Lance de Longinus

Lance de Longinus

Sainte Lance

La Sainte Lance (ou « lance de Longin (Longinus) ») est une des reliques de la Passion du Christ. Elle est considérée comme étant l’arme qui a percé le flanc droit de Jésus lors de sa crucifixion.

Sommaire

Présentation

La vénération de cette relique est mentionnée pour la première fois au VIe siècle, à Jérusalem. Elle fut transférée à Constantinople au début du VIIe siècle et, à partir du Xe siècle, fit partie des Reliques de la Passion conservées par les empereurs byzantins dans leur chapelle palatine, l’église de la Vierge Théotokos du Phare. La détention de cette collection de reliques faisait de Constantinople la nouvelle Jérusalem et de l’empereur le chef légitime de la chrétienté.

Cette relique prit une importance particulière à partir de la première croisade, ce qui entraîna sa multiplication au XIIIe siècle après le sac de Constantinople et le déclin de l’Empire byzantin. En 1098, les Croisés qui contestaient déjà les droits de l’empereur sur la Terre Sainte en découvrirent une autre à Antioche, mais elle disparut peu après. Cette découverte rendit toutefois la Sainte Lance fameuse en Occident : Turold la mentionne dans la Chanson de Roland, et Chrétien de Troyes associe une « lance sanglante » au Saint Graal dans Perceval. En 1244, le roi de France Louis IX achète les Reliques de la Passion de Constantinople, dont la Sainte Lance, et les transfère à la Sainte Chapelle, à Paris. Peu auparavant l’empereur germanique fit considérer comme « Sainte Lance » la lance de saint Maurice, conservée à Magdebourg, qui faisait partie depuis le Xe siècle des attributs impériaux. À la même époque, les Arméniens déclarent posséder la Sainte Lance au monastère Geghardavank près d’Erevan. À Constantinople, les derniers empereurs byzantins déclarent de leur côté toujours posséder la Sainte Lance.

Au XVIe siècle, celle de Constantinople fut remise par les Ottomans au pape. Celle de Paris a disparu pendant la Révolution française. Celles du Vatican et d’Arménie sont aujourd’hui conservées respectivement à Saint-Pierre de Rome et au musée Manougian d’Etchmiadzin. Après bien des péripéties, celle des empereurs germaniques est aujourd’hui conservée au palais du Hofburg, à Vienne. Cette dernière est devenue, depuis la Seconde Guerre mondiale, un sujet de fascination dans la culture populaire anglo-saxonne.

La légende de la Sainte Lance

Enluminure de l’Évangéliaire syriaque de Rabula (586)

Une tradition chrétienne veut qu’un soldat romain du nom de Longinus (en français Longin) ait percé le flanc du Christ sur la Croix à l’aide de sa lance, d’où le nom latin de la relique : Lancea Longini. La tradition veut que cette lance ne cesse jamais de saigner à sa pointe. Le détenteur de cette lance est le même que celui du Graal dans les légendes arthuriennes.

Cette lance n’est pas mentionnée dans les Évangiles synoptiques (Matthieu, Marc et Luc). Seul l’Évangile selon Jean (19, 33-35) précise : « S’étant approchés de Jésus, et le voyant déjà mort, ils ne lui rompirent pas les jambes; mais un des soldats lui perça le côté avec une lance, et aussitôt il sortit du sang et de l’eau. Celui qui l’a vu en a rendu témoignage, et son témoignage est vrai; et il sait qu’il dit vrai, afin que vous croyiez aussi. » (trad. Louis Segond).

Le nom de Longin n’apparaît qu’avec l’Évangile de Nicodème, un apocryphe du IVe siècle. Une enluminure des Évangiles de Rabula (en syriaque) copiés en 586, et conservés à la bibliothèque Laurentienne de Florence, représente le soldat romain perçant le flanc du Christ, avec la légende (en grec) ΛOΓINOC (Loginos). Par la suite, c’est ainsi qu’on nomme traditionnellement ce soldat, et il monte en grade puisqu’on en fait souvent le centurion qui commandait la garde au pied de la Croix et qui, selon Matthieu (27, 54) se serait converti juste après la mort du Christ. La tradition énonce aussi le fait qu’en perçant la poitrine du Christ, Longin, à moitié aveugle, ait reçu une goutte du sang et de l’eau du cœur percé, et en ait instantanément recouvré la vue. Ce nom, qui s’écrit ΛΟΓΓΙΝΟC (Longinos) en grec, vient peut-être du mot même qui veut dire « lance » : ΛΟΓΧΗ (longké).

Selon une tradition locale, la ville catalane de Llança (« Lance »), qui arbore trois lances dans son blason, prétend que Longin était originaire de ce lieu.

La Sainte Lance de Jérusalem

Aucun document ne mentionne cette relique avant le VIe siècle.

Le pèlerin Antonin de Plaisance qui décrit les lieux saints en 570 rapporte avoir vu à la basilique du Mont Sion « la couronne d’épines dont Notre Seigneur fut couronné et la lance avec laquelle il fut frappé au côté ». Un autre document de la même époque mentionne la présence de la Lance dans la Basilique de la Résurrection (Saint-Sépulcre). D’autres auteurs comme Cassiodore[1] ou encore Grégoire de Tours évoquent la présence à Jérusalem de cette Lance, mais sans l’avoir eux-mêmes vue.

Le fragment de Paris

Selon le Chronicon Paschale, en 615, année de la prise de Jérusalem par les Perses, la pointe de la Sainte Lance fut brisée et remise au patrice Nicetas, qui la rapporta en même temps que la Sainte Éponge à Constantinople et la déposa dans l’église Sainte-Sophie le 26 octobre 615[2].

Selon l'historien Walter Emil Kaegi, qui se base également sur le Chronicon_Paschale, mais en utilisant une autre datation, la Sainte Lance fut apportée à Constantinople par un autre Nikétas, fils du général perse Schahr-Barâz en 629, lorsque les Byzantins et Schahr-Barâz étaient alliés [3].

Après avoir échappé au sac de Constantinople en 1204, elle fut revendue en 1244 par Baudouin II, empereur latin de Constantinople, à Louis IX et transportée à Paris. Le roi la déposa dans la Sainte Chapelle à côté de la Couronne d’Épines. Elle y serait restée jusqu’à la Révolution et aurait été brièvement déposée à la Bibliothèque nationale de Paris avant de disparaître.

La lance de Saint-Pierre de Rome

En 1357, Jean de Mandeville assura avoir vu la Sainte Lance à Paris et à Constantinople, cette dernière plus grande que le fragment de Paris : il s’agissait de la partie inférieure de la relique.

En effet, si, comme on l’a vu, les Perses avaient remis la pointe de la lance au patrice Nicetas en 615, ils avaient emporté les principales reliques (dont la Vraie Croix) en Iran, et c’est l’empereur Héraclius qui les récupéra lors d’une contre-offensive victorieuse. Il les rapporta à Jérusalem. Mais plus tard, cette partie inférieure de la Sainte Lance de Jérusalem dut être transférée à Constantinople, peut-être au VIIIe siècle. C’est ainsi qu’elle y est toujours signalée au XIVe siècle.

Après la prise de la ville en 1453, elle tomba aux mains des Turcs. En 1489, le pape Innocent VIII passa un accord avec le sultan Beyazid II : il garderait le frère (et rival) du sultan prisonnier, en échange d’une rançon annuelle et de la Sainte Lance. C’est ainsi que la relique parvint à Rome en 1492. Au début du XVIIe siècle, Urbain VIII fit aménager par le Bernin quatre loggias dans les quatre piliers soutenant le dôme de la basilique, pour y placer les quatre plus importantes reliques de Saint-Pierre de Rome :

Deux statues visibles dans la basilique représentent cette Sainte Lance : la statue en bronze du tombeau d’Innocent VIII, par Antonio Pollaiuolo, représentant ce pape tenant le fer de la Sainte Lance, et une statue en marbre de saint Longin par le Bernin.

Au XVIIIe siècle, le pape Benoît XIV[4] déclara avoir fait réaliser un dessin précis de la pointe de lance parisienne, dont la forme complétait parfaitement le fragment de Saint-Pierre de Rome. Les trois reliques christiques (Vraie Croix, Sainte-Face et Sainte Lance) sont aujourd’hui rassemblées dans la chapelle du Pilier de Sainte Véronique, et sont exposées aux fidèles le cinquième dimanche de Carême. Toutefois, l’Église catholique ne revendique en aucune façon l’authenticité de ces reliques.


La Sainte Lance d’Antioche

Un miracle en 1098

Elle aurait été découverte à Antioche par un moine provençal du nom de Pierre Barthélémy qui faisait partie de l’armée de Raymond de Saint-Gilles, comte de Toulouse. En 1098, après que les croisés se furent emparés de la ville d’Antioche, ils se retrouvèrent à leur tour assiégés par les Turcs Seldjoukides de Kerbogha. Durant le siège, alors que les troupes étaient épuisées, affamées et démotivées, Pierre Barthélémy prétendit avoir eu une vision dans la rue : saint André lui aurait révélé que la Sainte Lance était enterrée dans la cathédrale Saint-Pierre d’Antioche. 12 terrassiers creusèrent sous le dallage de la cathédrale pendant toute une journée et, au soir, Pierre descendit dans la fouille et découvrit la Sainte Lance. Après cette découverte, saint André promit à Pierre Barthélémy la victoire pour les croisés si ces derniers jeûnaient durant cinq jours.

La découverte miraculeuse, et si opportune, ne fit pourtant pas l’unanimité chez les croisés. Plusieurs seigneurs et prélats, notamment Bohémond de Tarente et Adhémar de Monteil, évêque du Puy-en-Velay et légat du pape, avaient en effet déjà vu la Sainte Lance (celle de Jérusalem) à Constantinople, et restaient pour le moins sceptiques. La possibilité d’une mystification de la part de Pierre Bathélémy n’est pas non plus à écarter. Toutefois, elle remit du baume au cœur des troupes dont le moral était au plus bas, alors même que les dissensions gagnaient les rangs de l’armée musulmane qui assiégeait la ville. Alors que Bohémond envoyait Pierre l'Ermite en pourparlers avec l’Atabey Kerbogha, les forces franques s’organisèrent et les Croisés, avec Raymond d'Aguilers portant la Sainte Lance, réussirent après un combat difficile, à mettre en déroute l’armée musulmane et faire lever le siège d'Antioche. Cette victoire est aussi due au départ de certains émirs de l’armée suite aux disputes précitées, qui ne laissèrent que peu de résistances à la contre-attaque des croisés.

Une relique contestée puis oubliée

Malgré cette éclatante victoire qui assurait à elle seule le succès de l’expédition, la soi-disante Sainte Lance d’Antioche n’avait toujours pas convaincu tous les croisés, en raison des rivalités qui opposaient les principaux chefs comme Raymond de Saint-Gilles et Bohémond de Tarente. On soupçonnait Pierre Barthélémy d’être plus manipulé par Raymond qu’inspiré par saint André, et d’avoir des visions qui favorisaient un peu trop les intérêts du comte de Toulouse. Pour convaincre tout le monde, Pierre Barthélémy accepta de se soumettre à l’ordalie : portant la Sainte Lance, il traverserait un brasier devant toute l’armée réunie. Ce fut fait le vendredi saint 8 avril 1099. Pierre ressortit vivant malgré de graves brûlures, et faillit périr étouffé et dépecé vivant par la foule qui le regarda comme un saint et se jeta sur lui pour prélever des reliques. Quelques jours plus tard, Pierre mourut des suites de ses brûlures : pour la plupart des Francs la question de la lance était résolue, ce n’était pas la Sainte Lance du Seigneur.

Les seuls désormais qui y croyaient encore étaient les Provençaux de Raymond de Saint-Gilles, tandis que les chroniqueurs de la croisade n’évoquent plus cette relique à propos de la prise de Jérusalem le vendredi 17 juillet 1099, ni plus tard. Si les Occidentaux n’en parlent plus, c’est dans la chronique de Mathieu d'Édesse que l’on trouve ce qu’il en advint : Raymond de Saint-Gilles l’avait emportée en Europe après la prise de Jérusalem, au grand scandale de tous, et l’aurait rapportée en Orient quand il revint en 1101 à Constantinople dans le dessein d’attaquer Tripoli[5]. Mais il fut défait par les Turcs près de Nicée et, selon Caffaro, la relique fut alors perdue. On ne sait plus, désormais, ce qu’est devenue la Sainte Lance d’Antioche : conservée à Constantinople, ou bien prise par les Turcs, voire récupérée plus tard par les croisés puisque, selon Anselme de Gembloux, la Sainte Lance aurait été portée par Pons de Melgueil abbé de Cluny à la bataille d’Ascalon[6] le 18 avril 1124.

Une hypothèse arménienne : la Lance de Beyrouth

Puisqu’il est absolument certain que la Sainte Lance d’Antioche n’était pas celle de Jérusalem, vénérée depuis le VIe siècle, que pouvait-elle être ? On fait traditionnellement l’hypothèse qu’il s’agissait du premier bout de ferraille pointu trouvé en creusant sous la cathédrale d’Antioche, voire d’une pure supercherie. Mais ce n’est sans doute pas le cas. Raymond d'Aguilers, chapelain du comte de Toulouse et présent dans l’église au cours des fouilles, relate la découverte en témoin oculaire : « Moi Raimond, qui écris ceci, au moment où on ne voyait encore que la pointe de la lance paraître au-dessus de la terre, je la baisai ». [7]. Anselme de Ribemont, autre témoin, a écrit à l’archevêque de Reims que la lance fut trouvée « sous le pavé de l’église Saint-Pierre, à une profondeur double de la hauteur d’un homme ». [8]. Cela fait entre 3 et 4 m de profondeur. Même en admettant que les croisés épuisés et angoissés aient été prêts à croire n’importe quoi, il est évident que cette lance devait se présenter aux fouilleurs dans un contexte qui montre clairement qu’il s’agissait d’une relique. Or c’est précisément ce que dit Theofried Abbé d’Echternach (ou Epternach), contemporain des faits mais parlant par ouï-dire : « Cette framée si précieuse, l’an de l’incarnation du Verbe mille quatre-vingt-dix-huit, grâce à une révélation divine, fut découverte à Antioche dans un coffre de marbre et fixée sur un étendard… » [9].

Ces maigres indications permettent de comprendre ce que Pierre Barthélémy a mis au jour. L’Antioche du XIe siècle était bâtie sur déjà au moins plus de dix mètres de décombres accumulés par les nombreux séismes qui ont rasé la ville dans l’Antiquité et au début du Moyen Âge. Entre 3 et 4 m, les fouilleurs du XIe siècle étaient certainement au niveau de l’église protobyzantine qui avait forcément précédé celle dans laquelle ils se trouvaient. Dans ces églises syriennes du Ve siècle ou VIe siècle, on enterrait des reliquaires en pierre sous le chœur. Sans qu’on puisse l’affirmer, il est tentant de penser que l’arca marmorea (coffre de marbre) dont parle Theofried d’Echternach est un tel reliquaire, typiquement syrien, contenant un fer de lance autrefois vénéré comme une relique.


Au XIIIe siècle le chroniqueur arménien Vartan le Grand, sans citer sa source, croit savoir ce qu’était cette lance. Il écrit : « Les Francs trouvèrent sur la droite, dans l’église de Saint Pierre, la lance avec laquelle les Juifs percèrent par dérision l’image du Sauveur, d’où il sortit du sang et de l’eau, comme du côté véritable du Christ. Cette lance fut vénérée à l’égal de celle qui pénétra dans le corps de Dieu et que les Arméniens possèdent. Fortifiés par cette arme, les Francs vainquirent leurs ennemis ; plus tard ils l’envoyèrent à l’empereur Alexis ». [10]. Vartan fait allusion à la Lance de Béryte (Beyrouth), et à un incident qui, selon Athanase d'Alexandrie, se serait produit à Béryte sous Constantin II au IVe siècle [11].

Rien ne permet de savoir d’où Vartan tire cette explication. Elle a le mérite de s’accorder parfaitement avec les faits, car une telle lance dont l’histoire est une répétition de celle de la lance de Longin a fort bien pu être vénérée en Syrie à partir du IVe siècle, et s’être retrouvée à Antioche où les destructions du VIe siècle l’auront rendue inaccessible, alors que la tradition locale en conservait le souvenir.

Le Geghard d’Etchmiadzin (Arménie)

En 1655, le voyageur français Jean-Baptiste Tavernier est le premier occidental à signaler cette relique en Arménie.
La Sainte Lance d’Etchmiadzin

Une Sainte Lance (en arménien Geghard) est aujourd’hui exposée à Etchmiadzin, capitale religieuse de l’Arménie. La première source qui la mentionne est un texte du XIIIe siècle reproduit dans un manuscrit arménien [12], texte intitulé Les saintes reliques de Notre Seigneur Jésus Christ. Selon ce texte, la lance dont Jésus fut transpercé aurait été apportée en Arménie par l’apôtre Thadée. Le manuscrit ne précise pas où précisément elle est conservée, mais donne de la Sainte Lance une description qui correspond exactement au Geghard du monastère qui porte, depuis le XIIIe siècle justement, le nom de Geghardavank (monastère de la Sainte Lance).

C’est là qu’en 1655 le voyageur français Jean-Baptiste Tavernier en fait un croquis assez approximatif. En 1805, les Russes prirent le monastère et le prince Tchitchanov transféra le Geghard à Tbilissi (Géorgie). Elle revint plus tard en Arménie à Etchmiadzin, où elle se trouve toujours, visible au musée Manougian, enchâssée dans un reliquaire du XVIIe siècle.

Cette Lance d’Etchmiadzin n’a jamais été une arme. C’est plutôt la pointe d’une enseigne, peut-être byzantine, avec un fer en forme de losange ajouré d’une croix grecque. S’agit-il de la Sainte Lance d’Antioche découverte par Pierre Barthélemy ? C’est pour certains une hypothèse : la relique des croisés disparaît des chroniques un siècle avant que le Geghard apparaisse dans les sources arméniennes.

La Sainte Lance de Smyrne (Izmir, Turquie)

Une Sainte Lance, presque identique à celle d’Etchmiadzin, fut apportée en 1718 par les pères dominicains d’Arménie à Izmir, où étaient venus se réfugier les catholiques arméniens fuyant l’occupation perse. Elle est toujours conservée par les dominicains d’Izmir.


La Sainte Lance du Saint-Empire romain germanique

LANCE DE LONGINUS (La Sainte Lance du trésor des Habsbourg à Vienne)
Dessin de la Sainte Lance du trésor des Habsbourg d’après F. de Mély, 1904

La première description de cette lance se trouve dans l’Antapodosis de Liutprand de Crémone au Xe siècle. Luitprand ne la présente pas comme une relique, et en retrace l’histoire : en 921 ou 922 le comte Samson, avec d’autres seigneurs italiens, a fait appel à Rodolphe II de Bourgogne pour qu’il prenne le royaume d’Italie et en chasse l’empereur Bérenger Ier de Frioul. À cette occasion, Samson remet à Rodolphe la Lance. Selon Liutprand, le roi allemand Henri l’Oiseleur désirait l’avoir et menaça Rodolphe II d’envahir ses États. Rodolphe céda et Henri lui fit de riches présents, entre autres une grande partie de la Souabe [13].

Elle passa ensuite aux divers empereurs du Saint-Empire romain germanique qui la font transférer à la cathédrale de Magdebourg, fondation d’Otton le Grand et point d’appui symbolique de leur pouvoir. Elle fut intégrée au rituel de leur sacre. On considérait à l’époque que cette lance avait été forgée avec un clou de la Passion. L’empereur Conrad (1027-1039) fit confectionner un reliquaire d’or en forme de croix gemmée pour y loger la Lance et un morceau du bois de la Vraie Croix (ce reliquaire est toujours à Vienne). L’empereur Henri IV (1084-1105) fait placer sur la lance la feuille d’argent qui désigne cette relique comme clou de la Passion fixé à la "Lance de Saint Maurice". Il n’est pas encore question, à l’époque, de Sainte Lance.

C’est dans le premier tiers du XIIIe siècle qu’un document pontifical désigne cette lance comme une double relique (Lance de Longin + clou de la Passion), et cette identification est admise dans tout l’Empire au XIVe siècle. En 1350, l’empereur Charles IV la transfère à Prague, et obtient du pape Innocent VI le droit de faire célébrer dans tout son empire une Fête de la Sainte Lance. C’est Charles IV qui fait placer la feuille d’or identifiant la relique comme "Lance et Clou du Seigneur". La lance fut ensuite transférée à Nuremberg à partir de 1424, par ordre de l’empereur Sigismond qui déclara : « C’est la volonté de Dieu que la couronne, le globe, le sceptre, la croix, l’épée et la lance du Saint Empire Romain ne quittent jamais le sol de la Patrie ». Cette collection est appelée Reichskleinodien ou "regalia impériaux".

Les Reichskleinodien ramenés à Vienne par les Américains
Sacre de l’empereur Henri II, tenant dans la main gauche l’Épée de l'Empire (Reichsschwert) et dans la main droite la Sainte Lance. Sacramentaire d'Henri II, Munich, Staatsbibliotek

En 1796, à l’approche des troupes françaises qui menaçaient Nuremberg, le Conseil de la ville fit mettre les Reichskleinodien à l’abri à Ratisbonne, puis, en 1800, à Vienne (craignait-on que Bonaparte, s’emparant de la Sainte Lance, ne puisse ainsi régner sur le monde ?). La menace française s’approchant de Vienne, on les confia à un certain baron von Hügel jusqu’à ce que leur sécurité pût être assurée. Après la dissolution du Saint Empire en 1806, von Hügel profita du flou juridique pour revendre les Reichskleinodien à l’empereur d’Autriche, qui refusa de les restituer plus tard à la ville de Nuremberg. Ils restèrent donc à Vienne comme propriété des Habsbourg puis, après la révolution de 1918, de l’État autrichien. Après l’Anschluss en 1938, Adolf Hitler les rapporta à Nuremberg. Saisis dans un bunker par les Américains en 1945, les Reichskleinodien, comprenant la Sainte Lance, furent restitués à l’État autrichien et sont aujourd’hui conservés au palais du Hofburg à Vienne, où l’ensemble est visible dans la Schatzkammer (Chambre du Trésor).

La Sainte Lance est recouverte d’une feuille d’argent et d’une feuille d’or. On peut lire, sur la feuille d’argent, l’inscription datable de 1084 : « CLAVVUS + HEINRICVS D(EI) GR(ATI)A TERCIVS ROMANO(RUM) IMPERATOR AVG(USTUS) HOC ARGENTUM IVSSIT FABRICARI AD CONFIRMATIONE(M) CLAVI LANCEE SANCTI MAVRICII + SANCTVS MAVRICIVS » : "Clou + Henri par la Grâce de Dieu Troisième empereur des Romains Auguste a ordonné que soit faite cette bande d'argent pour attacher solidement le Clou et la Lance de Saint Maurice + Saint Maurice". En 1350, Charles IV a fait mettre une feuille d'or par-dessus la feuille d’argent avec l’inscription suivante « LANCEA ET CLAVUS DOMINI » - "Lance et Clou du Seigneur".

Une expertise faite au début du XXe siècle a conclu qu’il s’agit d’une lance lombarde du VIIIe siècle-IXe siècle, ce qui s’accorde bien avec ce qu’en disait Liutprand de Crémone. On suppose qu’il s’agissait à l’origine d’un insigne royal burgonde, lié au culte de saint Maurice, d’où la légende tardive qui voulut que Maurice, soldat romain de la Légion thébaine, sous la Tétrarchie, ait utilisé la Sainte Lance de Longin pour combattre.

La Sainte Lance de Cracovie (Pologne)

La Sainte Lance de Cracovie

Une autre Sainte Lance est attestée à Cracovie : il s'agirait d'une copie réalisée sous l’empereur Henri II, dans laquelle on a incorporé un fragment de l’original. Considérée comme le premier insigne du pouvoir royal polonais, cette réplique de la lance, accompagnée d'un fragment du clou de la crucifixion, a été offerte au roi de Pologne Boleslas Ier Le Vaillant, lors du synode de Gniezno (7 au 15 mars 1000) par l'empereur Otton III. Après 1031, la lance, avec les autres insignes royaux polonais, a été rendue à l'empereur Conrad II. Restituée dans la seconde moitié du XIe siècle au roi de Pologne Casimir Ier le Restaurateur, elle a été placée dans la cathédrale de Wawel (château royal de Cracovie) en tant que relique. D'abord accrochée près de l'autel principal, au-dessus du trône des archevêques de Cracovie, elle a été avec le temps enfermée à la salle du trésor de la cathédrale royale de Wawel, qu'elle ne quittait plus que lors de fêtes importantes. De nos jours, seule la lance se trouve toujours dans la salle du trésor de la cathédrale de Wawel. Quant au reliquaire contenant le fragment du clou de la crucifixion qui accompagnait la lance, en 1669, il a été emporté à Paris par le roi de Pologne Jean II Casimir Vasa où, en 1793, il sera détruit par les révolutionnaires lors de la mise à sac de l'abbaye de Saint-Germain-des-Prés.

Une copie analogue a été réalisée pour le roi de Hongrie, mais a disparu au Moyen Âge.


La Sainte Lance dans la littérature

Dans la Chanson de Roland, il est dit que la pointe de la Sainte Lance est enchâssée dans le pommeau de Joyeuse, l’épée de Charlemagne. On tire argument de ce passage pour dater ce poème de 1100, au moment où la découverte de Pierre Barthélémy à Antioche faisait grand bruit en Europe.

Dans le courant du XIIe siècle apparaît une « lance sanglante » dans le roman mystique de Chrétien de Troyes Perceval ou le Conte du Graal. Bien sûr on pense à la lance de Longin (et Chrétien de Troyes ne pouvait l’ignorer), mais nulle part il n’est dit que ce soit celle-là. Cette lance, élément secondaire chez Chrétien de Troyes, prend une importance plus grande dans la version allemande, le Parzival de Wolfram d'Eschenbach. Au XIXe siècle, elle devient un élément central de la version lyrique de Richard Wagner, Parsifal.

Quant à la Sainte Lance du Saint-Empire, elle a suscité toute une littérature anglo-saxonne plus ou moins fantastique. Le Général George Patton (qui a peut-être vu la Lance en 1945) avait écrit un poème (Through a glass, darkly) dans lequel il disait avoir été Longin dans une vie antérieure. Mais c’est Trevor Ravenscroft qui, dans The Spear of Destiny (La Lance du Destin, éditions Albin Michel 1973; éditions Camion Noir, 2009), fait de cette Lance de Vienne un objet quasi-magique auquel les nazis attribuaient des pouvoirs surnaturels. L’influence de ce livre fut grande aux États-Unis : beaucoup d’autres romans, essais ou films ont développé ce thème des nazis chasseurs de reliques, dont on trouve l’écho dans la série des Indiana Jones de Steven Spielberg. C’est ainsi que la culture populaire, américaine à l’origine, s’est emparée de la lance du Saint-Empire, le plus souvent sous le nom de « lance du Destin » emprunté à Trevor Ravenscroft et plus acceptable par le public de culture protestante. On ne compte plus les films, téléfilms, dessins animés, mangas, bandes dessinées, jeux de rôle, voire groupes de rock gothique qui y font allusion. L’un des thèmes les plus fréquents est que les nazis n’avaient laissé à Nuremberg qu’une copie, et ont dans leur fuite caché la vraie quelque part en Amérique du Sud ou dans l’Antarctique, ou encore que les Américains ont bien récupéré la vraie mais n’en ont rendu qu’une copie aux Autrichiens, gardant la vraie quelque part aux États-Unis.

Bande dessinée

La lance de Longinus est le thème central de la série Le Gardien de la Lance (collection La Loge noire, Glénat), qui la présente comme une pièce d'un puzzle dont la reconstitution conférerait un pouvoir illimité. Malheureusement, celle qui se trouve au musée du Hofburg à Vienne est une copie. Dans Sur la terre comme au ciel (traduction des comics Light Brigade #1-4, Soleil Productions), Longinus a survécu jusqu'au XXe siècle pour racheter sa faute et tente de préserver un artefact appelé l'Épée de Dieu de la convoitise d'un Grigori. Il est également fait référence à la lance mythique dans les tomes 7 et 8 de Wayne Shelton : La Lance de Longinus et La Nuit des aigles (Dargaud).

Un instrument rituel des chrétiens d'orient

Le terme « sainte lance » désignait dans le christianisme primitif (et aujourd’hui encore chez les chrétiens orthodoxes) le couteau liturgique qui permettait de rompre le pain durant l’Eucharistie, renouvelant symboliquement sur le pain devenu corps du Christ la blessure infligée par Longin lors de la crucifixion.

Bibliographie

Fernand de Mély, Exuviae sacrae Constantinopolitanae - La Croix des premiers croisés ; la Sainte Lance ; la Sainte Couronne, Paris (E. Leroux) 1904.

Charbonneau-Lassay, "La blessure du côté de Jésus", Regnabit, n° 6, novembre 1923 (Rééd. dans Etudes de Symbolique Chrétienne, Gutenberg Reprint, 1981, pp. 148-185. À noter que l'auteur reproduit la Sainte Lance conservée à Saint-Pierre de Rome.

Articles connexes

Notes et références

  1. In Ps. lxxxvi, Patrologia Latina LXX, 621
  2. Il existe plusieurs versions byzantines de cet événement qui fit grand bruit, au moment où la prise de Jérusalem par les « barbares » était ressentie comme la plus grande catastrophe de tous les temps. Le Chronicon Paschale précise : « Sacra spongia […] veneranda lancea e sacris Hierosolymarum locis allata est, quam quidam familiaris execrabilis Sarbarae, acceptam a barbaris, dedit Nicetae » : « la Sainte éponge […] la lance vénérable fut rapportée des lieux saints de Jérusalem ; un familier de l’exécrable Sarbaras l’avait reçue des barbares et donnée à Nicétas ».
  3. Walter Emil Kaegi, Heraclius, Emperor of Byzantium p.189, Cambridge University Press, 2003
  4. De Beat. et Canon., IV, ii, 31
  5. Matthieu d’Édesse, Chronique XXII, dans Recueil des Historiens des Croisades, Paris (Imprimerie impériale) 1869 p. 56.
  6. F. de Mély p. 48 et note 1
  7. Traduit du latin de Raymond d'Aguilers, Historia Francorum qui ceperunt Jerusalem, dans le vol. III du Recueil des Historiens des Croisades.
  8. cité par Pierre Barret et Jean-Noël Gurgand, Si je t’oublie, Jérusalem, Paris (Hachette) 1982 p. 279
  9. Theofridi Epternacensis Flores Epitaphii Sanctorum IV, 3 ; cf. Migne, Patrologia Latina 157, col. 394
  10. cité par F. de Mély p. 58
  11. De passione imaginis Domini nostri Jesu Christi, qualiter crucifax est in Syria, in urbe que Beritus dicitur, temporibus Constantini junioris et Hyrene, uxoris ejus, dans Migne, Patrologia Latina 28, col. 810
  12. Bibliothèque nationale de Paris, Manuscrit arménien 74, folios 145-147
  13. Liutprand de Crémone, Antapodosis IV.25
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