Révolte de Kronstadt

Révolte de Kronstadt
Révolte de Kronstadt
Kronstadt attack.JPG
troupes de l'Armée rouge attaquant Kronstadt
Informations générales
Date Mars 1921
Lieu Kronstadt, île de Kotline, République socialiste fédérative soviétique de Russie
Issue Victoire bolchevik
Belligérants
Armée rouge rebelles
Commandants
Mikhail Toukhatchevski Stepan Petrichenko
Forces en présence
premier assaut: 11 000, deuxième assaut: 17 961 premier assaut: 10 073, deuxième assaut: 25 000 à 30 000
Pertes
1 000 tués dans la bataille et 1 200 à 2 168 exécutés
Guerre civile russe

La révolte de Kronstadt contre le pouvoir bolchevique s'est déroulée en Russie en mars 1921.

Les révoltés étaient notamment des marins révolutionnaires qui revendiquaient contre le parti bolchevik que les conseils ouvriers puissent déterminer librement le déroulement de la révolution. La révolte fut écrasée par une intervention militaire décidée par le pouvoir bolchevique, qui fut suivie d’une répression des insurgés. Ces événements et leur interprétation sont un objet de désaccord au sein des mouvements révolutionnaires. À l'époque des faits, le débat a opposé les socialistes-révolutionnaires et les anarchistes aux bolcheviks. Les premiers considéraient la révolte de Kronstadt comme légitime et émanant du peuple, pouvant déboucher sur une démocratie directe, fédérale, réelle, et les derniers la présentaient comme « bourgeoise » et risquant de déboucher sur une invasion des armées blanches.

La révolte a débuté le 2 mars 1921 et fut vaincue militairement deux semaines plus tard.

Sommaire

Contexte historique

Kronstadt est une ville de garnison sur l'île de Kotline, dans le golfe de Finlande, à 20 km de Pétrograd dont elle constitue un poste de défense avancé.

Les marins de Kronstadt avaient formé l'avant-garde des révolutions russes de 1905 et 1917. En 1917, Trotsky appelait ces marins « la valeur et la gloire de la Russie révolutionnaire ». De par leur histoire révolutionnaire, les habitants de Kronstadt furent très tôt partisans du « pouvoir aux conseils » (soviets) : formant dès 1917 une commune libre relativement indépendante de l'autorité centrale, ils pratiquaient une forme de démocratie directe à base d'assemblées ou de comités réunis dans le centre de la forteresse, espace public énorme servant de forum populaire pouvant contenir plus de 30 000 personnes.

Situation militaire

Pour consulter un article plus général, voir : Communisme de guerre.

En novembre 1920, avec la défaite du général Wrangel en Crimée, la guerre civile russe touche à sa fin, les forces blanches étant alors réduites à quelques poches, qui furent réduites progressivement. Beaucoup d'anciens de Kronstadt revinrent à la base navale de leurs origines, tandis qu'à travers toute la Russie, les contraintes que la guerre justifiait deviennent insupportables.

L'Armée rouge était en 1920 encore en lutte contre la guérilla de leurs anciens alliés les anarchistes makhnovistes ukrainiens.

Les grèves ouvrières et paysannes qui réclamaient pain et liberté, étaient réprimées par des fusillades[1].

Situation économique

Au début de l'année 1921, le pays est ruiné par sept ans de guerre. Dans les campagnes comme dans les villes éclatent des protestations populaires contre le pouvoir du parti bolchevik. Dans certaines villes, des vagues de grèves éclatent, notamment à Pétrograd, qui connaît régulièrement la famine et où les ouvriers des principales usines se mettent en grève en février 1921. En même temps surviennent dans les campagnes de nombreuses révoltes paysannes, dont la principale est celle de Tambov, dont la cause est l'hostilité des paysans aux réquisitions opérées par le pouvoir bolchevique pour nourrir les villes et les soldats.

Soutien de Kronstadt aux ouvriers de Pétrograd

Le 26 février 1921, informés des événements de Pétrograd, les équipages des navires de la marine soviétique Petropavlovsk et Sebastopol tinrent en urgence une réunion et se mirent d'accord pour envoyer une délégation chargée de se renseigner et de faire un rapport à propos de la situation sur le continent. À leur retour, deux jours plus tard, les délégués informèrent leurs camarades marins des grèves et de la répression que le gouvernement bolchevique exerçait contre elle.

Revendications de Kronstadt

Les participants de la réunion du Petropavlovsk approuvèrent alors une résolution et 15 revendications[réf. nécessaire] :

  • I. Organiser immédiatement des réélections aux soviets avec vote secret et en ayant soin d'organiser une libre propagande électorale pour tous les ouvriers et paysans, vu que les soviets actuels n'expriment pas la volonté des ouvriers et des paysans ;
  • II. Accorder la liberté de la parole et de la presse pour les ouvriers et les paysans, pour les anarchistes et les partis socialistes de gauche[2] ;
  • III. Donner la liberté de réunion et la liberté d'association aux organisations syndicales et paysannes ;
  • IV. Organiser, pour le 10 mars 1921 au plus tard, une conférence sans-parti des ouvriers, soldats rouges et matelots de Pétrograd, de Kronstadt et du district de Pétrograd ;
  • V. Libérer tous les prisonniers politiques appartenant aux partis socialistes, ainsi que tous les ouvriers et paysans, soldats rouges et marins emprisonnés pour des faits en rapport avec des mouvements ouvriers et paysans ;
  • VI. Élire une commission pour la révision des cas de ceux qui sont détenus dans les prisons ou les camps de concentration ;
  • VII. Supprimer tous les «politotdiel»[3], car aucun parti ne peut avoir de privilèges pour la propagande de ses idées ni recevoir de l'État des ressources dans ce but. A leur place, il doit être créé des commissions culturelles élues, auxquelles les ressources doivent être fournies par l'État ;
  • VIII. Supprimer immédiatement tous les «zagraditelnyé otriady»[4] ;
  • IX. Fournir, à tous les travailleurs une ration égale, à l'exception de ceux des métiers insalubres qui pourront avoir une ration supérieure ;
  • X. Supprimer les détachements de combat communistes dans toutes les unités militaires, et faire disparaître dans les usines et fabriques le service de garde effectué par les communistes. Si on a besoin de détachements de combat, les désigner par compagnie dans chaque unité militaire ; dans les usines et fabriques les services de garde doivent être établis conformément à l'avis des ouvriers ;
  • XI. Donner aux paysans le droit de travailler leurs terres comme ils le désirent, ainsi que celui d'avoir du bétail, mais tout cela par leur propre travail, sans aucun emploi de travail salarié ;
  • XII. Demander à toutes les unités militaires ainsi qu'aux camarades « koursanty »[5] de s'associer à cette résolution ;
  • XIII. Exiger qu'on donne dans la presse une large publicité à toutes les résolutions ;
  • XIV. Désigner un bureau mobile de contrôle ;
  • XV. Autoriser la production artisanale libre, sans emploi de travail salarié.

Comme les ouvriers de Pétrograd, les marins de Kronstadt exigèrent l'égalité des salaires, la fin des barrages routiers limitant la liberté de circulation et la possibilité pour les ouvriers d'introduire de la nourriture dans la ville.

Une réunion de masse de quinze à seize mille personnes fut tenue sur la place d'ancre le 1er mars, formalisant la résolution de Petropavlovsk. Seuls deux fonctionnaires bolcheviks votèrent contre la résolution. Lors de cette réunion, il fut également décidé d'envoyer une autre délégation à Pétrograd pour expliquer aux barrages et à la garnison de ville les demandes de Kronstadt, et pour demander que des délégués indépendants soient envoyés par les ouvriers de Pétrograd à Kronstadt pour entendre directement ce qui se passait là-bas. Cette délégation de trente membres fut arrêtée par le gouvernement bolchevique.

Dans la nuit du 1er au 2 mars, le marin anarchiste Iakovenko adresse à toutes les unités de Kronstadt un message dans lequel il écrit : « c'est le comité révolutionnaire qui provisoirement dirige », bien que la réunion de la veille n'ait pas évoqué ce comité, qui n'a donc pas été élu.

Les insurgés envoient le 6 mars un message radio « aux ouvriers du monde entier », où ils déclarent : « Nous sommes partisans du pouvoir des soviets, non des partis. Nous sommes pour l’élection libre de représentants des masses travailleuses. Les soviets fantoches manipulés par le Parti communiste ont toujours été sourds à nos besoins et à nos revendications ; nous n’avons reçu qu’une réponse : la mitraille [...]. Camarades ! Non seulement ils vous trompent, mais ils travestissent délibérément la vérité et nous diffament de la façon la plus méprisable [...]. À Cronstadt, tout le pouvoir est exclusivement entre les mains des marins, soldats et ouvriers révolutionnaires [...]. Vive le prolétariat et la paysannerie révolutionnaire ! Vive le pouvoir des soviets librement élus[6] ! ».

Le soviet de Kronstadt écrit : « Il est clair que le parti communiste russe n'est pas le défenseur des travailleurs qu'il prétend être. Les intérêts des travailleurs lui sont étrangers. S'étant emparé du pouvoir, il n'a plus qu'une seule crainte : le perdre et c'est pourquoi il croit que tous les moyens lui sont bons : calomnie, violence, fourberie, assassinat, vengeance sur la famille des rebelles. […] Ici, à Cronstadt, nous avons posé la première pierre de la troisième révolution qui fera sauter les dernières entraves des masses laborieuses et ouvrira toute grande la voie nouvelle de la créativité socialiste. […]Sans coup férir, sans qu'une goutte de sang ait été versée, le premier pas a été franchi. Les travailleurs ne veulent pas de sang. Ils ne le verseront que réduits à l'autodéfense. […]Les ouvriers et les paysans ne cessent d'aller de l'avant, laissant derrière eux l'Assemblée constituante et son régime bourgeois, la dictature communiste, sa Tchéka et son capitalisme d'État[7] ».

Désignation du comité révolutionnaire provisoire

Au terme de la réunion du Soviet de Kronstadt[8], l'assemblée décida également d'appeler à une conférence des délégués pour le 2 mars, censée débattre de la façon dont les nouvelles élections des soviets seraient tenues.

Cette conférence, composée de deux délégués des équipages du bateau et de représentants des unités d'armée, des docks, des ateliers, des syndicats et des établissements du Soviet (soit 303 délégués au total) pris trois décisions.

  • la conférence procéda à la dissolution du soviet de Cronstadt et à son remplacement par le Comité Révolutionnaire Provisoire (CRP). Ce comité fut chargé d'organiser la défense de Cronstadt contre le gouvernement bolchévique après qu'un délégué eut fait circuler la rumeur selon laquelle les bolchéviques s'apprêtaient à attaquer la réunion, ce qui était faux.
  • La conférence vota la résolution de « non reconnaissance du pouvoir soviétique », en contradiction avec la résolution de « soviets librement élus » de la veille[9].
  • Elle ordonna l'arrestation de tous les opposants bolchéviques à l'insurrection.

Dès le début de la révolte, Kronstadt commença à se réorganiser de bas en haut. On procéda à de nouvelles élections de comités syndicaux, et un Conseil des syndicats fut formé. La conférence des délégués se réunit régulièrement (spécifiquement les 2, 4 et 11 mars) pour discuter des sujets concernant les intérêts de Kronstadt et la lutte contre le gouvernement bolchevique. Un quotidien révolutionnaire fût créé : Izvestia. Ce dernier dénonça « les gendarmes bolcheviks », leur « dictature » et son « capitalisme d'État ».

Rejet du gouvernement bolchevique par des communistes de Kronstadt

Les troupes communistes présentes sur Kronstadt abandonnèrent le Parti, exprimant ainsi leur soutien à la révolte et son objectif de « tout le pouvoir aux conseils et non aux partis ». Environ 300 communistes furent arrêtés et emprisonnés [réf. nécessaire] , tandis que 780 communistes quittèrent le parti pour protester contre les mesures que celui-ci prenait contre les demandes de Kronstadt et son rôle général dans la Révolution. Jusqu'à un tiers des délégués élus à la conférence des rebelles de Kronstadt du 2 mars furent d'anciens bolcheviks.

Réponses du gouvernement bolchevique

Le gouvernement bolchevique répondit le 5 mars par un ultimatum, affirmant que la révolte « avait été assurément préparée par le contre-espionnage français » et que la résolution de Petropavlovsk était une résolution des socialistes-révolutionnaires de droite et des réactionnaires. Ils ajoutèrent que la révolte était organisée par d'ex-officiers tsaristes menés par le général Kozlovsky - lequel s’était en fait rallié à l’Armée rouge (et, ironiquement, avait été placé dans la forteresse en tant que spécialiste militaire par Trotsky). Ce fut la seule réponse officielle du Parti à toute cette révolte et ses demandes.

La répression

Face à la révolte armée de Kronstadt, dès le début, les autorités refusèrent la négociation. En effet, les bolcheviks annoncèrent qu'ils tireraient les rebelles « comme des perdrix » et prendraient les familles des marins en otage dans Pétrograd. Vers la fin de la révolte, Trotsky refusa l'utilisation d'armes chimiques, mais cette option avait été évoquée dans le cas d'une résistance plus acharnée. Tandis que le 2 mars marquait le début « officiel » de la révolte, les bolcheviks commencèrent les opérations militaires dès la soirée du 7 mars.

Essais de négociations (demandées au gouvernement bolchevique)

Le 5 mars, soit deux jours avant que le bombardement de Kronstadt commence, un groupe d'anarchistes menés par Emma Goldman et Alexandre Berkman se proposèrent comme intermédiaires pour faciliter les négociations entre rebelles et gouvernement (l'influence des anarchistes avait été particulièrement forte dans Kronstadt entre 1917 et 1921). Mais ce geste sera ignoré par les bolcheviks. Quelques années plus tard, Victor Serge reconnut que « même quand le combat avait commencé, il aurait été facile d'éviter tout cela : il était seulement nécessaire d'accepter la médiation offerte par les anarchistes (notamment Emma Goldman et Alexandre Berkman) qui avaient des contacts avec les insurgés. Pour des raisons de prestige et par un excès d'autoritarisme, le Comité central refusera cette possibilité. »

Le Soviet de Pétrograd du 6 mars suggéra également qu'une délégation de membres du Parti et de non-affiliés (mais membres du Soviet) visite Kronstadt. Cette proposition ne fut pas non plus retenue par le gouvernement. Les rebelles, réservés quant au véritable statut des délégués non-affiliés, demandèrent que l'élection de la délégation ait lieu dans les usines, en la présence d'observateurs venus de Kronstadt : cette demande resta sans réponse, le Parti craignant que des observateurs indépendants ne rapportassent la réalité d'une révolte populaire à Kronstadt et n'exposent ainsi les propos mensongers de la propagande officielle au sujet de Kronstadt, rendant une intervention armée beaucoup plus hasardeuse. Une délégation envoyée par Kronstadt pour expliquer les demandes au Soviet de Pétrograd fut directement envoyée dans les prisons de la Tchéka. La décision d'attaquer Kronstadt avait été déjà prise: se basant sur des documents des archives soviétiques, l'historien Israel Getzler déclara : le « 5 mars, sinon plus tôt, les chefs soviétiques avaient décidé d'écraser Kronstadt. Ainsi, dans un câble à [un] membre du Conseil du travail et de la défense de ce jour, Trotsky avait insisté sur le fait que « seule la prise de Kronstadt mettra un terme à la crise politique dans Pétrograd » ».

Refus de négociations par les bolcheviks

Pour les bolcheviks, la victoire de l'insurrection de Kronstadt ne pouvait que conduire à brève échéance à la victoire de la contre révolution, indépendamment des idées qui pouvaient être présentes dans la tête des marins révoltés. Le même jour, agissant en tant que Président du Conseil militaire révolutionnaire de l'armée et de la marine de la République (RVSR), Trostsky commanda la réforme et la mobilisation de la VIIe Armée « pour supprimer le soulèvement dans Kronstadt, le plus rapidement possible. »[10]

Mais si pour Lénine et les bolcheviks, l'insurrection risque de conduire à la contre-révolution, elle est aussi le signe que le pays est épuisé par 8 années de guerre et de guerre civile. Il déclare le 8 mars : « tant que la révolution n'a pas éclaté dans d'autres pays, il nous faudra des dizaines d'années pour nous en sortir. » Maintenant que les armées blanches sont défaites, il estime qu'il faut en finir avec le « communisme de guerre ». Le 15 mars, il propose au congrès de remplacer la réquisition par un impôt en nature, laissant libre le paysan de vendre le reste de la récolte : « il faut accorder la liberté d'échange sous peine de voir le pouvoir soviétique renversé, puisque la révolution mondiale tarde. » C'est le premier pas de la NEP.

Alexandre Berkman estima dans La Tragédie russe (p. 62), que le gouvernement communiste « ne faisait aucune concession au prolétariat, alors qu'en même temps ces mêmes autorités offraient de se compromettre avec les capitalistes de l'Europe et de l'Amérique. » (à travers notamment la mise en place de la NEP, associé au capitalisme d'État).

L'isolement de Kronstadt

Isolée, et pénalisée par les conditions politiques autoritaires et la famine, la révolte ne reçut aucun appui externe. Les ouvriers de Pétrograd étaient bloqués en vertu d'une loi martiale et ne pouvaient donc pas grand chose, et aucune action ne fut entreprise pour soutenir Kronstadt.

Attaque de Kronstadt par l'Armée rouge

Attaque de Kronstadt par l'Armée rouge.

Le premier assaut, le 7 mars, fut un échec. Les soldats de l'Armée rouge doivent attaquer sur plusieurs kilomètres de glace, sous les obus et la mitraille de Kronstadt. Des grappes entières de soldats périssent noyés dans l'eau glacée ; percés par les obus, des régiments s'affolent et se débandent. « Après que le Golfe eut avalé ses premières victimes, » l'historien Paul Avrich relève que « certains des soldats rouges, y compris un corps de Peterhof Kursanty, commencèrent à passer aux insurgés. D'autres refusèrent d'avancer, malgré les menaces des canonnières à l'arrière qui eurent ordre de tirer sur les hésitants. Le commissaire du groupe nord signala que ses troupes voulurent envoyer une délégation à Kronstadt pour connaître les demandes des insurgés. » L'historien trotskiste Jean-Jacques Marie conteste cette version ; il attribue la menace de tirer sur les hésitants à Pétritchenko, et relève que les régiments qu'il cite n'arriveront sur place que le lendemain.

La nuit du 16 au 17 mars, « la troïka extraordinaire d'Aleksei Nikolaev » arrêta plus de 100 meneurs de l'insurrection, dont 74 sont publiquement abattus. L'assaut final eu lieu le 17 et, une fois les forces bolcheviques entrées finalement dans la place, « les troupes attaquantes prendront vengeance pour leurs camarades tombés dans une orgie de sang[11] ». Après 10 jours de constantes attaques, la révolte de Kronstadt est finalement été écrasée par l'Armée rouge.

Suite de la répression ; bilan

La répression ne se termina pas ici. Des prisonniers emmenés à Pétrograd furent exécutés au long des mois qui suivirent. « Ce massacre prolongé fut dirigé ou autorisé par Dzerjinski. (...) La responsabilité du Comité central bolchevique aura été simplement énorme [et] la répression qui s'ensuivit... inutilement barbare. »[12])

Les pertes bolcheviques sont estimées à plus de 10 000 morts. Aucun chiffre fiable sur les rebelles tués, exécutés par la Tchéka plus tard ou déportés dans des camps de prisonniers n'est disponible. Nicolas Werth indique que la répression a fait des milliers de victimes[13]. Après l'écrasement de la révolte, 4836 marins de Kronstadt furent arrêtés et transférés en Crimée ou dans le Caucase. Lénine ordonnera le 19 avril qu'ils soient finalement envoyés aux camps de travail obligatoires (appelés plus tard goulags) des régions d'Arkhangelsk, de Vologda et de Mourmansk. Huit mille marins, soldats et civils s'échapperont vers la Finlande en marchant sur la glace. Les équipages du Petropavlovsk et du Sébastopol combattirent jusqu'au dernier, de même que les cadets de l'école de mécanique, du détachement de torpilles et de l'unité des communications. Un communiqué statistique de la section spéciale de la Troïka extraordinaire du 1er mai déclara que 6528 rebelles furent arrêtés, 2 168 exécutés (33 %), 1 955 condamnés au travail obligatoire (dont 1486 pour cinq années), et 1 272 libérés. Les familles des rebelles furent déportées en Sibérie, considérée comme « seule région appropriée » pour eux.

Après que la révolte eut été anéantie, le gouvernement bolchevique réorganisa la forteresse. Alors qu'il avait maté la révolte au nom du « pouvoir aux soviets », le commandant militaire nouvellement désigné pour Kronstadt abolit complètement le Soviet local et réorganisa la forteresse « avec l'aide d'une troïka révolutionnaire » (c'est-à-dire un comité de trois hommes spécialement désignés)[14]. Le journal de Kronstadt fut renommé « Krasnyi Kronshtadt » (Kronstadt Rouge) et déclara dans son éditorial que « les dispositifs fondamentaux » de Kronstadt étaient ramenés à la « dictature du prolétariat » alors que leurs « phases initiales » avaient été simplement faites de « restrictions à la liberté politique, de terreur, centralisme, discipline militaire et direction de tous des moyens et des ressources vers la création d'un appareillage offensif et défensif d'État. »[15]. Les vainqueurs commencèrent à éliminer toutes traces de la révolte, la place d'ancre devenant « Place révolutionnaire » et les cuirassés rebelles Petropavlovsk et Sébastopol étant rebaptisés respectivement Marat et Commune de Paris.

Trotski et Kronstadt

Trotsky est fortement critiqué pour son rôle dans la répression de Kronstadt, mais s'en défend dans un article de 1938[16]. Dans le même article, il tente de disqualifier le soulèvement de Krondstadt par le caractère réactionnaire et petit-bourgeois, selon lui, des participants anarchistes, insinuant qu'ils ont des liens avec la petite bourgeoisie paysanne et les qualifiant de « racailles » vivant de trafics et de marché noir. Selon lui, les chefs révolutionnaires de toutes tendances qui avaient mené le soulèvement de 1917, et qui avaient fait la réputation révolutionnaire de la ville, avaient été envoyés aux quatre coins de la Russie pour les besoins de la Révolution, et « les marins qui étaient restés dans le Cronstadt « en paix » jusqu'au début de 1921 sans trouver d'emploi sur aucun des fronts de la guerre civile, étaient en règle générale considérablement au-dessous du niveau moyen de l'Armée rouge, et contenaient un fort pourcentage d'éléments complètement démoralisés qui portaient d'élégants pantalons bouffants et se coiffaient comme des souteneurs. » Ces troupes démoralisées par la famine, auraient emmené la population derrière elles, calomniant le parti bolchevique afin d'abord d'exclure les bolcheviks des soviets armés puis de rétablir un état bourgeois [réf. nécessaire].

Dans sa version des faits, Trotsky aurait donc choisi une bataille sanglante plutôt que de voir s'étendre « l'ennemi » ou « l'ennemi intérieur » dans le Nord du pays et risquer encore plus de dégâts. Selon lui, l'intérêt de la bourgeoisie russe était de faire entrer les armées « alliées » et blanches pour reprendre le pouvoir d'où elle avait été chassée 4 ans plus tôt par la Révolution[réf. nécessaire].

Les versions des historiens anarchistes russes[17] ou des opposants de gauche (tels qu'Ante Ciliga[18]) sont fort différentes. Selon eux, le rôle de Trotsky était la défense du monopole du parti bolchevik, écrasant toute opposition de gauche ou anarchiste par désir d'hégémonie. L'alliance entre anarchistes et monarchistes relevant, selon leurs versions, de la « mauvaise foi » de Trotsky.

Kronstadt et l’émigration

Selon l’analyse de Lénine et Trotsky, la répression de la révolte de Kronstadt était nécessaire car il n’existait pas de troisième voie entre les bolcheviks et les armées blanches. Quels que soient les sentiments des marins révoltés, il semble que cette analyse ait été partagée par les milieux monarchistes russes. Le prince Lvov a ainsi reçu un télégramme indiquant : « Félicitations, les soviets sont tombés. » ; le journal cadet de Miloukiv, Poslednie Novosti écrit que l’insurrection de Kronstadt a « suscité un vif intérêt dans les cercles financiers et boursiers français. » Tseidler, représentant de la Croix-Rouge à Helsinki écrit que « bien qu’ils se considèrent comme socialistes, les insurgés reconnaissent la propriété privée[19] ».

Les milieux monarchistes tenteront de venir matériellement en aide aux insurgés[20]. Le Centre national, qui devait en 1919 constituer un gouvernement blanc en cas de victoire du général blanc Ioudenitch, cherche à rassembler des fonds pour soutenir les insurgés. Victor Tchernov, dirigeant démocrate des socialistes-révolutionnaires, adresse ses « salutations fraternelles » et propose de « venir en personne pour placer mes forces et mon autorité au service de la révolution de peuple ». Le 9 mars au soir, une délégation arrive à Kronstadt pour apporter une aide humanitaire, composée du baron Vilken, ancien commandant du Sébastopol (suscitant la colère des anciens marins de ce bâtiment), le général Iavit, le colonel Bounakov, représentant du grand prince Nicolas Nicolaievitch Romanov, Saliari, le chef du service de renseignement de l’État major finlandais, Guerman, membre d’une organisation monarchique clandestine, etc. Le comité révolutionnaire accepte leur aide, mais ne recevra que 13 quintaux de blé. Des fonds sont collectés par l’Union des commerçants et des industriels[21]. D'après Petrichenko, président du comité révolutionnaire provisoire de Kronstadt, l'aide était livrée par la croix-rouge russe résidant en Finlande et ce à titre « philanthropique »[22].

Notes et références

  1. Daniel Guérin, Cronstadt, brochure ucl, repris sous une forme légèrement différente dans L'Anarchisme (ISBN 2-07-032427-3)
  2. SR de gauche
  3. Sections politiques du parti communiste existant dans la plupart des institutions d'État.
  4. Détachements policiers créés officiellement pour lutter contre l'agiotage, mais qui en fin de compte confisquaient tout ce que la population affamée, les ouvriers compris, amenaient des campagnes pour la consommation personnelle.
  5. Élèves-officiers.
  6. Cité par Emma Goldman : http://kropot.free.fr/Goldman-trotsky.htm
  7. « Pourquoi nous combattons», dans Izvestia de Kronstadt (journal des révoltés).
  8. Voline dans La Révolution inconnue : Le mot d'ordre : " Tout le pouvoir aux Soviets locaux " signifiait pour Cronstadt l'indépendance de chaque localité, de chaque Soviet, de chaque organisme social dans les affaires qui les concernaient, par rapport au centre politique du pays : le droit de prendre des initiatives, des décisions et des mesures, sans demander la " permission " à ce " centre ". D'après cette interprétation, le " Centre " ne pouvait dicter ni imposer sa volonté aux Soviets locaux, chaque Soviet, chaque organisme ouvrier ou paysan étant le " maître " chez lui. Nécessairement, il avait à coordonner son activité avec celle d'autres organisations, sur une base fédérative. Les affaires concernant le pays entier devaient être coordonnées par un centre fédératif général.
  9. cité par Vanzler http://www.marxists.org/francais/4int/prewar/1938/vanzler.htm
  10. « Le rôle des chefs communistes dans la tragédie de Kronstadt de 1921 à la lumière des documents archivistiques récemment publiés », La Russie révolutionnaire, vol. 15, n° 1, juin 2002, p. 32.
  11. Paul Avrich, La Tragédie de Cronstadt, p. 211.
  12. Victor Serge, Mémoires d'un révolutionnaire, pp. 131ss.
  13. Pour les seuls mois d'avril-juin 1921, il y eut 2103 condamnations à mort et 6459 condamnations à des peines de prison ou de camp. Nicolas Werth, Histoire de l'Union soviétique. De l'Empire russe à la Communauté des États indépendants (1900-1991), PUF, coll. « Thémis Histoire », Paris, 5e édition refondue, 2001, p. 179.
  14. I. Getzler, Kronstadt 1917 - 1921: Le destin d'une démocratie des soviétique p. 244.
  15. Cité par Getzler, p. 245.
  16. L. Trotsky : Œuvres - janvier 1938
  17. Voline La persécution contre l'anarchisme en Russie soviétique ; ou encore son livre La révolution inconnue consultable en ligne partiellement.
  18. Ante Ciliga, L'Insurrection de Cronstadt et la destinée de la révolution russe, Allia, 1983
  19. cité par Jean-Jacques Marie, Cronstadt, p. 278 et Paul Avrich, La tragédie de Cronstadt, p. 114.
  20. Jean-Jacques Marie, Cronstadt et l'émigration, in Cronstadt, p. 277-283.
  21. Jean-Jacques Marie, Cronstadt, p. 281-282.
  22. Mett I., La Commune de Cronstadt. Crépuscule sanglant des soviets, Paris, janvier 1949, Spartacus, 2e série N°11 p. 78-81

Voir aussi

Articles connexes

Bibliographie

Liens externes


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