Faïence de rouen

Faïence de rouen

Faïence de Rouen

Pot de pharmacie couvert sur piédouche en faïence de Rouen de la fin du XVIIe siècle, décor grand feu bleu et chatiron noir ; hauteur 66 cm ; Musée de la faïence de Marseille.

La faïence rouennaise connaît ses débuts au XVIe siècle avec Masseot Abaquesne. Ce contemporain de Bernard Palissy qui avait complété sa formation auprès des maîtres italiens de Faenza, la petite ville d’Italie qui a donné son nom à la « faïence » fabriqua de magnifiques carreaux de céramique représentant des scènes historiées, des motifs d’arabesque, des emblèmes et des armoiries dans le style italien prépondérant à la Renaissance. Il créa aussi nombre de récipients de pharmacie et d’épicerie au décor également d’inspiration italienne. Son chef d’œuvre est la série de carreaux réalisée entre 1540 et 1548 pour décorer le château du Connétable de France Anne de Montmorency à Écouen. L’entreprise de Masseot Abaquesne, en dépit des efforts de sa veuve et de son fils Laurent pour prendre la relève, ne survécut pas à sa mort, survenue en 1564.

La faïence fait son retour à Rouen au XVIIe siècle avec le monopole accordé en 1644 par la Régente Anne d’Autriche à Nicolas Poirel, sieur de Grandval, qui engage Edme Poterat. Celui-ci lance le fameux décor bleu à lambrequins (ou broderies) également dans la veine des techniques et des décors italiens de l’époque, eux-mêmes d’inspiration chinoise. La décoration d’abord sobre et limitée à la périphérie des objets, deviendra progressivement de plus en plus recherchée et recouvrira l’ensemble de l’objet. Elle marquera pour longtemps le style rouennais. En 1656, Poterat achète des terrains, fait construire une nouvelle fabrique et rachète en 1674 le privilège royal au fils de Nicolas Poirel. À sa mort en 1687, sa veuve et son fils Michel lui succèdent. Le frère de Michel, Louis, crée lui aussi sa propre fabrique. À la mort de Michel, en 1712, la fabrique passe dans la famille de son épouse Leboullenger où elle restera jusqu’en 1770. De même, la fabrique de son frère Louis passe à sa mort, en 1720, aux mains de Nicolas Fouquay, à qui l’on doit de nombreuses pièces de forme dont les célèbres bustes représentant les « Quatre Saisons ».

Les Poterat ont continuellement cherché à créer et à innover. Ils sont ainsi les « inventeurs » de la porcelaine tendre en France. On ne connaît que peu de pièces dont on peut affirmer avec certitude qu’elles ont été produites à Rouen. Malheureusement, à sa mort, Louis Poterat emmène son secret avec lui dans sa tombe.

La fin du XVIIe siècle voit l’apothéose de la technique d’ornementation originale caractéristique de la faïence rouennaise connue sous le nom « de style rayonnant ». Cette fin du XVIIe siècle voit également poindre les premiers essais de polychromie, avec l’insertion de petites touches de rouge. Cette couleur étant difficile à maîtriser, elle tend parfois encore vers l’ocre, et reste utilisée avec parcimonie. Peu à peu Rouen commence à se libérer de l’influence de Delft et de Nevers, en créant son propre style d’inspiration sino-hollandaise.

L’extinction du privilège des Poterat permet l’ouverture de nombreuses fabriques concurrentes. En 1720, Rouen compte treize fabriques. À son apogée, Rouen en comptera jusqu’à 22. Parmi les fabriques les plus florissantes qui se développent dans le quartier Saint-Sever, et qui contribueront à la renommée des productions rouennaises, on peut citer les noms de Caussy, Guillibaud, Bertin, ou encore Mouchard, Heugues, Vallet, Fosse.

Le XVIIIe siècle voit la généralisation du rouge dans la production rouennaise, car il est enfin maîtrisé. Cette couleur, obtenue grâce à la présence d’oxyde de fer, demeure néanmoins délicate à utiliser, car elle pénètre plus difficilement dans l’émail en raison d’une pâte plus épaisse. Cette consistance provoque un léger relief, là où le rouge a été appliqué, et même fréquemment des bulles lors de la cuisson.

Bien que rare, l’or a parfois été utilisé pour rehausser la décoration de certaines pièces. Cette substance ne supportant pas les températures élevées « du grand feu », elle utilise une technique particulière appliquée « à froid ».

La maîtrise de l’art de la faïence par les faïenciers rouennais va leur permettre d’élaborer toutes sortes de formes sur lesquelles appliquer leur savoir-faire. Encouragée par le besoin de financement des guerres de Louis XIV, la faïence remplace peu à peu les pièces d’argenterie dont elle reprend le style.

Outre les plats et assiettes, Rouen excelle vite à produire hanaps et aiguières, bannettes, bouteilles et pichets, jattes, moutardiers et boîtes à épices, huiliers, jardinières et rafraîchissoirs, saucières, saupoudreuses ou théières, terrines, légumiers et soupières, bouquetières, boules à éponge ou à savon, plats à barbe, … ou encore crachoirs, bidets et bourdaloues. Aucun domaine ne rebute les faïenciers rouennais comme en atteste la production de suspensoirs d’église, de bénitiers et de crucifix, de Bacchus assis sur un tonneau, voire de consoles murales, plateaux de commodes ou de cheminées, même si certaines de ces pièces relèvent plus de l’exercice de style que d’une production continue.

L’introduction d’autres couleurs aboutit à l’apparition, dès le premier quart du XVIIIe siècle, de décors dans la veine chinoise aux couleurs jaune, vert, bleu, rouge et même noir brillant très vives. La fabrique Guillibaud, même si elle n’est pas la seule à avoir produit ce type de décor, se distinguera par son inspiration du décor chinois « famille verte » de la dynastie Tsing. L’apogée du décor chinois dans la faïencerie rouennaise se situe entre 1720 et 1750.

Les faïenciers rouennais, toujours à la recherche de nouveautés, diversifient les décors. Ainsi, à l’instar des décors « bleus persans » de Nevers, Rouen créé son propre décor « bleu empois », attribué aux fabriques de Guillibaud et de Caussy. Dans un style similaire au « bleu empois », quelques tentatives de production de pièces « à fond jaune » seront effectuées. Autre spécificité rouennaise, la fabrique de Charles Le Coq de Villeray produira également des décors dit « à l’ocre niellé ».

Afin de s’adapter à la mode et à l’évolution du goût, la forme des pièces évoluent également. Au XVIIe siècle et au début du XVIIIe siècle, les assiettes et plats sont dans le style de l’orfèvrerie Louis XIV, de forme ronde à bord uni, ou octogonale, les bannettes et huiliers sont de forme rectangulaire, aux lignes droites, à pans coupés. À partir du deuxième tiers du XVIIIe siècle, sous Louis XV, les formes évoluent, toutes en courbes, et abandonnent la rigidité un peu austère des lignes droites de la période précédente. De tronconiques, les saupoudreuses deviennent balustres, les plats et assiettes sont chantournées, les huiliers sont oblongs. Dans la seconde partie du XVIIIe siècle, on voient également apparaître des bordures dentelées.

Assiette à bord chantournée à décor polychrome dit « Aux deux perruches branchées » d’essence rocaille. Circa 1765. Attribué à la fabrique de Guillaume-François ou Guillaume Heugues. Coll. particulière

L’apparition, vers 1740, du style « rococo » voit l’introduction des motifs plus occidentaux – arc et carquois, scènes de la vie de l’époque, fleurs telles que tulipes ou iris – concurremment à la conservation d’éléments propres au décor chinois tels que œillet, grenade, corne (corne de rhinocéros), rocher percé. À la fin du siècle, Levavasseur, héritier de la fabrique de Guillibaud, se lance dans la production de faïence « au petit feu » où le décor est posé sur l’émail déjà cuit donc dur, contrairement à la technique « de grand feu » où le décor est posé sur l’émail non cuit donc pâteux. Le décor est soit floral, soit « aux marchands levantins » inspiré d’une série de gravures hollandaises du début du XVIIIe siècle, ou peut encore représenter des scènes « d’oiseaux branchés ».


Parallèlement aux réalisations de qualité qui ont fait sa réputation, la production faïencière rouennaise du XVIIIe siècle a également consisté en un nombre considérable de faïences bon marché de formes primitives très sommairement décorées. La productivité et la variété de la qualité des produits des faïenciers de Rouen ne les mirent pas à l’abri des importations anglaises, de la limitation de l’utilisation du bois de chauffe destinée à protéger le domaine forestier et des fabriques de porcelaines qui marqueront le coup d’arrêt de la faïencerie rouennaise dont les fabriques cessent l’une après l’autre leur activité à la fin du XVIIIe siècle. Le déclin de la production sera rapide puisqu’à la veille de la Révolution, Rouen compte encore une quinzaine de fabriques.

Celle d’Edme Poterat cesse ses activités en 1795. Au cours de son existence, elle aura pour propriétaires successifs sa veuve et son fils Michel, puis la veuve de Michel, née Leboullenger, avant de passer entre les mains de Charles Le Coq de Villeray, de François-René Dionis, puis de Jean-Baptiste de La Houssiette, et enfin Mouchard comme dernier propriétaire.

Rouen tentera bien au cours du siècle de réduire ses coûts, en appliquant au revers des plats et assiettes une seule couche d’émail au lieu de deux au début du siècle, ou en utilisant une argile moins raffinée, ce qui entraîne la production de pièces plus épaisses au fur et à mesure que l’on avance dans le siècle. Les faïenciers ne pourront également rien contre l’évolution des goûts de leur clientèle, de plus en plus attirée par la palette de couleurs, la variété des décors, et la finesse de la porcelaine.

L’influence de Rouen dans de nombreuses fabriques françaises, Paris, Saint-Cloud, Moulins, Sinceny, Lille, Saint-Omer, Saint-Amand, Strasbourg (fabrique de Charles-François Hannong), Marseille (fabrique de Leroy), Rennes, Quimper, Bordeaux, Clermont-Ferrand, Saintes et La Rochelle est néanmoins très sensible.

Quelques rares fabriques parviennent cependant à maintenir une activité au XIXe siècle, comme celle de La Méttairie, ou celle d’Amédée Lambert qui poursuit la production de la fabrique Guillibaud-Levavasseur, mais elles s’orientent vers une production plus utilitaire (terrines, moules à fromage…), ne consacrant qu’une faible part aux décors qui ont fait le faste de Rouen. La production s’éteint définitivement sous Napoléon III, vers 1855. De nombreuses fabriques françaises vont continuer de reproduire des décors de Rouen au cours du XIXe siècle, sans y apporter cependant tout l’éclat de la production rouennaise. Desvres, Gien, Sarreguemines, Bordeaux ou encore Malicorne vont ainsi reproduire les décors « aux lambrequins » ou « à la corne », avec des interprétations plus ou moins heureuses.

Bibliographie

  • Anne-Alice Arnautou (préface de Fernand Guey), La Faïence de Rouen, Delagrave, Paris, 1928, broché, 32 p. 
  • Christian de La Hubaudière et Chantal Soudée Lacombe, L’art de la fayence" des Caussy, faïenciers à Rouen et Quimper au XVIIIe siècle, Falaise, Lilou, 2007 (ISBN 9782951023314)
  • Christian de La Hubaudière, Les Maîtres de la fayence, Falaise, Lilou, 2008
  • « Fouilles d’une faïencerie du XVIIIe à Rouen. Technique de fabrication de la faïence », dans Archeologia (ISSN 0570-6270), no 190, mai 1984
  • Art & Décoration, no 156, 1971
  • Dorothée Guillemé Brulon, Histoire de la faïence française. Paris et Rouen, sources et rayonnement, Paris, Massin, 1998 (ISBN 9782707203441)
  • Pierre Carel, Saint Sever : Le temps des manufactures de faïence, Rouen, Archéologie et histoire en Seine-Maritime, 1996 (ISBN 9782951060807)
  • Pierre Olivier, Masseot Abaquesne et les origines de la faïence de Rouen, Rouen, Lecerf, 1952
  • Christine Lehaussois, Comment reconnaître une Faïence de Rouen, Paris, Réunion des musées nationaux, 2006 (ISBN 9782711851973)
  • Solange de Plas, Les Faïences de Rouen, du Nord et de la région parisienne, Ch. Massin, Paris, 1977 (ISBN 9782707209863) 
  • Olga Popovitch, La Faïence de Rouen, Lecerf, Rouen, 1970 
  • André Pottier, Histoire de la faïence de Rouen, Rouen, A. Le Brument, 1870 ; éditions de Neustrie, Caen, 1986

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