymes, La Rhétorique à Alexandre[8], et surtout de nombreuses allusions et citations dans les écrits des contemporains ou des successeurs des professeurs de rhétorique. En l’absence de preuves textuelles, les spécialistes ont souligné l'influence de l'école de Rhodes sur la base des idées développées dans le traité[1]. Le texte cite Démosthènes et Eschine et, à travers les références à Homère, Pythagore, Isocrate, Socrate ou Théophraste, témoigne d’une connaissance de la littérature grecque qui resterait assez lacunaire[1]. L’auteur se réfère en revanche fréquemment à l’histoire récente, notamment à la guerre sociale ou aux guerres civiles entre Marius et Sylla. Il cite les orateurs romains, témoignant d’une admiration particulière pour Caius Gracchus et Lucius Licinius Crassus[1].

Dates

Sur la base des événements historiques les plus récents cités par l’auteur, le traité pourrait avoir été écrit entre 86 et 82 av. J.-C.[1].

Notes et références

  1. a, b, c, d, e, f et g Anonyme (trad. Harry Caplan), « Préface », vol. 403, Harvard University Press, coll. « Loeb Classical Library », 1er janvier 1954, 496 p. (ISBN 978-0-674-99444-7 et 978-0-434-99403-8) 
  2. a et b Marcus Tullius Cicéron (trad. M. Delcasso, préf. M. Delcasso), Oeuvres complètes [« Rhetorica ad Herennium »], Rhétorique à Herennius, Paris, C.L.F. Panckoucke, 1835 [lire en ligne] 
  3. a et b Rhétorique à Herennius, 1932 [lire en ligne] 
  4. a et b L’entrée en matière, en effet, le montre occupé à gérer son patrimoine, Rhétorique à Herennius - Livre I, §1
  5. a, b, c, d et e Voir anonyme, « Rhétorique à Herennius »
  6. Notamment dans le livre IV
  7. Cicéron, Œuvres complètes 1835, p. 6
  8. Pseudo-Aristote (trad. Chiron, Pierre), , Les Belles Lettres, coll. « Collection des universités de France », 2002, 269 p. (ISBN 225100498) 

Bibliographie

  • (fr) Rhétorique à Herennius, Texte établi et traduit par G. Achard, ed. Les Belles-Lettres, 1989 (ISBN 978-2-251-01346-6)
  • (fr) M. Meyer, M. M. Carrilho, Histoire de la rhétorique, Lgf, 1999 (ISBN 978-2-253-94283-2) 
  • (de) Rhetorica ad Herennium (Friedrich Marx, ed. Prolegomena in editio maior .), Tuebner, Leipzig, 1923.
  • (de) Golla, Georg. Sprachliche Beobachtungen zum auctor ad Herennium, Breslau, 1935.
  • (de) Kroll, Wilhelm. Die Entwicklung der lateinischen Sprache, Glotta 22 (1934). 24-27.
  • (de) Kroll, Wilhelm. Der Text des Cornificius, Philologus 89 (1934). 63-84
  • (de) Tolkiehn, Johannes. Jahresbuch des philologischen Vereins zu Berlin 45 (1919)

Liens externes


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