Religion mésopotamienne

Religion mésopotamienne

Pour les Anciens mésopotamiens, le monde était dirigé par des dieux, pour qui les hommes devaient travailler. Les États du pays des deux fleuves, avec leurs souverains à leur tête, devaient donc organiser la société et l'économie de manière à ce que les dieux puissent obtenir ce qui allait leur permettre de vivre oisivement, par le biais du culte. Quiconque enfreignait l'ordre voulu par les dieux devait en subir les conséquences, tandis que ceux qui accomplissaient correctement le culte devaient prospérer.

La religion mésopotamienne n'a jamais fait l'objet d'une abstraction comme c'est le cas dans les sociétés modernes. Les Mésopotamiens n'ont donc jamais cherché à en dresser un tableau. Il faut donc combiner tout un ensemble de sources de façon à constituer ce tableau : vestiges archéologiques des temples dans lesquels on accomplissait le culte, objets dédiés aux dieux pour obtenir leurs faveurs, textes décrivant des récits mythologiques, ou bien des rituels divers accomplis par des spécialistes du culte, etc. Avec la religion de l'Égypte antique, la religion mésopotamienne est celle sur laquelle on est le mieux informé grâce à ce corpus documentaire, qui pourtant laisse encore bien des mystères.

La redécouverte de la religion de l'ancienne Mésopotamie, au XIXe siècle, a été très marquée par la recherche des révélations que celle-ci pouvait faire sur les origines de la Bible. Mais l'étude de la religion mésopotamienne est devenue un objet pour elle-même, et continue de progresser avec la publication de nouveaux textes et la réinterprétation d'autres.

Le roi Melishipak II de Babylone (1186–1172) présentant sa fille à la déesse Nanaya, détail d'un kudurru retrouvé à Suse.

Sommaire

Sources

Comme pour bien d'autres aspects de la société mésopotamienne, les sources sur la religion combinent les textes, les réalisations artistiques et architecturales, tous connus grâce aux fouilles archéologiques. Celles-ci ayant longtemps privilégié les lieux du pouvoir (palais, temples, résidences les plus vastes), et les œuvres d'art et textes les plus remarquables ayant été produits par le milieu des élites (scribes et artistes travaillant pour les temples et les palais), elles nous informent donc essentiellement sur la religion vue par le haut de la société, et l'on ne sait pas dans quelle mesure cela est révélateur de l'ensemble de la société.

Les sources écrites

Tablette du Déluge de l’Épopée de Gilgamesh, version retrouvée à Ninive, VIIe siècle.

Les sources écrites, en majorité sur des tablettes cunéiformes, constituent la plus massive et la plus diverse de nos sources sur la religion des Anciens mésopotamiens. L'attention des chercheurs et du public cultivé a porté en priorité sur les textes littéraires racontant des mythes[1], tels que l'Épopée de Gilgamesh, l'Épopée de la Création, la Descente d'Ishtar aux Enfers, ou encore l'Atrahasis, notamment en raison de leurs parallèles avec la Bible. Mais il ne constituent pas une source sur la religion quotidienne des habitants de la Mésopotamie antique, car ils sont le produit d'un milieu lettré souvent proche du pouvoir politique, ne cherchant pas forcément à retranscrire une tradition orale populaire[2]. Les hymnes, prières et poèmes de nature religieuse sont des documents importants pour connaître l'expression du sentiment religieux[3]. Néanmoins il est vraisemblable que la production écrite retrouvée ne représente qu'une faible partie de ce qui devait circuler oralement, d'autant plus que les textes connus datent essentiellement des périodes tardives de l'histoire mésopotamienne (la première moitié du Ier millénaire).

Les rituels et autres actes du culte étaient reportés dans des textes de nature technique servant à aider les spécialistes du culte (notamment les devins, astrologues, exorcistes, lamentateurs, etc.)[4]. Ils constituent la majorité des textes religieux retrouvés dans les bibliothèques du Ier millénaire (comme Ninive, Sippar). Les textes du quotidien (correspondance, actes de la pratique comme les comptes d'entrées de bêtes pour les sacrifices dans les temples) contiennent également de précieuses informations sur la religion mésopotamienne.

Au final, les sources écrites proviennent du milieu des scribes lettrés, officiant pour le compte du temple ou du palais. La religion « populaire » est donc laissée de côté.

L’art

Sceau-cylindre représentant une scène de culte rendu au dieu du Soleil, Shamash.

L'art religieux[5] est particulièrement important car il a sans doute touché un spectre social bien plus large que celui attesté dans les sources écrites. Si certaines œuvres étaient réservées aux temples et aux palais, et étaient soustraites à la vue du plus grand nombre, d'autres devaient être accessibles au peuple. Du reste, les fouilles dans les résidences ont livré des objets qui avaient la fonction d'amulette, et des ex-voto déposés par des individus dans des temples ont été retrouvés. Les sceaux-cylindres, courants dans la société mésopotamienne, portent souvent des scènes religieuses. De ce fait, l'art reflète sans doute fidèlement les croyances du plus grand nombre. Les œuvres d'art religieux les plus remarquables restent néanmoins le fait du monde des élites, notamment les statues et bas-reliefs commandités par des rois ou de grands personnages des royaumes mésopotamiens. L'art religieux complète et pallie souvent les lacunes des sources écrites, et il est indispensable pour approcher la religion des périodes pré-historiques.

Les édifices religieux connus par l'archéologie

La ziggurat d'Ur.

Les archéologues ayant fouillé les sites de l'ancienne Mésopotamie se sont en premier lieu intéressés aux espaces les plus importants des grandes villes de cette région, donc en priorité leur cœur politique et religieux[6]. De nombreux temples et parfois le complexe cultuel les entourant ont ainsi été mis au jour, avec leur cortège d'artefacts (statues, ex-voto, objets servant au culte, archives écrites) quand ils avaient été laissés sur place - ce qui est plus l'exception que la règle. L'archéologie a néanmoins permis de reconstruire l'organisation spatiale des lieux de culte, et parfois le déroulement des rituels, notamment quand elle pouvait être combinée aux sources textuelles.

La religion mésopotamienne dans son contexte culturel et historique

La Mésopotamie des débuts de l'Histoire (fin du IVe millénaire) est divisée entre deux groupes ethniques dominants : les Sumériens, vivant à l'extrême sud de la plaine, et des Sémites occupant la majeure partie du Pays des deux fleuves, que l'on appelle par commodité les Akkadiens. La présence d'autres peuples aux périodes antérieures est fort probable, mais leur influence sur la culture mésopotamienne est mal connue. Les racines de la religion mésopotamienne sont donc impossibles à appréhender. Cette période est marquée par la division de la région en plusieurs cités-État indépendantes, qui bien que partageant une culture commune avaient une identité propre qui se manifeste parfois dans leurs croyances et pratiques religieuses (divinités et fêtes locales).

Il est clair que ce sont les Sumériens qui jouent un rôle dominant dans la culture de la région à cette période, et ce sont leurs mythes avec leurs dieux qui sont les premiers mis par écrit. Cependant, leurs contacts avec les Akkadiens sont très importants dès cette période, et un syncrétisme se met en place. Les divinités sumériennes sont ainsi identifiées à celles des akkadophones. De là découle la spécificité de la culture mésopotamienne des siècles suivants, qui fait que malgré la disparition des Sumériens vers la fin du IIIe millénaire et le début du IIe, leur langue et leurs rituels ne sont pas oubliés, et sont préservés dans le milieu des temples. La Mésopotamie présente une autre importante division, entre le nord et le sud, qui reste prégnante sur le plan culturel, même quand les Sémites deviennent aussi dominants au sud. À partir du XXIVe siècle, la basse Mésopotamie est le cœur de deux Empires successifs, qui étendent leur domination sur les régions voisines : l'Empire d'Akkad et celui d'Ur III. À cette période, la Mésopotamie voit l'arrivée de nouveau peuples : les Amorrites (sémites), et les Hourrites (présents en grand nombre dans la moitié nord), qui apportent certains éléments de leur culture, les premiers se fondant plus dans le moule suméro-akkadien que les seconds. Des peuples venus du Zagros se dirigent aussi vers la plaine mésopotamienne, mais en groupes plus restreints (Élamites, Kassites, Gutis).

La seconde moitié du IIe millénaire voit la séparation entre le nord et le sud se matérialiser en politique par la division entre les royaumes d'Assyrie et de Babylone. Leur stabilité et leur affirmation politique voient notamment l'apparition d'un phénomène d'hénothéisme qui tend à faire de leurs dieux nationaux (Assur et Marduk) des divinités dominantes. À la fin du IIe millénaire, un peuple sémite arrive en grand nombre en Mésopotamie à partir du nord : les Araméens, avec leur culture, leurs dieux, ainsi que leur langue qui devient progressivement parlée dans toute la vallée. Au Ier millénaire, la civilisation mésopotamienne s'étiole progressivement, surtout après la chute des Empires assyrien puis babylonien aux VIIe et VIe siècles, puis la domination de peuples étrangers à la vallée (Perses, Grecs, Parthes). La culture mésopotamienne traditionnelle devient confinée aux milieux des temples du sud de la vallée, où elle disparaît progressivement de nos sources avec la disparition de la pratique du cunéiforme, solidaire des anciennes traditions. Il demeure sans doute une religion reprenant l'héritage de cette ancienne religion, mais il n'en reste que peu de traces, et elle disparaît avec l'arrivée du christianisme, de mazdéisme des Perses puis celle de l'islam.

Les croyances religieuses

Les Dieux

Marduk, le dieu de Babylone, et son attribut, le dragon-serpent mushkhushu.

Selon les croyances des Anciens mésopotamiens, le Monde est gouverné par des êtres supérieurs de par leur nature, les Dieux (DINGIR/ilu(m)). Les dieux ont beau être représentés sous une forme humaine, leur supériorité sur l'être humain est évidente dans tous les domaines[7]. Ils sont grands, puissants, glorieux, parfaits, très sages et intelligents, etc. Ils ont comme attribut un sorte de « splendeur divine », melammu(m), qui montre leur supériorité. L'exaltation de la grandeur divine est claire dans les nombreux hymnes qu'ont laissé les scribes mésopotamiens. Les dieux vivent éternellement, même s'ils ne sont pas immortels, puisqu'il arrive qu'ils se fassent tuer, mais très exceptionnellement. Les dieux sont les administrateurs du Monde, ils assignent un « destin » (NAMTAR/šimtu(m)) à chacune des choses qui le constitue, et qu'ils ont créé eux-mêmes à leur profit. Dans les mythes, les dieux ont pourtant bien des défauts, comme des êtres humains : ils peuvent être irascibles, trompeurs, sombrer dans l'alcool, se laisser submerger par leurs envies sexuelles, etc.

Les Mésopotamiens vénéraient une multitude de dieux, qu'ils n'ont jamais réellement organisé sous la forme d'un « panthéon »[8]. Il n'y a jamais eu un système cohérent de divinités dont on ait fixé clairement les rôles, les positions respectives et les relations familiales, même si on trouve des constantes. La durée de l'histoire de la Mésopotamie empêche cela. La perception des dieux a évolué au cours du temps, parfois selon les changements politiques, et les différences entre Sumériens et Sémites ont troublé leur image, de même que le syncrétisme en général, avec même l'adoption de dieux extérieurs au Pays des deux fleuves. Les divinités sont liées à des fonctions, ou encore à des éléments naturels, et parfois même des éléments naturels sont divinisés, comme des fleuves ou des montagnes. Les divinités peuvent avoir des attributs (des objets ou bien des animaux) symbolisant certaines de leurs caractéristiques. La divinisation d'êtres humains prestigieux de leur vivant ou après leur mort est rare : elle concerne des souverains semi-légendaires (comme Gilgamesh d'Uruk) ou bien des rois des dynasties d'Akkad (Narâm-Sîn) et d'Ur III (Shulgi).

Le IIIe millénaire, première période pour laquelle on dispose de connaissances étoffées sur les divinités mésopotamiennes, est la période des panthéons locaux : chaque cité-État a son propre système de dieux locaux, différents de ces voisines. Mais cela n'empêche par l'émergence d'une « triade » de dieux supérieurs et communs à tous : An/Anu(m), le Ciel, et Enlil, le dieu de l'Air, et Enki/Ea, dieu de l'Abîme, considérés comme ses fils ou bien ses frères cadets. On trouve souvent à leurs côtés Nanna/Sîn, le Dieu-Lune, Utu/Shamash, le Dieu-Soleil, et Inanna/Ishtar, la déesse de l'Amour et de la Guerre. Enlil est considéré comme le roi des Dieux, avant que la suprématie politique et culturelle de Babylone ne s'affirme durant la seconde moitié du IIe millénaire et ne tende à faire de son dieu tutélaire Marduk le nouveau chef de tous les Dieux. Un phénomène semblable se fait en Assyrie, autour du dieu national Assur. Le Ier millénaire voit ainsi une tendance à l'hénothéisme, même si cela n'empêche jamais l'existence d'une foule de divinités.

Le Monde

« Carte du Monde » babylonienne, VIIe siècle av. J.-C.

Les textes mythologiques mésopotamiens présentent diverses traditions relatives à la création du Monde (cosmogonie). Aucun récit n'est uniquement consacré à cet événement, chacun étant intégré dans un récit plus large[9]. Un thème récurrent relatif à la création du Monde raconte que celle-ci s'est faite par la séparation du Ciel (AN) et de la Terre (KI), qui auraient été unis à l'origine. On la retrouve dans un récit sumérien racontant une aventure du héros Gilgamesh, dans le Mythe de l'Atrahasis. Dans un tenson sumérien, Arbre contre Roseau, le Ciel et la Terre sont déjà séparés, et le premier féconde la seconde, ce qui fait apparaître la végétation. Un texte médical, donnant des indications pour lutter contre un « ver dentaire » (auquel on attribuait des maux de dents), raconte comment le dieu Anu a créé le Ciel, qui a créé la Terre, laquelle aurait créé les Rivières, etc. Le mythe le plus précis sur la création du Monde est l'Épopée de la Création (Enuma Eliš), qui attribue cet acte au dieu Marduk. Ce dieu devient le roi des divinités après avoir vaincu Tiamat, la mère des dieux, et c'est à partir de son corps qu'il façonne le Monde.

Selon les reconstitutions qui ont pu être faites à partir de différents textes[10], les Mésopotamiens se représentaient l'Univers comme une vaste sphère dont la partie supérieure était le Ciel, et la partie inférieure était l'Enfer (l'En-bas, voir ci-dessous). La Terre coupait cette sphère à son diamètre. Elle reposait sur l'apsû, les Eaux souterraines, et à ses extrémités se trouvaient deux autres mers. Une tablette néo-babylonienne (VIIe siècle) présente une carte du Monde commentée, qui montre un exemple intéressant de la façon dont on pouvait se représenter l'espace à cette période[11]. La surface terrestre est représentée par deux cercles concentriques, délimitant une mer (marratu) entourant le continent, constitué de la plaine mésopotamienne (centrée sur Babylone) et des régions voisines. Des triangles situés aux extrémités de la mer extérieure figurent des régions mystérieuses lointaines (nagû).

L’être humain et sa raison d’être

Les mythes traitant de la création de l'être humain (anthropogonie) sont relativement homogènes[12] : il est créé par les Dieux, souvent à partir d'argile, et du sang d'un dieu sacrifié. L'argile est la matière première essentielle de la basse Mésopotamie, qui sert à façonner les constructions, les poteries et d'autres objets quotidiens, ainsi que les tablettes sur lesquelles on écrit. Le sang divin apporte quant à lui la vie à l'être façonné dans l'argile. Trois mythes développent ce thème : Enki et Ninmah, le Mythe de l'Atrahasis, et l'Épopée de la Création. Le rôle de la création de l'humain est à chaque fois attribué en grande partie au dieu Enki/Ea, conjointement à son fils Marduk dans le dernier mythe. Ils procèdent dans ce récit au sacrifice du dieu Qingu, général en chef des troupes de la déesse Tiamat qu'a tuée Marduk, et le sang du dieu donne la vie au premier humain.

À chaque fois, le but de cette création est le même[13] : il s'agit de permettre aux dieux de recevoir les biens nécessaires à leur survie quotidienne. Les hommes viennent au monde pour travailler pour les dieux, entretenir leurs temples avec des sacrifices permanents. C'est donc la raison de vivre des humains. Les dieux choisissent parmi les hommes des souverains qui les dirigent, et supervisent la bonne marche de la société qui aboutit dans le culte des dieux : selon les termes de la Liste royale sumérienne, la royauté est « descendue du Ciel » à l'origine de l'humanité. Si le service des dieux n'est pas bien effectué, les êtres humains peuvent alors être alors en faute, et subir la vengeance des dieux. Les dieux s'assurent que les humains ne puissent être immortels, la mort symbolisant l'infériorité de leur condition (voir plus bas). Ils fixent le « destin » (NAM.TAR/šimtu(m)) de chaque être humain, ainsi que celui de chaque chose qui se trouve sur Terre. Leurs décisions peuvent être connues de ces derniers par le biais de la divination, et il va de soi qu'elles avaient valeur d'ordre. À partir de là, toute chose qui compose le Monde peut être vue comme une manifestation de la puissance divine. Ceux qui suivaient bien les volontés divines devaient donc vivre une existence paisible ; mais on remarquait que ce n'était pas toujours le cas, et cela a posé des questions ardues à certains lettrés. En tout cas, la réussite ne peut être due qu'à la faveur divine : l'expression « avoir un dieu » est l'équivalent mésopotamien d'« avoir de la chance ».

Espaces et temporalités du culte

Les temples, résidences des divinités

Relief votif du roi Ur-Nanshe de Lagash, commémorant la reconstruction du temple du dieu Ningirsu, Girsu, période des Dynasties archaïques.

Le temple est le centre du culte religieux public dans la société mésopotamienne[14]. Il est considéré comme la résidence terrestre de la divinité, sa « maison » : c'est le sens du mot le désignant aussi bien en sumérien (É) qu'en akkadien (bītu(m)). Chaque cité a un temple principal, dédié à sa divinité tutélaire. Elle peut ensuite posséder un nombre plus ou moins important de temples et chapelles dédiés à d'autres divinités.

L'organisation du temple est donc calquée sur celle d'une résidence[15]. Ils sont souvent organisés autour d'une cour intérieure principale, ouvrant sur des dépendances (magasins, cuisines), et sur le « saint des saints », la cella où se trouvait la statue du dieu principal, entourée parfois de celles de sa famille et de ses serviteurs. La statue était placée sur un podium (BARA2/parakku(m)) Les espaces sacrés sont accessibles uniquement pour le personnel cultuel. Les plus grands temples étaient de véritables palais, aménagés et restaurés avec soin par les rois (c'était un de leurs devoirs principaux). On leur avait parfois adjoint une ziggurat, construction à étages portant un temple haut surplombant le complexe religieux.

Parce que l'entretien des temples et du culte divin était une chose très coûteuse, les temples possédaient souvent des ressources foncières importantes, surtout dans le sud mésopotamien, les temples du nord étant habituellement essentiellement pourvus par les rois et les grands personnages du royaume. Le temple était donc, au-delà du simple aspect religieux, un acteur majeur de la vie économique de la Mésopotamie.

Autres lieux de culte

Le culte pouvait se dérouler dans des lieux privilégiés, autres que les temples, notamment :

  • des chapelles intérieures à la ville, qui sont des temples en miniature ;
  • les particuliers disposaient peut-être de petites chapelles dans leurs résidences, pour le culte domestique ;
  • les sépultures (tombes creusées sous les résidences, nécropoles) servaient lors du culte des morts (voir plus bas) ;
  • certains rituels devaient se dérouler en plein air, dans des lieux précis (terrasse d'une maison, proximité d'une rivière, etc.) pour améliorer leur efficacité ;
  • des espaces naturels, en plein air, ont pu servir de lieux de culte, comme par exemple des éminences rocheuses qui étaient parfois même divinisées.

Les calendriers cultuels

Les calendriers de la Mésopotamie antique sont de type luni-solaire : une année solaire (MU/šattu(m)), de douze mois lunaires (ITI/warhu(m)) composés de 29 à 30 jours solaires (UM/ūmu(m)), avec des mois intercalaires ajoutés à des intervalles réguliers pour ne pas perdre le fil des saisons. À la période archaïque, chaque cité-État disposait de son propre calendrier, issu d'une longue histoire qui nous échappe[16]. Au IIe millénaire, toute la Babylonie finit par adopter le calendrier de Nippur, qui est ensuite repris en Assyrie. Les scansions principales de l'année suivaient le rythme des saisons et partant de là le rythme de l'agriculture, et l'année débutait à l'équinoxe de printemps (sauf à Assur au début du IIe millénaire où l'année débute à l'équinoxe d'automne). Le nom des mois dont on saisit l'étymologie renvoie parfois à ce cycle, couplé à certains moments à des faits religieux. Le mois portant le nom du dieu Dumuzi (juillet-août) rappelle le moment à partir duquel celui-ci a le droit de sortir des Enfers où il réside une moitié de l'année. Le calendrier est émaillé de nombreuses cérémonies liturgiques revenant à des intervalles réguliers, les fêtes religieuses. Certaines se déroulent plusieurs fois dans le mois, alors que d'autres sont annuelles, comme la fête du Nouvel An. Chaque cité, voire chaque temple, dispose de son propre calendrier de fêtes en fonction de ses grands dieux locaux.

Périodes fastes et périodes néfastes

Le temps est marqué par des périodes fastes (ŠU/magir, mitgaru) et néfastes (NU.UN.ŠU/la magir), plus ou moins propices à certaines activités. À partir de la seconde moitié du IIe millénaire, elles sont reportées dans des almanachs, qui notent les jours (hémérologies) ou les mois (ménologies) favorables et défavorables[17]. Mais de telles prescriptions existaient déjà auparavant : une lettre de Mari au XVIIIe siècle nous apprend par exemple que le roi Hammurabi de Babylone refuse de prêter un serment invoquant le dieu Sîn un 25 du mois car le dieu est indisposé ce jour-là[18]. Les 7, 14, 21 et 28 du mois sont généralement néfastes pour toutes sortes d'activités. D'autres jours sont néfastes pour des points précis (rituels religieux, aliments, sexualité, exercice d'une profession précise, du commerce de l'argent, procès, etc.). Parfois, ce ne sont que des moitiés de jours qui sont néfastes. Notons également que la nuit est une période propice pour faire certains rituels, notamment ceux invoquant les « dieux de la nuit ». C'est en effet le culte qui est le plus concerné par ce type de prescriptions. De plus, certains interdits sont liés au déroulement de fêtes religieuses.

Les acteurs du culte

Le rôle des souverains

Tablette de fondation du temple de Nanaya, bâti par les rois Kudur-Mabuk et Rîm-Sîn de Larsa, fin du XIXe siècle.

Le roi est considéré comme un intermédiaire entre humains et dieux. Il n’est que rarement divinisé lui-même, sous les Empires d’Akkad et d’Ur III. Mais il occupe clairement une position à part parmi les humains. Il est l’élu des dieux, qui l’ont placé à son rang, et peuvent le faire chuter s’il n’est pas digne de sa charge. Le roi prend en charge de lourds frais liés à l’entretien des bâtiments des temples et du personnel qui y travaille. Plus largement, toutes ses actions sont censées refléter des volontés divines.

Le souverain prend donc part à de nombreux actes de culte. Il doit s’entourer de spécialistes, chargés de l’aider à décrypter les messages divins (des devins, barū(m)), et à se protéger contre les forces obscures qui le menacent plus que tout autre du fait de sa position (des exorcistes, āšipu(m)). La présence de ces spécialistes au plus près du souverain est bien connue dans le cas des rois Assyriens grâce aux archives de Ninive, qui montrent qu’ils jouent un rôle important dans le quotidien royal[19].

Mais le souverain peut parfois être amené à diriger lui-même des rituels. C’est le cas dans de nombreuses fêtes religieuses, comme le Mariage sacré ou l’akītu (voir plus bas), où il joue le premier rôle. Parfois même il doit participer à des rituels spéciaux. Les souverains assyriens doivent se soumettre à de nombreux actes cultuels[20], par exemple les bīt rimki, des bains purificateurs, et le takultu, un repas avec les dieux, en plus d’autres fêtes religieuses dans les grandes villes assyriennes. Étant dans l’impossibilité de prendre part à tout cela, il peut se faire remplacer par des prêtres ou bien par son manteau, qui symbolise sa présence.

Le personnel des temples

Le culte officiel des temples était pris en charge par un personnel divers[21]. On peut distinguer parmi ceux-ci les personnes spécialisées dans l’administration des biens du temple (donc du dieu), et celles chargées de s’occuper des actes rituels, avant tout des offrandes quotidiennes faites aux divinités résidentes dans le temple. Le personnel administratif est dirigé par le ŠANGA/šangu(m), parfois secondé par un šatammu(m) (terme qui peut aussi être synonyme de šangu(m)) et appuyé par des subordonnés, dont le nom et la fonction varie beaucoup selon le lieu et la période : trésoriers, scribes aux spécialisations diverses, superviseurs des différentes activités économiques.

Le personnel cultuel est celui qui a généralement le droit de pénétrer dans l’espace sacré du temple. On les appelle ērib bīti à partir de l’époque néo-babylonienne. Ils sont généralement dirigés par un grand prêtre ou une grande prêtresse. L’entu(m) est considérée comme l’épouse terrestre du dieu auquel est destiné le temple. L’exemple le mieux connu est celui du temple de Nanna/Sîn à Ur. À Uruk, l’EN est vu comme l’époux terrestre de la déesse Inanna/Ishtar. On trouve divers spécialistes ayant à exercer une fonction au cours des actes rituels : les GALA/kalû(m), « lamentateurs », les GUDU4/pašīšu(m), purificateurs, les NAR/nāru(m), musiciens ou chantres, etc. Il existait également dans les temples de basse Mésopotamie une catégorie de femmes vivant des sortes de cloîtres (gāgu(m)), les nāditu(m), auxquelles on interdisait d’avoir des enfants[22]. Une autre catégorie de personnel féminin évoluant dans le milieu des temples, les qadištu(m), pourraient avoir été des « prostituées sacrées », mais cela reste débattu. À un rang inférieur, on trouvait le personnel chargé des aspects matériels du culte : brasseurs, cuisiniers, portiers, orfèvres, etc.

Le personnel des temples était rétribué de plusieurs façons. Il pouvait d’abord recevoir des « champs de subsistance », des terres agricoles appartenant au temple qu’ils faisaient exploiter pour en tirer leur revenu. Une autre façon de les rémunérer était le versement de rations, dont le contenu était défini en fonction de la hiérarchie des desservants. Ces rations consistaient en la redistribution des offrandes faites au dieu. Certaines charges, surtout celles liées au service matériel, pouvaient être des prébendes : on les achetait, on les vendait, on pouvait les transmettre par héritage, et même les diviser pour partager la charge avec d’autres.

Les autres spécialistes du culte

D’autres spécialistes du culte n’étaient pas systématiquement rattachés au temple ou au palais, même si ce sont les endroits où on les voit le plus évoluer dans nos sources. Il s’agit des spécialistes dans des rituels importants, la divination et l’exorcisme (voir plus bas). Leurs professions avaient donné lieu à une abondante littérature technique, ce qui montre à la fois l’importance et la complexité de ces professions, qu’on exerçait généralement de père en fils. Les spécialistes de la divination étaient les barū(m) (« devins ») ; à l’époque néo-babylonienne, on distingue de ce groupe les spécialistes de l’astrologie (tupšar Enūma Anu Enlil). Les spécialistes de l’exorcisme sont les āšipu(m) (« exorcistes »). Ces catégories d'experts donnent naissance au Ier millénaire à une sorte de classe de lettrés (ummānu)[23], qui disposent de bibliothèques importantes, dans des palais, des temples, ou dans leurs résidences privées.

Les pratiques cultuelles

Statuette votive représentant un homme en position de prière, Tell Asmar, Dynasties archaïques II (2750-2600).

L’entretien quotidien du dieu

La présence des dieux sur Terre étaient assurée par les statues anthropomorphiques les représentant, abritées dans la cella de leur temple[24]. Celle-ci était censée être le dieu lui-même. Aussi on apportait le plus grand soin à leur confection, et les dieux les plus importants devaient avoir des statues réalisées en bois de qualité, métaux rares et pierres précieuses. Après la réalisation de l'objet, le rituel du « lavage de la bouche » (mīs pī) ou de l'« ouverture de la bouche » (pīt pī) assurait la présence divine dans l'objet[25].

Après cela, il fallait assurer le quotidien du dieu, par des offrandes (ou des sacrifices)[26]. Il s'agissait d'abord de repas, destinés à le nourrir. Ils étaient parfois fixés dans des textes rituels. Généralement, le service alimentaire du dieu était étalé sur quatre repas quotidien, deux le matin et deux le soir, appelés « petit repas » et « grand repas » à chaque fois. Un dieu recevait des aliments végétaux, notamment des céréales, de la viande d'animaux sacrifiés, et des boissons (vin, bière, lait). Les animaux sacrifiés (surtout des moutons et des bœufs) l'étaient en récitant des invocations. Ces différents mets pouvaient être cuisinés. Dans la pratique, après une présentation devant le dieu, on les répartissait entre les officiants du temple, et le palais royal, selon des règles précises. Les offrandes pour le quotidien du dieu consistaient aussi en des vêtements et bijoux, du mobilier (lits, chaises), de la vaisselle, et des bateaux ou des chariots pour les déplacements de la divinité. Il fallait lui fournir tout ce qui pouvait lui servir au quotidien. Ces objets allaient dans le « trésor » du temple. Des rituels s'occupaient de divertir le dieu, par de la musique notamment. Tout cela se faisait aux frais du temple, des autorités de la ville et du royaume, ou bien grâce aux offrandes faites par des individus. Ces derniers offraient parfois des statuettes (certaines étant leur propre représentation), avec des dédicaces, dans l'espoir d'obtenir une faveur divine.

Les fêtes religieuses

À côté de l'entretien quotidien du dieu, qui devait être immuable, certains moments de l'année étaient marqués par des fêtes (EZEN ou SISKUR) organisées en l'honneur de divinités[27]. Les calendriers cultuels mésopotamiens pouvaient en compter un grand nombre durant l'année, mais la plupart restaient probablement confinées au monde des temples. Certaines revenaient à des intervalles rapprochés, comme les fêtes-eššešu liées au cycle lunaire, qui se déroulaient quatre fois par mois au début du IIe millénaire (les 1, 7, 15 et 25 du mois dans le calendrier cultuel d'Ur), et étaient souvent dédiées à Marduk et Nabû[28]. Ce type de fêtes donnaient lieu à des rituels spécifiques, mais peu impressionnants à côté de ceux effectués lors des grandes fêtes annuelles, à commencer par la fête-akītu, qui se retrouve dans plusieurs cités mésopotamiennes dès le milieu du IIIe millénaire, et a probablement des racines très anciennes. Sa version la mieux connue est celle qui se déroule à Babylone au Ier millénaire, en l'honneur de Marduk, lors du Nouvel An. La fête du Mariage sacré (hiérogamie), célébrant les amours de la déesse Inanna et du dieu Dumuzi, est l'une des plus importantes du pays de Sumer[29]. D'autres rituels de hiérogamie se retrouvent à des époques plus tardives, culminant dans une cérémonie de mariage (hašadu) où les statues d'un dieu et d'une déesse sont réunies. Un autre type important de fête religieuse est le voyage divin[30] Les statues divines se rendaient hors de leur temple et même de leur ville pour aller rencontrer d'autres divinités. Le mieux connu de ces cas est Le voyage de Nanna à Nippur, qui voit le dieu-lune quitter sa ville d'Ur en bateau pour aller à 150 kilomètres de là visiter son père Enlil. Dans les autres fêtes, si on sort les statues des dieux, c'est pour leur faire réaliser des processions intra-urbaines, ou dans les proches alentours de la cité.

La communication entre humains et dieux

Maquettes de foies d'animaux servant à l'exercice de la divination, XIXeXVIIIe siècles, Mari.

La communication entre humains et dieux est une question centrale, en cela qu'elle permet aux premiers de savoir comment satisfaire les seconds, et ainsi bien assurer la fonction pour laquelle ils ont été créés. Les humains prenaient connaissance des volontés divines par la divination[31]. Les dieux envoyaient des messages aux hommes qu'ils fallait déchiffrer, grâce à l'aide des spécialistes, les devins. Ils pouvaient se trouver dans différents aspects de la vie quotidienne, plus ou moins exceptionnels en apparence : un nouveau-né à la morphologie particulière, un phénomène astral inhabituel, une apparition en rêve, ou tout simplement croiser un animal d'une telle couleur dans la rue. Parfois, c'étaient les humains qui suscitaient le message divin, par la procédure d'hépatoscopie : on posait une question, et la divinité devait donner une réponse lue dans le foie d'un animal sacrifié (un agneau en général). Les dieux intervenaient parfois par l'intermédiaire de prophètes, surtout attestés en haute Mésopotamie.

Pour s'adresser aux dieux, les humains pouvaient faire des prières, accompagnées d'offrandes[32]. Des hymnes avaient pour but de louer la grandeur des dieux, et parfois même de leurs temples. Les prières à proprement parler cherchaient à attirer les faveurs des dieux auxquels elles étaient destinées. Certaines ont été mises par écrit, et constituent de véritables œuvres littéraires. Il peut s'agir de prières pénitentielles, visant à se faire pardonner d'une faute commise envers un dieu. Les scribes en distinguaient plusieurs, notamment les prières « pour calmer le cœur d'un dieu irrité » (ÉR.ŠÀ.HUN.GÁ), ou celles « pour faire revenir un dieu irrité » (INIM.INIM.MA DINGIR.ŠÀ.DIB.BA.GUR.RU.DA). Elles débutaient par une invocation du dieu, suivie de la reconnaissance de la culpabilité, et s'achevait par une lamentation et une demande de pardon. Il existait également des prières de demande « à main levée » (ŠU.ÍL.LÁ, parce qu'on les disait en levant la main à hauteur du visage), qui adressaient une plainte à un dieu, en cas d'un malheur subi. Des prières pouvaient également accompagner des rituels, pour renforcer leur efficacité au même titre que les offrandes : dans des procédures d'exorcisme (contre des sortilèges, des mauvais présages, des démons ou des spectres), ou bien avant des consultations oraculaires. Les prières sont souvent adressées par des souverains, qui s'adressaient parfois eux-mêmes au dieu (dans d'autres cas des prêtres le faisaient pour eux). On rédige également de tels textes dans la plupart des inscriptions commémorant les constructions de temples ou de palais : on invite les dieux à les bénir, et à maudire ceux qui les bafoueraient.

Les exorcismes

Les rituels d'exorcisme ont pour but de conjurer le mal affectant une personne[4]. Ce dernier peut déjà s'être manifesté, ou bien simplement menacer la victime. L'exorcisme est dirigé par un spécialiste, le mašmašu(m) ou āšipu(m), qui peut être assisté par d'autres personnes, comme un lamentateur (kalû(m)), un devin (barū(m)) capable d'identifier la source du mal, ou un « physicien » (āsu(m)), spécialiste des remèdes médicaux. Le mal touchant une personne peut être provoqué par un dieu envers qui on a fauté, par des démons (qui peuvent agir pour le compte d'un dieu), mais aussi par des humains faisant de la sorcellerie. Le mal peut se manifester par des maladies, ou divers types de malheurs (perte d'argent, de relations, d'un emploi, etc.).

Le mal était conjuré au cours de rituels de divers types, faisant appel à des pratiques magiques, utilisant des objets ordinaires ou des figurines qui étaient « enchantés » et devaient porter le mal avant d'être brûlés ou bien jetés à l'eau pour purifier le mal. Leur efficacité était renforcée par des incantations, qui appelaient les dieux au secours, ou bien imploraient leur pardon, ou encore avaient pour effet de chasser les démons. Ces rituels devaient parfois avoir lieu à des moments et dans des endroits précis pour renforcer leur effet : de nuit, à proximité d'une rivière, ou bien dans un cercle magique tracé à la farine sur le sol. Si c'était une maladie qui touchait la victime, le rituel d'exorcisme pouvait se compléter d'un remède médical « rationnel ».

Les rituels d'exorcismes ont été compilés depuis le IIIe millénaire, mais ils nous sont surtout parvenus dans de grandes séries rédigées au Ier millénaire, dont les principales sont :

  • les rituels maqlû, « crémation », ont pour but de délivrer une victime de sorcellerie, et où on cherche à vaincre le sorcier ou la sorcière ;
  • les rituels šurpu, « combustion », s'effectuent quand le mal a touché une victime mais qu'on n'en connaît pas la source, et s'achèvent en brûlant un objet sur lequel le mal a été transféré ;
  • les rituels namburbû, « pour sa dissolution », étaient accomplis pour sauver une personne avant qu'elle soit touchée par le mal, qui lui avait été annoncé par un présage (ce rituel vient donc après consultation d'un devin), et sont donc de nature apotropaïque.

La mort et l’au-delà

Les croyances sur la mort

La mort (mûtu(m)) était considérée comme une destinée vouée aux hommes par les dieux, contre laquelle on ne pouvait rien faire[33]. L'Épopée de Gilgamesh montre qu'il est vain aux hommes d'espérer l'immortalité, réservée aux dieux, et que seuls Ut-napishtim le héros du Déluge et son épouse ont pu en bénéficier. Une fois mort, l'homme devient un « spectre » (GIDIM/eṭemmu(m)), alors que son cadavre se décompose.

Les spectres se dirigent normalement vers les Enfers, considérés comme étant sous la Terre. On ne sait pas exactement comment ils y accédaient, mais le fait qu'on enterrait les corps humains semble indiquer qu'on considérait que cela devait faciliter leur accès au monde d'En-bas. Par des textes mythologiques (La descente d'Inanna aux Enfers, Nergal et Ereshkigal) on apprend que les Enfers avaient une entrée située au Couchant, à l'extrême ouest du Monde, qu'on atteignait après avoir traversé une longue steppe aride, puis traversé le fleuve Hubur sur la barque conduite par Humuṭ-tabal (« Emporte-vite »), et ensuite traversé les sept portes des Enfers, gardées par le portier Pētū et ses serviteurs. Le monde souterrain, appelé de diverses manières : l'« En-bas » (KI/erṣētu(m), nom de la partie inférieure du Monde), le « Pays du non-retour » (KUR NU GI4/erṣētu(m) lā târi), la « Grand-ville » (URU.GAL/irkallu(m)), etc. C'est le domaine de la déesse Ereshkigal, et de son époux Nergal, qui résident dans un palais de lapis-lazuli. D'autres divinités liées aux Enfers sont Namtar, le « destin », le héros Gilgamesh, ainsi que Shamash, le dieu du Soleil qui était supposé passer sous Terre quand c'était la nuit sur Terre, à côté des nombreux dieux résidant En-bas, les Anunnaki.

Certains textes sont parfois utilisés pour chercher à démontrer qu'il existait chez les Anciens mésopotamiens une croyance en un jugement après la mort, mais en réalité aucun n'est suffisamment explicite sur ce point. En l'état actuel des choses il faut admettre qu'il n'y avait pas de concept de jugement en fonction des actions accomplies durant leur vie[34]. Le destin des morts était manifestement le même pour tous une fois parvenu dans le Monde souterrain. Ils avaient une existence triste et pitoyable : ils mangeaient de la fange, et buvaient des eaux boueuses. Ceux qui avaient une mort infâme ne parvenaient pas aux Enfers : c'est le cas de ceux qui n'étaient pas enterrés, qui mouraient après avoir trahi les dieux ou leur roi, ou encore ceux qui mouraient sans avoir enfanté ou les femmes mortes en couches. Les deux derniers devenaient des démons (Lilū et Lilītu), alors que les autres erraient sur Terre et hantaient les vivants, pouvant causer des maladies. À l'inverse, les mieux lotis sont les morts ayant eu des funérailles convenables et étant bien entretenus par leur famille, envers laquelle ils pouvaient avoir une action bénéfique en retour[35].

Les rites liés à la mort

Une fois une personne morte, sa famille devait s'assurer que sa vie dans l'au-delà se déroule bien. Il fallait d'abord procéder à des rites d'enterrement : le corps était lavé, huilé, parfumé, puis vêtu, et enterré avec certains de ses objets personnels, plus ou moins luxueux selon le moyens de la famille[36]. Des rites de deuil pouvaient suivre l'enterrement pendant plusieurs jours, avec notamment des chants de lamentations.

Il était ensuite du devoir des descendants d'honorer leurs ancêtres régulièrement au cours de rituels précis de culte des ancêtres, kispu(m)[37]. Cela consistait en des offrandes de nourriture, de boissons, qui se faisaient en invoquant le nom des défunts, de façon à préserver leur mémoire. Cette charge revenait en premier lieu au chef de famille, le fils aîné. Durant certaines périodes le culte des morts était plus actif : on pensait que les morts revenaient des Enfers au mois d'Abu (juillet-août), et il fallait alors organiser des fêtes en leur honneur. On pensait ainsi s'attirer les faveurs des morts, et éviter d'être tourmentés par eux.

Mais quand on pensait être hanté par un défunt, il fallait se prémunir de son action[38]. Un mort qui n'avait pas été bien honoré par ces ancêtres, ou avait connu une mort honteuse, pouvait troubler les vivants. Parfois, un fantôme tombait sous le contrôle d'un sorcier qui s'en servait pour attaquer un ennemi. Les fantômes passaient également pour demeurer dans les espaces de steppes, et on s'attendait à en rencontrer quand on en traversait. Ces attaques sont souvent psychologiques (apparitions), mais peuvent aussi être physiques. Il fallait alors procéder à des rituels d'exorcisme pour repousser le fantôme, notamment en faisant une statuette de lui et en s'en débarrassant, ou bien en faisant un cercle magique, ou encore en lui procurant une sépulture correcte, ou avec des rituels-kispu(m), etc. Les morts pouvaient également être consultés par des rituels de nécromancie[39].

Références

  1. J. Bottéro et S. N. Kramer, Lorsque les Dieux faisaient l'Homme, Paris, 1989
  2. M. G. Masetti-Rouault, « Du bon usage de la mythologie mésopotamienne », dans X. Faivre, B. Lion et C. Michel (dir.), Et il y eut un esprit dans l'Homme, Jean Bottéro et la Mésopotamie, Paris, 2009, p. 19-29
  3. M.-J. Seux, Hymnes et prières aux dieux de Babylonie et d'Assyrie, Paris, 1976
  4. a et b J. Bottéro, Mythes et rites de Babylone, Paris, 1985
  5. Pour les différentes formes d'art religieux, voir (en) J. Black et A. Green, Gods, Demons and Symbols of Ancient Mesopotamia, An Illustrated Dictionary, Londres, 1998
  6. P. Amiet, L'Art antique du Moyen-Orient, Paris, 1971 ; J.-C. Margueron, « Sanctuaires sémitiques », dans Supplément au Dictionnaire de la Bible fasc. 64 B-65, 1991, col. 1104-1258
  7. J. Bottéro, La plus vieille religion, en Mésopotamie, Paris, 1998, p. 127-161
  8. Ibid., p. 101-126
  9. Pour un exposé des différents récits cosmogoniques mésopotamiens, Ibid., p. 169-185
  10. Ibid., p. 162-169
  11. (en) W. Horowitz, « The Babylonian Map of the World », dans Iraq 50, 1988, p. 147-165
  12. J. Bottéro, op. cit., p. 198-208
  13. Ibid., p. 195-225, pour voir les grands traits des conceptions sur la condition humaine en Mésopotamie antique
  14. (en) A. R. George, House Most High: The Temples of Ancient Mesopotamia, Winona Lake, 1993 ; La casa del dio : il tempio nella cultura del Vicino Oriente Antico, Milan, 2005
  15. (de) E. Heinrich, Die Tempel und Heiligtümer im alten Mesopotamien, Typologie, Morphologie und Geschichte, Berlin, 1982, compile les informations archéologiques sur les principaux temples mis au jour en Mésopotamie ; pour une synthèse plus brève, (en) M. Roaf, « Palaces and Temples in Ancient Mesopotamia », dans J. M. Sasson (dir.), Civilizations of the Ancient Near East, New York, 1995, p. 423-441
  16. (en) M. E. Cohen, The Cultic Calendars of the Ancient Near East, Bethesda, 1993 ; (de) W. Sallaberger, Der kultische Kalender der Ur III-Zeit, Berlin-New York, 1993
  17. Sur ce sujet, voir notamment les travaux de R. Labat, Hémérologies et ménologies d’Aššur, Paris, 1939 et id., Un calendrier babylonien des travaux, des signes et des jours, Paris, 1965
  18. ARMT XXVI 465
  19. (en) S. Parpola, Letters from Assyrian Scholars to the Kings Esarhaddon and Assurbanipal, 2 vol., Neukirchener Verlag, 1970 et 1983
  20. (en) J. Laessøe, Studies on the Assyrian Rituals and Series bīt rimki, Copenhague, 1955
  21. (en) K. Watanabe (dir.), Priests and Officials in the Ancient Near East, Heidelberg, 1999. Diverses études sur des lieux et des périodes précises sont disponibles : D. Charpin, Le clergé d’Ur au siècle d’Hammurabi, Genève, 1986 ; (de) B. Menzel, Assyrische Tempel, Rome, 1981 ; (en) A. Bongenaar, The Neo-Babylonian Ebabbar Temple at Sippar: its Administration and its Prosopography, Istanbul, 1997
  22. (en) R. Harris, Ancient Sippar, Istanbul, 1980
  23. F. Joannès, « De Babylone à Sumer, le parcours intellectuel des lettrés de la Babylonie récente », dans Revue Historique 302, p. 693-717
  24. (en) J. Black et A. Green, op. cit., p. 55-56 ; L. Battini et F. Joannès, « Statue de culte », dans F. Joannès (dir.), op. cit., p.787-789
  25. F. Joannès, « Consécration (des statues) », dans F. Joannès (dir.), op. cit., p. 199-201
  26. (en) J. Black et A. Green, op. cit., p. 158-159 ; F. Joannès, « Sacrifice », dans F. Joannès (dir.), op. cit., p. 743-744
  27. (en) M. E. Cohen, op. cit. ; F. Joannès, « Fêtes religieuses », dans F. Joannès (dir.), op. cit., p. 333-336
  28. Chicago Assyrian Dictionary vol. 4, E, 1958, p. 371-373
  29. S. N. Kramer, Le Mariage sacré, Paris, 1983
  30. (en) J. Black et A. Green, op. cit., p. 112
  31. J. Bottéro, Mésopotamie, L’écriture, la raison et les dieux, Paris, 1987, p. 133-169. (en) S. M. Maul, « Divination Culture and the Handling of the Future », dans G. Leick (dir.), The Babylonian World, Londres et New York, 2007, p. 361-372
  32. M.-J. Seux, Hymnes et prières aux dieux de Babylonie et d'Assyrie, Paris, 1976, notamment l'introduction p. 13-35 ; (en) B. Foster, Before the Muses: an Antology of Akkadian Literature, Bethesda, 2005
  33. J. Bottéro, Mésopotamie, L'écriture, la raison et les dieux, Paris, 1997, p. 487-508 ; (en) J. A. Scurlock, « Death and the Afterlife in Ancient Mesopotamian Thought », dans J. M. Sasson (dir.), Civilizations of the Ancient Near East, New York, 1995, p. 1883-1893
  34. V. van der Stede, « Le jugement des morts en Mésopotamie: mythe ou réalité », dans Ph. Talon et V. Van der Stede (dir.), Si un homme ... Textes offerts en hommage à André Finet, Turnhout, p. 153-164
  35. J. Bottéro, op. cit., p. 514-519
  36. (en) J. A. Scurlock, op. cit., p. 1883-1886
  37. J. Bottéro, op. cit., p. 508-514 ; (en) J. A. Scurlock, op. cit., p. 1888-1889
  38. (en) J. A. Scurlock, Magico-Medical Means of Treating Ghost-Induced Illnesses in Ancient Mesopotamia, Leyde, 2006
  39. (en) I. L. Finkel, « Necromancy in Ancient Mesopotamia », dans Archiv für Orientforschung 29-30, 1983-1984, p. 1-17

Bibliographie

  • J. Bottéro, La plus vieille religion : en Mésopotamie, Paris, 1998 ;
  • (en) T. Jacobsen, The Treasures of Darkness: A History of Mesopotamian Religion, New Haven, 1976 ;
  • (en) J. Black et A. Green, Gods, Demons and Symbols of Ancient Mesopotamia, An Illustrated Dictionary, Londres, 1998 ;
  • (en) F. A. M. Wiggermann, « Theologies, Priests, and Worship in Ancient Mesopotamia », dans J. M. Sasson (dir.), Civilizations of the Ancient Near East, New York, 1995, p. 1857-1870.



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