Gabriel García Márquez

Gabriel García Márquez
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Gabriel García Márquez
García Márquez au Festival international du film de Guadalajara en 2009

Nom de naissance Gabriel José de la Concordia García Márquez
Autres noms Gabo
Activités romancier, novelliste, journaliste
Naissance 6 mars 1927
Aracataca, Drapeau de Colombie Colombie
Langue d'écriture Espagnol (Colombie)
Mouvement réalisme magique
Genres merveilleux, fabuleux, historique, humoristique, satirique, dramatique
Distinctions Prix Nobel de littérature 1982
Prix Rómulo Gallegos
Œuvres principales

Gabriel José de la Concordia García Márquez est un écrivain colombien né le 6 mars 1927 dans la municipalité d'Aracataca, en Colombie. Romancier, novelliste mais également journaliste et activiste politique, il est devenu lauréat du prix Nobel de littérature en 1982. García Márquez, affectueusement connu sous le nom de « Gabo » en Amérique Latine, est un des auteurs les plus significatifs du XXe siècle.

Il a poursuivi un enseignement autodidacte en quittant son école de droit pour se lancer dans une carrière de journaliste. Très tôt, il n'a montré aucune retenue dans sa critique sur la politique intérieure comme extérieure de la Colombie. En 1958, il a épousé Mercedes Barcha avec qui il a eu deux fils : Gonzalo et Rodrigo García, devenu réalisateur. Il a beaucoup voyagé en Europe et vit actuellement à Mexico, où il vient de lancer une édition mexicaine de son hebdomadaire colombien Cambio. Depuis 1999, il se bat contre un cancer lymphatique.

Il a commencé sa carrière professionnelle en tant que journaliste, et a écrit beaucoup d'œuvres littéraires non-fictionnelles généralement bien reçues, ainsi que des nouvelles. Cependant, c'est pour ses romans, tels que Cent ans de solitude (1967), Chronique d'une mort annoncée (1981) et L'Amour aux temps du choléra (1985), qu'il est le plus reconnu. Ses œuvres ont acquis une reconnaissance de la part des critiques littéraires, de même qu'un large succès commercial, associant fréquemment le nom de García Márquez au « réalisme magique », genre qui insère des éléments magiques et des événements surnaturels dans des situations se rattachant à un cadre historique et géographique avéré. La plupart de ses livres abordent le thème de la solitude et l'histoire de certaines de ses œuvres se déroule dans un village fictif appelé Macondo.

Sommaire

Biographie

Sa jeunesse

Gabriel García Márquez, né le 6 mars 1927 à Aracataca en Colombie[1],[2], a pour parents Gabriel Eligio García (1901 - 1984) et Luisa Santiaga Márquez Iguarán (1905 - 2002)[B 1],[D 1]. Il est l'aîné d'une famille de onze enfants. Né lors d'une tempête, il semblerait qu'il se soit présenté avec le cordon ombilical autour du cou, ce qui expliquerait sa tendance à la claustrophobie[A 1]. Juste après la naissance de García Márquez, son père décide de devenir pharmacien alors qu'il était précédemment télégraphiste[A 2]. En janvier 1929, ses parents partent pour Barranquilla[B 2],[3] tandis que Gabriel reste à Aracataca. Il a été élevé par ses grands-parents maternels, Doña Tranquilina Iguarán Cotes de Márquez (1863 - 1947) et le Colonel Nicolás Ricardo Márquez Mejía (1864 - 1937)[C 1].

Quand ses parents sont tombés amoureux l'un de l'autre, leur relation s'était heurtée à la résistance du père de Luisa Santiaga Márquez. En effet, Gabriel Eligio García était pauvre et métis[A 3]. De plus, il était partisan du parti conservateur et avait la réputation d'être un coureur de jupons. Il n'était donc pas l'homme que le Colonel Nicolás Ricardo Márquez Mejía souhaitait pour sa fille[B 3],[C 2]. Gabriel Eligio a courtisé Luisa avec des sérénades au violon, des poèmes d'amour, de nombreuses lettres et même avec des messages télégraphiques après que le Colonel a imposé à sa fille de quitter la ville avec l'intention de séparer le jeune couple. Les parents de Luisa ont tout essayé pour se débarrasser de Gabriel Eligio mais il a continué malgré tout à courtiser Luisa Santiaga. Ils ont finalement capitulé et lui ont donné la permission d'épouser leur fille[F 1],[B 4], refusant cependant d'assister au mariage organisé à Santa Marta[A 2]. L'histoire tragicomique de leur cour sera plus tard adaptée dans l'Amour aux temps du choléra[A 4],[B 5].

Alors que les parents de García Márquez étaient plus ou moins des étrangers pour lui lors des premières années de sa vie, ses grands-parents ont eu une forte influence sur lui[B 6],[F 2]. Son grand-père, qu'il surnommait « Papa Lelo »[B 6], était un vétéran de la guerre des Mille Jours, à laquelle il avait participé dans le camp libéral[B 7]. Le Colonel était considéré comme un héros par les Colombiens libéraux et était fort respecté[B 8]. Il était particulièrement connu pour son refus de passer sous silence le massacre des bananeraies qui a eu lieu l'année suivant la naissance de García Márquez[B 9]. Le Colonel, que García Márquez a décrit comme « le cordon ombilical entre l'histoire et la réalité »[3], était aussi un excellent conteur[B 10]. Il a enseigné à García Márquez un savoir scolaire et l'amenait également au cirque tous les ans. Il a été le premier à lui faire découvrir la glace, un « miracle » découvert dans un magasin de la United Fruit Company[B 11]. Occasionnellement, il faisait comprendre à son petit-fils qu'il n'y avait pas de plus grand fardeau moral que celui d'avoir tué un homme, une leçon que García Márquez intègrera plus tard dans son œuvre[B 12],[F 3].

Sa grand-mère, Tranquilina Iguarán Cotes, a joué un rôle tout aussi influent dans la construction de la personnalité de García Márquez et la manière qu'elle avait de « traiter les choses extraordinaires comme si elles étaient tout à fait naturelles » l'a beaucoup inspiré[F 4]. Sa maison était remplie d'histoires de fantômes et de prémonitions, de présages et de prophéties[B 13], toutes ignorées consciencieusement par son mari[B 6]. Selon García Márquez, c'est elle qui est « la source de la vue magique, superstitieuse et surnaturelle de la réalité »[3] qui traverse ses écrits. Il aimait en effet la façon unique qu'avait sa grand-mère de raconter les événements les plus fantastiques et improbables comme des vérités irréfutables. Ce style impassible a influencé, quelque trente ans plus tard, le roman le plus populaire de García Márquez : Cent ans de solitude[B 14] ainsi que nombre des nouvelles ayant pour cadre le village fictif de Macondo.

Ses études

La Métamorphose de Franz Kafka : une source d'inspiration pour la nouvelle La troisième résignation de García Márquez.

Enfant, García Márquez a fréquenté l'établissement scolaire Maria Montessori qui appliquait une nouvelle méthode d'enseignement (dite pédagogie Montessori). Cependant cette école, ayant connu des difficultés de fonctionnement, ferma en milieu d'année et obligea ainsi García Márquez à redoubler sa première année. Il n'apprit donc à lire et à écrire qu'à l'âge de huit ans[A 5]. En 1936, il entre à l'école publique d'Aracata[A 6].

En mars 1937, son grand-père meurt d'une pneumonie, deux ans après une chute d'échelle dont il ne s'était jamais entièrement remis[A 7]. Il part alors vivre en 1938 chez ses parents à Barranquilla où son père tient une pharmacie[F 4],[C 3]. Il termine son cycle primaire dans cette ville. Afin d'aider ses parents qui ont des soucis financiers, García Márquez travaille pour un magasin où il peint des messages sur des panneaux et distribue également des prospectus auprès d'un imprimeur[A 8].

En novembre 1939, la famille au complet part s'installer à Sucre, Gabriel Eligio souhaitant retourner dans cette petite ville où il était allé dans sa jeunesse[A 9]. Cependant, García Márquez retourne à Barranquilla au collège San José où il obtient des résultats scolaires satisfaisants. Il écrit des Fadaises qui sont des poèmes satyriques et humoristiques sur les autres élèves ou sur certains règlements de l'école, publiant également plusieurs poèmes dans le journal de l'école, Juventud[A 10].

En 1943, García Márquez part à Bogotá afin de passer un examen d'obtention de bourse qu'il réussit. Il obtient ainsi une place au lycée national de garçons à Zipaquirá[A 11]. Lors de ses études, Carlos Martín, qui est proviseur du lycée, présente pour la première fois le jeune homme à deux poètes majeurs de l'époque : Eduardo Carranza et Jorge Rojas[A 12]. En décembre 1944, El Tiempo publie un des poèmes de García Márquez, Canción (Chanson), sous le pseudonyme de Javier Garcès[A 13].

Après avoir obtenu son baccalauréat, García Márquez s'inscrit, suite à l'insistance de son père, à l'Université nationale de Colombie située à Bogotá pour étudier le droit[A 14]. Cependant, il préfère la littérature et, après avoir lu La Métamorphose de Franz Kafka, il écrit une nouvelle, La troisième résignation, qui est publiée le 13 septembre 1947 dans El Espectador[A 15]. En 1948, suite à l'assassinat du leader libéral Jorge Eliécer Gaitán le 9 avril 1948 et aux graves émeutes qui suivent (le Bogotazo), l'université ferme, ce qui permet à García Márquez d'interrompre ses études de droit qui ne l'intéressent pas et de partir à Carthagène[4],[A 16].

Ses débuts en journalisme

Arrivé à Carthagène, García Márquez se réinscrit cependant en faculté de droit pour poursuivre sa deuxième année d'études[A 17]. Peu après, le hasard fait qu'il est engagé à vingt-et-un ans par Manuel Zapata Olivella en tant que chroniqueur pour le journal El Universal, fondé moins de dix semaines auparavant[A 18]. Continuant à étudier le droit par intermittence, il rédige notamment quarante-trois articles sous son nom au cours des vingt-trois mois suivants pour El Universal[A 19]. Envoyé par ce dernier à Barranquilla, García Márquez fait la connaissance du groupe informel d'écrivains et de journalistes connu sous le nom de « Groupe de Barranquilla », et notamment d'Alfonso Fuenmayor qui est rédacteur en chef adjoint du journal El Heraldo[A 20]. En 1948, il commence à rédiger son premier roman, sous le titre provisoire de La Casa. En 1949, il décide de quitter Carthagène et de retourner à Barranquilla, décision que son ami Ramiro de la Espriella explique de la sorte : « Eh bien, je crois qu'il est allé à Barranquilla pour avoir de l'air, un surcroît de liberté et un meilleur salaire[A 21]. »

Plus tard, de 1950 à 1952, il écrit une colonne humoristique quotidienne, La Jirafa (La Girafe)[5], sous le nom de « Séptimus » dans le journal local El Heraldo de Barranquilla[H 1]. Ses colonnes et éditoriaux pour El Heraldo sont payés à la tâche par le journal[D 2]. Il devient également directeur d'un éphémère hebdomadaire indépendant, La Crónica, produit dans l'atelier d'El Heraldo et qui est paru entre avril 1950 et juin 1951[A 22]. Pendant ces années, García Márquez rejoint le « groupe de Barranquilla », qui lui a fourni motivation et inspiration au début de sa carrière littéraire. Il a travaillé en s'inspirant de figures comme Ramón Vinyes, le patriarche du groupe, dépeint comme un vieux catalan possédant une librairie dans Cent ans de solitude[G 1]. À la même époque, García Márquez se nourrit également des œuvres de Virginia Woolf, William Faulkner ou James Joyce. Les techniques narratives, thèmes historiques et localisations provinciales utilisés par Faulkner ont influencé beaucoup d'auteurs latino-américains de cette génération[H 2]. L'environnement de Barranquilla a permis à García Márquez de découvrir le meilleur de la littérature mondiale de l'époque tout en approfondissant sa culture caribéenne. Par ailleurs, lors de cette période, il fait la connaissance du poète Alvaro Mutis qui l'incite à terminer son roman Des feuilles dans la bourrasque qu'il avait commencé à écrire en 1950[A 23] et qui sera publié pour la première fois en 1955.

Entre 1954 et 1955, García Márquez séjourne de nouveau à Bogotá, où il écrit régulièrement pour El Espectador des critiques cinématographiques avec une vision plutôt littéraire et humaniste[A 24] ainsi que des reportages. Il fit notamment un reportage sur un glissement de terrain meurtrier à Medellín. En plus de découvrir des preuves de la négligence des autorités, il montra que les habitants, qui voulaient secourir les victimes, avaient déclenché un second éboulement meurtrier[A 25].

En 1955, une série d'entrevues de García Márquez avec Luis Alejandro Velasco, seul survivant de huit marins colombiens tombés à la mer du navire de guerre Caldas en février 1955, est publiée dans El Espectador sous forme de quatorze articles[G 1],[6]. Ce récit sera de nouveau publié en 1970 sous le titre Récit d'un naufragé. Alors que la version du gouvernement selon laquelle les huit hommes seraient tombés à la mer au cours d'une forte tempête, Velasco confie à García Márquez que « le problème, c'est qu'il n'y a pas eu de tempête », et que les hommes sont tombés à la mer parce qu'un chargement mal arrimé d'appareils électroménagers ramenés des États-Unis (chargement qui n'avait pas sa place à bord d'un navire de guerre) s'est détaché[7]. Cette révélation, confirmée ensuite par des photographies prises par les marins à bord du Caldas, donnera lieu à de fortes controverses allant jusqu'à des menaces contre García Márquez, qui sont une des raisons pour laquelle il est envoyé comme correspondant en Europe[G 2], où il écrira pour El Independiente, journal qui avait brièvement remplacé El Espectador sous le gouvernement militaire de Gustavo Rojas Pinilla[8] avant d'être finalement fermé par les autorités[H 2]. Les expériences journalistiques de García Márquez sont fondamentales pour sa carrière d'écrivain. Selon le critique littéraire Gene H. Bell-Villada, « Grâce à ses expériences dans le domaine du journalisme, García Márquez est, de tous les grands auteurs vivants, celui qui est le plus proche de la réalité de tous les jours. »[E 1].

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Départ vers l'Europe

García Márquez part en 1955 pour l'Europe en tant que correspondant étranger à la conférence de Genève entre les « quatre Grands » (l'Union soviétique, le Royaume-Uni, les États-Unis et la France). Il y écrit plusieurs articles[A 26] et part ensuite en Italie, dans la ville de Rome, pour rédiger une série d'articles sur l'affaire Wilma Montesi qu'il définit comme étant le « scandale du siècle »[A 27]. Puis, il assiste au 16e Festival du cinéma de Venise où il écrit divers articles et critiques de films. Il traverse également différents pays européens : l'Autriche, la Tchécoslovaquie, la Pologne, la Hongrie ou encore la Russie, avant de retourner à Rome pour s'inscrire à un cours de cinéma au Cinecittà, centre expérimental du film[A 28].

En décembre 1955, García Márquez part pour Paris et reprend contact avec Plinio Apuleyo Mendoza qu'il avait déjà rencontré à Bogotá avant le Bogotazo. En janvier 1956, après avoir fait payer une amende de 600 000 pesos à El Espectador, Gustavo Rojas Pinilla fait fermer le journal, qui ne peut plus rémunérer García Márquez[A 29]. Ce dernier devra ainsi temporairement loger dans un grenier sans chauffage au septième étage[A 29]. Le 15 février 1956, El Independiente remplace El Espectador et, avant la fermeture administrative de ce nouveau journal le 15 avril 1956, le jeune journaliste colombien peut écrire une série de dix-sept articles sur un procès dans lequel des personnes étaient accusées d'avoir fourni des secrets gouvernementaux aux communistes[A 30]. C'est également pendant sa période parisienne que García Márquez commence à écrire son roman La Mala Hora qui sera publié en 1962. À cette époque, il se procure en édition de poche l'œuvre complète de François Rabelais qui aura une influence marquante sur sa création littéraire[9].

En mars 1956, García Márquez fait la rencontre de Tachia Quintana, une jeune actrice espagnole, avec qui il noue une relation très forte. D'ailleurs, lorsque Gerald Martin lui demande de plus amples détails à ce sujet, l'écrivain colombien répond que « tout le monde a trois vies : une vie publique, une vie privée et une vie secrète »[A 31]. Peu après, Quintana tombe enceinte et, après une fausse couche, leur relation prend fin[A 32]. La même année, García Márquez finit d'écrire Pas de lettre pour le colonel (El coronel no tiene quien le escriba).

Lorsque Plinio Mendoza revient à Paris en mai 1957, lui et García Márquez décident de partir tous deux en Europe de l'Est en commençant par Leipzig puis Berlin, ville où García Márquez rédige quelques articles sur le rideau de fer[A 33]. Puis les deux hommes retournent à Paris avant de repartir à Moscou pour assister au VIe Congrès international de la jeunesse[A 34]. Après un détour par la Hongrie, García Márquez revient dans la capitale française où, de septembre à octobre 1957, il écrit une série d'articles qui retranscrivent ses voyages en Europe et qui paraîtra en français sous le titre 90 jours derrière le rideau de fer (De viaje por los países socialistas) en 1959.

Lors d'un court séjour à Londres à partir de novembre 1957, García Márquez accepte un poste à Caracas au sein du journal Momento proposé par le patron de Plinio Mendoza le 16 décembre 1957[A 35].

Retour en Amérique

Le 23 décembre 1957, García Márquez arrive à Caracas et commence à travailler au journal Momento[A 36]. Il assiste ainsi en janvier 1958 à un soulèvement général de la population et à la fuite du président vénézuélien Marcos Pérez Jiménez vers Saint-Domingue. À la suite de cet évènement, García Márquez écrit un article politique, « La participation du clergé à la lutte » qui raconte le rôle joué par l'Église du Venezuela dans la lutte contre le dictateur[A 37]. En mars 1958, il fait un voyage éclair en Colombie où il épouse Mercedes Barcha le 21 mars 1958 puis ils retournent ensemble à Caracas[B 15],[G 3]. En mai 1958, en désaccord avec le propriétaire de Momento, il démissionne et devient, peu après, rédacteur en chef de Venezuela Gráfica[A 38]. Le 18 janvier 1959, un révolutionnaire cubain propose à García Márquez d'assister au procès public des hommes de main de Fulgencio Batista. Il accepte l'invitation et y aperçoit Fidel Castro[A 39]. En avril 1959, accompagné de son épouse, il retourne à Bogotá pour travailler dans un bureau de Prensa Latina, journal créé par le gouvernement cubain pour contrecarrer la propagande contre Cuba[10]. Le 24 août 1959, leur premier fils, Rodrigo, voit le jour[G 3]. Le milieu des années 1960 est une période creuse au niveau littéraire pour García Márquez, d'autant plus que, pour la réédition de Pas de lettre pour le colonel en 1961, seuls 800 des 2 000 premiers exemplaires publiés sont vendus[A 40].

En 1960, à la demande de Jorge Ricardo Masetti, fondateur de Prensa Latina et proche de Che Guevara[10], García Márquez accepte de participer à une formation de jeunes journalistes se déroulant par intermittence sur quelques mois à La Havane. En décembre, il croise par hasard la route de Fidel Castro dans un aéroport[A 41]. En janvier 1961, Masetti envoie García Márquez, accompagné de sa famille, travailler en tant que correspondant à New York dans un des bureaux de Prensa Latina. À la même période, John Fitzgerald Kennedy est élu président des États-Unis et nombreux sont les Cubains à venir se réfugier sur le territoire américain. Pour García Márquez et ses collègues de travail, c'est une période stressante. Ces derniers sont en effet souvent insultés et menacés par téléphone. Il reste encore à son poste quelque temps après le débarquement de la baie des Cochons du 17 avril 1961 mais finit par démissionner[A 42].

García Márquez et sa famille partent alors vers le Mexique. Ils traversent le Sud des États-Unis par bus, l'écrivain colombien souhaitant découvrir la région américaine qui avait inspiré les écrits de William Faulkner[D 3],[G 4]. Ils arrivent à Mexico le 26 juin 1961Álvaro Mutis vient les retrouver[A 43]. Peu de temps après, il est embauché en tant que rédacteur en chef de deux magazines alors qu'il espérait entrer dans le monde du 7e art[A 44]. En 1962, il présente La Mala Hora pour le prix littéraire colombien et est déclaré vainqueur par l'Académie colombienne des Lettres[A 45]. Il obtient ainsi un prix de 3 000 dollars pour un manuscrit qu'il souhaitait initialement appeler La Ville merdique[A 45]. Les funérailles de la Grande Mémé, texte clé dans la trajectoire littéraire et politique de l'auteur colombien car réunissant pour la première fois « réalisme » et « magie »[A 46], est publié en 1962 à Barcelone. La même année, le 16 avril 1962, son deuxième fils, Gonzalo, naît[D 4]. Par ailleurs, García Márquez ne cesse d'admirer les actions menées par Fidel Castro et Che Guevara, qui défient les États-Unis. En avril 1963, il quitte son emploi et se lance dans l'écriture de plusieurs scénarios de films. Il est engagé en septembre par l'agence de publicité Walter Thompson et peut ainsi, entre 1963 et 1965, travailler en indépendant pour l'industrie du cinéma et plusieurs agences de publicité[A 47].

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La gloire

García Márquez signant un exemplaire de Cent ans de solitude à La Havane, Cuba.

En août 1965, moment important dans sa carrière, García Márquez signe avec l'agent littéraire de Barcelone, Carmen Balcells, un contrat autorisant cette dernière à représenter l'écrivain colombien dans toutes les langues et dans tous les pays pendant cent cinquante ans[A 48]. Entre juillet 1965 et août 1966, il écrit le roman Cent ans de solitude, même si sa plus grosse difficulté a été de le « démarrer », rédigeant cependant par la suite plusieurs pages par jour[A 49]. Durant cette période, il abandonne son emploi pour s'adonner entièrement à l'écriture de son manuscrit[A 50]. En mars 1966, Tiempo de morir, dont il a écrit le scénario, remporte le premier prix au Festival international du film de Carthagène[A 51].

En avril 1967, Germán Vargas, l'un des membres du « groupe de Barranquilla », publie dans l'hebdomadaire Encuentro liberal un article qu'il a écrit sur Cent ans de solitude ; il y explique que ce roman est « Un livre qui fera du bruit »[A 52]. Et effectivement, Primera Plana, hebdomadaire important en Argentine, publie en 1967 un article sur García Márquez, après qu'un de ses journalistes a partagé la vie des García Barcha pendant une semaine[A 53]. La même année, Mario Vargas Llosa définit le nouveau roman de García Márquez comme le « grand roman de chevalerie » d'Amérique latine[A 53]. L'œuvre littéraire sort pour la première fois le 30 mai 1967 en Argentine[11] et, en juin, García Márquez est interviewé par Visión, l'équivalent du Time en Amérique latine[A 54]. Le 1er août 1967, il participe au XIIIe congrès international de littérature ibéro-américaine à Caracas où Mario Vargas Llosa, avec qui il se lie d'amitié, remporte le Prix Rómulo Gallegos pour son roman La Maison verte[A 54]. Cette relation amicale se terminera quelques années plus tard, García Márquez recevant un coup de poing en plein visage de la part de Vargas Llosa, pour des raisons qui restent floues, mais qui seraient en relation avec l'épouse de l'écrivain péruvien[A 55]. Suite à cette nouvelle célébrité qui lui permet d'avoir une certaine sécurité financière, García Márquez décide de retourner en Europe, probablement « pour échapper à une pression devenue quotidienne, retrouver une liberté de manœuvre qui lui permettrait de rassembler ses esprits[A 56] ».

García Márquez et sa famille arrivent le 4 novembre 1967 à Madrid, pendant la dictature de Francisco Franco, avant de se rendre à Barcelone une semaine après[A 57]. Avec son roman Cent ans de solitude, l'écrivain colombien devient en Espagne l'icône d'un nouveau courant littéraire, le « boom latino-américain ». Il fait la rencontre de la romancière espagnole Rosa Regàs et de la Brésilienne Beatriz de Moura qui ouvrira plus tard la maison d'édition Tusquets. Durant cette période, pendant que Mercedes s'occupe de la famille, García Márquez s'adonne à l'écriture, avec pour projet L'Automne du Patriarche. Il déclarera ainsi à des journalistes : « Elle me donne de l'argent de poche pour acheter des bonbons, comme à nos fils[12] ». Il leur dira également que Cent ans de solitude était « superficiel » et que son succès pouvait s'expliquer par une série de « trucs » d'auteur[A 58].

En avril et mai 1968, la famille García Barcha visite Paris peu avant les évènements de Mai 68 où García Márquez retrouve Tachia Quintana, puis va ensuite en Italie[A 59]. Alors qu'il laisse une image d'homme apolitique à Barcelone, García Márquez montre son désaccord lorsque le dissident cubain Heberto Padilla remporte le prix de poésie à la quatrième compétition de l'Union nationale des écrivains et artistes de Cuba (« UNEAC ») qui entraîna une crise où les jurés ont été séquestrés à Cuba[A 60]. En janvier 1970, le Prix du Meilleur livre étranger de l'année 1969 est attribué à Cent ans de solitude, cérémonie à laquelle García Márquez refuse de participer, déclarant que « le livre ne sonne pas bien en français »[A 61]. La version anglaise de Gregory Rabassa sera, quant à elle, considérée comme la meilleure traduction de l'année.

En 1971, García Márquez et sa famille repartent pour neuf mois en Amérique latine, l'écrivain colombien souhaitant prendre une pause alors qu'il écrit L'Automne du Patriarche[A 62]. Pendant cette période, plusieurs auteurs (tels que Mario Vargas Llosa, Juan Goytisolo, Jean-Paul Sartre et Plinio Mendoza) rédigent le 9 avril une lettre de protestation adressée à Fidel Castro et publiée par Le Monde. Pensant que García Márquez allait adhérer à leurs idées, Plinio Mendoza signe pour lui. Cependant, l'écrivain colombien fait retirer son nom et déclare son soutien au régime cubain[A 63]. La même année, il est intronisé docteur honoris causa par l'Université Columbia, à New York[13]. Fin septembre 1971, les García Barcha retournent à Barcelone où García Márquez reprend l'écriture de L'Automne du Patriarche.

En 1972, est publiée L'Incroyable et triste histoire de la candide Eréndira et de sa grand-mère diabolique qui regroupe des nouvelles telles que Un Monsieur très vieux avec des ailes immenses et La Mer du temps perdu. La même année, García Márquez reçoit le Prix Neustadt, décerné en association avec le magazine Books Abroad de l'Université d'Oklahoma[14]. En mai 1973, García Márquez annonce que son roman L'Automne du Patriarche est terminé[A 64], le peaufinant cependant jusqu'en 1974[A 65], avant qu'il ne soit publié en mars 1975 à Barcelone[A 66]. Après la publication de L'Automne du Patriarche, Garcia Marquez et sa famille quittent Barcelone et partent s'installer à Mexico[D 4]. García Márquez promet alors de ne plus publier de nouveaux romans jusqu'à ce que le dictateur chilien Augusto Pinochet soit renversé.

Entre 1973 et 1979, García Márquez met plus ou moins entre parenthèses sa carrière d'écrivain. Il s'implique davantage en politique, publiant divers articles dans le magazine politique Alternativa. Il s'intéresse ainsi à la Révolution des Œillets qui avait éclaté au Portugal en avril 1974, à la révolution militaire péruvienne, au régime cubain de Fidel Castro et, dans une moindre mesure, à la révolution nicaraguayenne.

Le 19 mars 1980, García Márquez annonce avoir terminé d'écrire un roman[A 67], alors que Pinochet est toujours au pouvoir. Chronique d'une mort annoncée, « une sorte de faux roman et un faux reportage »[A 67], est alors publié car l'écrivain « ne pouvait pas rester silencieux face à l'injustice et à la répression[15] ». Il publie également, à partir de septembre 1980, divers articles notamment dans El Espectador à Bogotá et dans El País en Espagne[A 68].

Prix Nobel

Signature de Gabriel García Márquez.

Devenu un écrivain respecté, médiatique et populaire pour l'optimisme de son style, pour ses récits pittoresques et originaux, pour sa langue enjouée et enfin pour l'extrême fécondité de son imagination créatrice, García Márquez obtient le prix Nobel de littérature en 1982 en l'honneur de « ses romans et ses nouvelles, dans lesquels le fantastique et le réalisme sont combinés dans un univers à l'imagination très riche, reflétant la vie d'un continent et ses conflits »[16]. L'écrivain colombien est averti par téléphone de l'obtention du prix par Pierre Shori, ministre adjoint des affaires étrangères suédois[A 69]. À la suite de cet appel, il déclare ainsi à sa femme Mercedes : « Je suis baisé »[A 69]. La nouvelle de la victoire s'étant propagée rapidement, García Márquez doit improviser une conférence de presse pour la centaine de journalistes qui avaient envahi son domicile à Mexico.

Le 10 décembre 1982, lors de la cérémonie qui se déroule à Stockholm, García Márquez se présente vêtu d'un liquiliqui (habit traditionnel blanc du Venezuela et de certaines régions de Colombie) et de bottes noires, ce qui lui vaut, par la suite, quelques critiques[A 70]. Dans son discours de réception du Nobel de littérature intitulé « La soledad de America latina »[17],[G 5] (« La solitude de l'Amérique latine »), l'auteur colombien considère la poésie comme la « preuve la plus flagrante de l'existence de l'homme »[18],[17]. García Márquez, un des plus jeunes Prix Nobel, a ainsi été le premier colombien et le quatrième latino-américain à remporter ce prix Nobel de littérature[19], après Gabriela Mistral (1945), Miguel Ángel Asturias (1967) et Pablo Neruda (1971). Après être devenu lauréat de ce prix prestigieux, García Márquez a déclaré à un correspondant[15] :

«  J'ai l'impression, qu'en m'attribuant le prix, qu'ils ont tenu compte la littérature du sous-continent américain et, que ce faisant, ils cherchaient à récompenser toute la littérature de cette région. »

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Après le prix Nobel

Gabriel García Márquez en 1984.

Le 11 avril 1983, García Márquez et son épouse retournent en Colombie[A 71]. C'est l'occasion pour l'écrivain de revoir un peu sa famille et de revoir Aracataca, ville de son enfance. Son père, Gabriel Eligio García meurt de maladie le 13 décembre 1984[A 72]. C'est un choc pour l'écrivain qui venait de se réconcilier avec son père, leur relation ayant été toujours tendue. Alors qu'il avait commencé à écrire les premiers chapitres de L'Amour aux temps du choléra avant d'obtenir le prix Nobel, il décide de faire transférer son manuscrit sur un ordinateur[A 73]. Ce nouveau roman est publié pour la première fois le 5 décembre 1985 et devient son œuvre la plus populaire, certainement dû au fait que García Márquez se soit inspiré du thème de l'amour et se soit intéressé au sens des relations humaines.

De 1980 jusque dans les années 1990, García Márquez consacre beaucoup de temps au cinéma, rédigeant entre 1980 et 1984 de nombreux articles en relation avec le 7e art. Il décide de créer la Fondation pour un nouveau cinéma latino-américain à La Havane qui est inaugurée le 4 décembre 1986 et en devient le président[A 74]. Il est également un des fondateurs de l'École Internationale de Cinéma et de Télévision (« EICTV ») de San Antonio de los Baños, qui ouvre ses portes le 15 décembre 1986, à trente-cinq kilomètres de La Havane[20]. En 1988, García Márquez fait une immersion dans le monde du théâtre avec une adaptation d'une de ses nouvelles, Diatriba de amor contra un hombre sentado (Diatribe contre un homme assis), qui recevra surtout des critiques négatives[A 75].

Peu après avoir terminé L'Amour aux temps du choléra, García Márquez décide de créer un roman sur Simón Bolívar. Il s'intéresse plus particulièrement au dernier voyage du Libérateur sur le fleuve Magdalena[A 76]. Pour cela, il effectue de nombreuses recherches sur la vie de Bolívar. Cette œuvre, Le Général dans son labyrinthe, dont le sujet principal est le pouvoir, est publiée pour la première fois en 1989. Alors que la Colombie doit, de plus en plus, faire face aux problèmes de drogue qui la ronge, García Márquez déclare dans l'Excelsior du 3 novembre 1990 que la « guerre contre la drogue » telle qu'elle est menée dans le pays est « vouée à l'échec », ce qui l'incite à lancer une campagne pour un dialogue entre le gouvernement, la guérilla et les trafiquants[A 77]. Au début de janvier 1992, l'auteur colombien apporte sa contribution à QAP[21], un bulletin télévisé du soir qui durera jusque fin 1997[A 78]. Toujours en 1992, les médecins lui diagnostiquent une tumeur d'un centimètre sur le poumon gauche et l'écrivain décide de se faire soigner en Colombie, où l'opération sera jugée comme étant une réussite[A 79].

Le 22 avril 1994 paraît De l'amour et autres démons[A 80] qui raconte l'histoire d'une jeune fille de marquis âgée de douze ans, mordue par un chien couleur de cendre et portant une lune blanche au front. Soupçonnée de rage ou de possession diabolique, elle est enfermée dans un couvent et vit avec son exorciste une passion destructrice. Ce livre est bien accueilli par les critiques, Antonia S. Batt du New York Review of Books le décrivant comme « un tour de force presque didactique et pourtant brillamment émouvant »[22]. La même année, sa formation journalistique l'amène à fonder avec son frère Jaime et l'avocat Jaime Abello Banfi, la Fondation du nouveau journalisme ibéro-américain (« FNPI »), destinée à permettre à des jeunes journalistes d'apprendre sous la direction de professeurs tels que Alma Guillermoprieto et à faire émerger de nouvelles manières de faire du journalisme[23]. En 1996, son roman documentaire Journal d'un enlèvement est publié. L'auteur colombien renoue ainsi avec le journalisme de ses débuts pour raconter l'enlèvement et la séquestration de six otages par des narcotrafiquants du cartel de Medellín dirigé par Pablo Escobar. En 1998, avec un groupe d'amis, il achète Cambio, qui a été fondé en 1993 par le journal espagnol Cambio 16 afin de faire « du journalisme »[24].

En 1999, un cancer lymphatique est diagnostiqué chez García Márquez[D 5]. Il est alors traité avec succès grâce à une chimiothérapie dans un hôpital de Los Angeles[D 5],[25]. Cet évènement est le déclencheur pour García Márquez d'une prise de conscience et il commence alors la rédaction de ses mémoires : « j'ai réduit mes contacts avec mes amis au minimum, ai suspendu ma ligne téléphonique et annulé mes voyages ou toutes autres sortes de participation à des évènements », déclara-t-il dans le journal colombien El Tiempo, « (...) et je me suis reclus pour écrire tous les jours sans interruption. »[25].

En 2000, l'annonce de sa mort imminente est annoncée à tort par le journal péruvien La República. Le jour suivant, plusieurs autres journaux publient un texte présenté comme son poème d'adieu, La Marioneta, mais la paternité du texte est infirmée par García Márquez lui-même et s'avèrera avoir été écrit par un ventriloque mexicain[26],[27].

Trois ans après que son cancer a été diagnostiqué, il publie le 8 octobre 2002 à Mexico Vivre pour la raconter (Vivir para Contarla)[A 81], le premier des trois tomes de son autobiographie[25]. La traduction anglaise (Living to Tell the Tale) réalisée par Edith Grossman[28] et celle en français (Vivre pour la raconter) réalisée par Annie Morvan[29] ont été publiées en novembre 2003. Mémoire de mes putains tristes (Memoria de mis putas tristes), une histoire d'amour entre un homme de 90 ans et une jeune vierge de quatorze ans, a été publié en octobre 2004. Ce livre a suscité une importante controverse en Iran, où il a été interdit après que les 5 000 premiers exemplaires ont été imprimés et vendus[30],[31].

Depuis 2006, García Márquez laisse planer l'incertitude sur l'éventuelle sortie de nouveaux ouvrages. Bien qu'il ait déclaré en 2006 qu'il n'écrirait sans doute plus, le journaliste Dario Arizmendi assure, après avoir passé un week-end avec l'écrivain en 2008 que ce dernier est en train de mettre la dernière main à un nouveau roman d'amour. En 2009, démentant des rumeurs annonçant de nouveau qu'il n'écrirait plus, alimentées en particulier par son agent Carmen Balcells[32], García Márquez, alors âgé de 82 ans, déclare au journal colombien El Tiempo qu'il « ne fait rien d'autre qu'écrire », et n'a pas exclu de publier d'autres ouvrages[33].

Activité politique

Les opinions politiques et idéologiques de García Márquez ont été influencées par les histoires de son grand-père Nicolás Márquez[B 16]. Dans une interview, García Márquez a confié à Plinio Apuleyo Mendoza, proche ami et parrain de son premier fils, « Mon grand-père, le Colonel, était un libéral. Au départ, mes idées politiques viennent sans doute de lui, car au lieu de me raconter des contes de fées quand j'étais jeune, il me tenait en haleine avec des histoires horribles sur la dernière guerre civile que les libres-penseurs et les anti-cléricaux avaient menée contre le gouvernement conservateur »[F 2],[B 17]. Cette influence s'est traduite sur ses vues politiques aussi bien que sur sa technique littéraire, de telle sorte que « De la même façon que sa carrière d'écrivain s'est construite à ses débuts par une opposition assumée au statu quo littéraire colombien, les opinions socialistes et anti-impérialistes de García Márquez se sont construites en opposition au statu quo global dominé par les États-Unis »[E 2].

Grâce à la reconnaissance internationale que García Márquez a gagnée avec la publication du roman Cent ans de solitude, l'écrivain colombien a pu jouer le rôle de médiateur entre le gouvernement colombien et la guérilla, dont le M-19, les FARC et l'ELN[34],[35]. Il a ainsi pu faire progresser les pourparlers de paix qui se sont déroulés à Cuba entre l'Armée de libération nationale (ELN) et le gouvernement colombien. Il a également participé au processus de paix entre le gouvernement d'Andrés Pastrana Arango et les FARC, mais sans succès[36].

En 1972, lorsque García Márquez reçoit le prix Rómulo Gallegos, il décide de donner l'argent de ce prix au parti vénézuélien Movimiento al Socialismo (« Mouvement vers le socialisme »), ce qui entraîne de nombreuses critiques alors que l'argent est destiné au magazine politique du MAS et non à sa guérilla[A 82]. Par ailleurs, il contribue pendant plusieurs années à la publication d'articles politiques pour le magazine Alternativa créé en février 1974, rédigeant notamment Chili, le Coup d'État et les Gringos[A 83]. Il accepte également de devenir membre du Second Tribunal Russell qui enquête sur des crimes de guerre internationaux et les juges[A 83]. Dans les années 1970, l'écrivain colombien publie trois articles sur la Révolution des Œillets du Portugal, à laquelle il apporte son soutien[A 84].

La popularité de ses écrits a également conduit García Márquez à nouer des amitiés avec certains dirigeants puissants, dont l'ancien président cubain Fidel Castro. Cette relation amicale entre les deux hommes est analysée dans Gabo y Fidel: Retrato de una amistad (Gabo et Fidel : portrait d'une amitié)[37]. Dans un entretien avec Claudia Dreifus en 1982, García Márquez déclare que sa relation avec Fidel Castro est principalement axée sur la littérature : « La nôtre est une amitié intellectuelle. Peu de gens savent que Fidel est un homme cultivé. Quand nous sommes ensemble, nous parlons beaucoup de la littérature »[D 6]. Certaines personnalités ont critiqué l'écrivain colombien pour cette relation. En 1992, l'écrivain cubain Reinaldo Arenas fit remarquer dans ses mémoires Antes que anocheza que García Márquez avait accompagné Castro en 1980 lors d'un discours. Le président cubain y avait accusé des réfugiés récemment abattus dans l'ambassade péruvienne d'être des « chusma » (en français, « canailles »). Arenas dit se souvenir amèrement du comportement de García Márquez à cette occasion, qu'il jugea hypocrite[38]. Malgré ces critiques qui lui sont adressées, il est à noter que García Márquez s'est battu pendant plusieurs années pour que le gouvernement cubain relâche la majorité de ses prisonniers, permettant, par exemple, la libération d'un contre-révolutionnaire, Reinol Gonzáles, en décembre 1977[A 85]. Il s'implique également dans un mouvement pour les droits de l'Homme nommé Habeas, participant à la constitution de son organisation et en la finançant avec 100 000 dollars sur ses droits d'auteur pour les deux années suivantes[A 86]. En 1982, lors des élections présidentielles en Colombie, García Márquez apporte son soutien au candidat libéral Alfonso López Michelsen, mais ce dernier s'incline face au conservateur Belisario Betancur Cuartas[39].

Par ailleurs, en raison de sa notoriété nouvellement acquise à la sortie de Cent ans de solitude et de ses opinions tranchées sur l'impérialisme américain, García Márquez a été étiqueté comme étant un élément subversif et, pendant plusieurs années, s'est vu refuser des visas par les autorités d'immigration américaines[E 3]. En effet, il était interdit de séjour aux États-Unis depuis 1961, date à laquelle il se rallia à la cause de Cuba. Cependant, lorsque Bill Clinton a été élu président américain, ce dernier a finalement levé l'interdiction de voyage, affirmant à García Márquez que Cent ans de Solitude était son roman favori[D 5].

Le 25 janvier 2007, Gabriel García Márquez, lauréat du Prix Nobel de littérature, se joint à la longue liste de personnalités latino-américaines ayant exprimé leur soutien à l'indépendance de Porto Rico, en adhérant à la Proclama de Panamá[40] qui est approuvée à l'unanimité par le Congrès latino-américain et caribéen pour l’indépendance de Porto Rico le 18 novembre 2006[41] à Panamá. Parmi les figures d'Amérique latine qui ont défendu l'indépendance de Porto Rico, se trouvent : Ernesto Sábato, Pablo Armando Fernández, Luis Rafael Sánchez, Mayra Montero, Mario Benedetti, Jorge Enrique Adoum, Eduardo Galeano, Carlos Monsiváis ou encore Frei Betto[40].

Son œuvre

Principales œuvres littéraires

Des feuilles dans la bourrasque

Des feuilles dans la bourrasque (La Hojarasca) est le premier roman de García Márquez. L'écrivain déclare que « de tout ce qu'il avait écrit (à partir de 1973), le roman Des feuilles dans la bourrasque était son favori parce qu'il a estimé être le plus sincère et spontané »[G 6]. Tous les événements du roman ont lieu dans une chambre, pendant une période d'une demi-heure, un mercredi 12 septembre 1928. C'est l'histoire d'un vieux colonel (semblable au propre grand-père de García Márquez) qui essaye de donner un enterrement chrétien convenable à un docteur français impopulaire. Le colonel est soutenu seulement par sa fille et son petit-fils. Le roman explore la première expérience de l'enfant avec la mort en suivant le cheminement de sa conscience. Le livre révèle également la perspective d'Isabel, la fille du Colonel, fournissant ainsi un point de vue féminin[G 1].

Cent ans de solitude

Article détaillé : Cent ans de solitude.

Depuis l'âge de dix-huit ans, García Márquez voulait écrire un roman centré sur la maison de ses grands-parents, où il a passé son enfance. Toutefois, ne parvenant pas à trouver le ton approprié, il abandonna ce projet jusqu'au jour où il trouva brutalement la solution, alors qu'il conduisait sa famille à Acapulco. Il aurait alors fait demi-tour et ramené sa famille à la maison pour pouvoir commencer à écrire. Pour survivre durant les dix-huit mois que dura l'écriture, il dut vendre sa voiture et son épouse dut acheter le pain et la viande à crédit, accumulant aussi neuf mois de retard de loyer[F 5]. Mais lorsque Cent ans de solitude sort finalement en 1967, c'est le plus grand succès commercial que l'auteur ait connu jusqu'alors.

Ce roman relate sur plusieurs générations l'histoire de la famille Buendía depuis la fondation du village fictif de Macondo, une saga riche d'incestes, d'événements fantastiques, ponctuées de naissances et de morts. L'histoire de Macondo est souvent vue par les critiques comme suffisamment générale pour représenter l'histoire des villages ruraux d'Amérique du Sud, ou au moins celle de la région natale de García Márquez, autour d'Aracataca[G 7],[F 6].

Cette histoire a connu un grand succès et a permis à García Márquez d'obtenir le prix Nobel de littérature en 1982, ainsi que le Prix Rómulo Gallegos en 1972. William Kennedy l'a même qualifié de « première œuvre depuis la Genèse dont la lecture est indispensable à toute l'Humanité »[42], et des centaines d'articles ou livres de critique littéraire ont été publiés autour de ce roman. Toutefois, García Márquez lui-même dit ne pas comprendre le succès de ce livre en particulier : « La plupart des critiques ne réalisent pas qu'un roman comme Cent ans de solitude est un peu une blague, pleine de clins d'œil à mes proches ; et par conséquent, avec leur droit pré-établi à pontifier, ils prennent la responsabilité de décoder le livre et de se couvrir terriblement de ridicule. »

L'Automne du patriarche

C'est la fuite du dictateur vénézuélien Marcos Pérez Jiménez qui a donné à García Márquez l'inspiration pour écrire un roman du dictateur dans la tradition littéraire sud-américaine. Selon ses mots, « c'était la première fois que l'on assistait à la chute d'un dictateur en Amérique Latine »[F 7]. García Márquez a commencé à écrire L'Automne du patriarche (El otoño del Patriarca) en 1968 et a déclaré l'avoir terminé en 1971. Cependant, il a continué à peaufiner son roman jusqu'en 1975, année où il fut publié en Espagne[43]. Selon García Márquez, ce roman est un « poème sur la solitude au pouvoir »[44] alors que l'on suit la vie d'un dictateur éternel surnommé « Le Général ». Le roman se développe à travers une série d'anecdotes relatives à la vie du général, mais qui ne figurent pas dans l'ordre chronologique[45]. Bien que l'emplacement exact de l'histoire ne soit pas clairement défini dans le roman, le pays tropical imaginé par García Márquez peut être situé quelque part dans les Caraïbes[46].

García Márquez a donné sa propre explication de l'intrigue[46] :

« Mon intention a toujours été de produire une synthèse de tous les dictateurs d'Amérique Latine, et en particulier ceux des Caraïbes. Néanmoins, la personnalité de Juan Vicente Gómez [du Venezuela] était si forte, outre le fait qu'il exerçait sur moi une véritable fascination, qu'indubitablement le Patriarche a beaucoup plus de lui que de n'importe quel autre dictateur. »

Chronique d'une mort annoncée

Chronique d'une mort annoncée (Crónica de una muerte anunciada) reconstitue l'histoire d'un meurtre qui se déroula en 1951 à Sucre, une ville du département de Sucre, dans le Nord-Ouest de la Colombie. Dans ce roman, le personnage Santiago Nasar se réfère à un bon ami d'enfance de García Márquez, Cayetano Gentile Chimento[G 8]. Rubén Pelayo catégorise cette œuvre littéraire comme étant une combinaison entre le journalisme, le réalisme et le roman policier[G 9].

L'intrigue du roman tourne autour de l'assassinat de Santiago Nasar. Le narrateur joue le rôle d'un détective qui découvre les éléments de ce meurtre seconde par seconde[G 10]. Le critique littéraire Rubén Pelayo note que « l'histoire se déroule de manière inversée. Au lieu d'aller de l'avant (...) l'intrigue se déroule en arrière[G 11]. » En effet, dans le premier chapitre, le narrateur explique exactement au lecteur qui a tué Santiago Nasar, le reste du livre cherchant à expliciter les raisons de ce meurtre.

Chronique d'une mort annoncée a été publié en 1981, un an avant que García Márquez ne remporte le prix Nobel de littérature[G 8]. Le roman a également été adapté au cinéma par le réalisateur italien Francesco Rosi en 1987[G 10].

L'Amour aux temps du choléra

Article détaillé : L'Amour aux temps du choléra.

L'Amour aux temps du choléra (El amor en los tiempos del cólera), publié en 1985, est une histoire d'amour atypique où « Les amants trouvent l'amour dans leur « âge d'or », à plus de soixante-dix ans, alors que la mort est tout autour d'eux »[G 12]. L'Amour aux temps du choléra se fonde sur les histoires de deux couples. L'amour adolescent de Fermina Daza avec Florentino Ariza est axé sur l'histoire des parents de García Márquez[D 7]. Toutefois, comme il l'explique dans une interview, « La seule différence est que [ses parents] se sont mariés, et dès l'instant où ils se sont mariés, ils n'étaient plus des personnages intéressants d'un point de vue littéraire »[D 7]. L'amour entre les deux amants âgés est basé sur un récit journalistique de la mort de deux américains, âgés de près de 80 ans, qui se retrouvaient chaque année à Acapulco. Un jour, lors d'une sortie en bateau, ils ont été tués à coups de rame par le batelier. D'après García Márquez, « c'est par leur mort que l'histoire de leur secret a été révélée. Ils m'ont fasciné. Ils étaient tous deux mariés à quelqu'un d'autre. »[D 8].

Liste de ses œuvres littéraires

Romans

Nouvelles

Autres

  • 1962 - Les Funérailles de la Grande Mémé (Los funerales de la Mamá Grande)
  • 1970 - Récit d'un naufragé (Relato de un náufrago)
  • 2002 - Vivre pour la raconter (Vivir para contarla)

Adaptations au cinéma

García Márquez et le Ministre colombien de la Culture, Paola Moreno (à gauche), lors du Festival international du film de Guadalajara qui s'est tenu à Guadalajara, au Mexique, en mars 2009.

Selon les critiques, le langage imaginaire utilisé par García Márquez est visuel ou graphique[20], l'écrivain colombien expliquant que chacune de ses histoires est inspirée d'une « image visuelle »[F 8]. Il n'est donc pas surprenant qu'il se soit depuis longtemps impliqué pleinement dans le 7e Art. Critique de cinéma, il est en effet l'un des fondateurs de L'École Internationale de Cinéma et de Télévision (EICTV) de Cuba[20]. Il a également été président de la Fondation pour un nouveau cinéma latino-américain et a écrit plusieurs scénarios de films[H 2]. Lors de son premier scénario, celui El gallo de oro de Juan Rulfo, il travailla avec Carlos Fuentes[20]. Il écrit ensuite d'autres scénarios : Tiempo de morir (1966) et Un señor muy viejo con unas alas enormes (1988), et même des séries télévisées comme Amores difíciles (1991)[20]. Il a aussi écrit Eréndira, son troisième scénario. Toutefois, le manuscrit fut perdu et fut remplacé par une nouvelle écrite pour l'occasion. Marquez décida pourtant d'écrire de nouveau le script, en collaboration avec Ruy Guerra et, finalement, le film sortit en 1983[47]. Entre-temps, García Márquez a été membre du jury au Festival de Cannes en 1982 sous la présidence de Giorgio Strehler, quelques mois seulement avant de recevoir son prix Nobel.

Plusieurs de ses histoires ont également inspiré des écrivains et des cinéastes. En 1987, le cinéaste italien Francesco Rosi dirige le film Chronique d'une mort annoncée, basée sur le roman du même nom de Marquez[48]. Plusieurs adaptations ont été tournées au Mexique, dont La Viuda de Montiel (1979) de Miguel Littin, Maria de mi corazón (1979) de Jaime Humberto Hermosillo[49] ou El coronel no tiene quien le escriba (1998)[50] d'Arturo Ripstein. Le cinéaste anglais Mike Newell (Quatre mariages et un enterrement) a tourné L'Amour aux temps du choléra à Carthagène des Indes, en Colombie. Le scénario est de Ronald Harwood (Le Pianiste)[51]. Son roman De l’amour et autres démons a été adapté et dirigé par le réalisateur costaricain Hilda Hidalgo, diplômé du Film Institute de La Havane et dans lequel García Márquez s'est souvent rendu pour des ateliers d'écriture de scénarios.

Style littéraire et sources d'inspiration

Style

Plaque commémorative de Gabriel García Márquez.

Renouveau de la littérature hispanophone

García Márquez est une figure importante du boom latino-américain en littérature. Ses œuvres ont forcé certains critiques littéraires colombiens à rompre avec la critique très conservatrice qui avait été dominante jusqu'au succès de Cent ans de solitude. Dans la revue littéraire Hispania[52], Robert Sims écrit[53] :

« García Márquez continue d'avoir une grande influence en Colombie, en Amérique Latine et aux États-Unis. Des critiques sur les œuvres du prix Nobel 1982 ont été produites en masse et continuent de l'être. De plus, García Márquez a galvanisé la littérature colombienne en lui donnant un élan sans précédent. De fait, il est devenu une pierre de touche pour la littérature et la critique des Amériques, car son travail a conduit à des réactions d'attraction-répulsion parmi les critiques et les autres écrivains tandis que les lecteurs continuent de dévorer ses nouvelles productions. Il est indéniable que García Márquez a contribué à rajeunir, reformuler et remettre dans leur contexte concret la littérature et la critique en Colombie et dans le reste de l'Amérique Latine. »

García Márquez compte ainsi parmi les écrivains hispanophones majeurs du XXe siècle. Il a su donner un nouveau souffle littéraire à la production latino-américaine en s'écartant de l'indigénisme en vigueur et en développant un style original, foisonnant et complexe qui lui a valu une popularité mondiale[54].

Considéré comme l'initiateur du réalisme magique, il convoque, dans ses romans et nouvelles, les grands tableaux de l'histoire sud-américaine mais vus par le prisme de la fable, du folklore et des mythes populaires hispaniques. Cet intérêt pour les intrigues extraordinaires et foisonnantes lui viendrait de sa grand-mère, Tranquilina Iguarán, femme nerveuse et visionnaire, qui le terrifiait la nuit avec des histoires fantastiques[55]. Aussi, cela proviendrait-il de son grand-père, ancien colonel d'armée, Nicolás Ricardo Márquez Mejía, qui lui narrait les grandes sagas et les épopées nationales, à l'instar du massacre des bananeraies de la Caraïbe à la fin du XIXe siècle, qui a vu une révolte paysanne écrasée dans le sang avec plus de cent manifestants tués puis finalement enterrés dans une fosse commune. Enfant, le jeune Gabriel fut également marqué par le récit des aventures héroïques du général Rafael Uribe Uribe, légendaire chef libéral, protagoniste de la guerre des Mille Jours (1899 - 1902), la plus intense des guerres civiles colombiennes à laquelle l'aïeul de l'écrivain, jeune soldat à l'époque, a survécu, bien que hanté à jamais par le souvenir de ses camarades blessés et fusillés[55]. García Márquez concentre ces deux influences familiales divergentes dans un univers romanesque où le lecteur est transporté du rêve au fantasme en passant par la réalité quotidienne du peuple colombien. Le réalisme et le fantastique se confondent sans que cela ne pose problème aux personnages ou au récit.

Technique

García Márquez se situe toujours à la croisée des genres littéraires[56] et, dans cette optique, cherche à préserver une certaine unité thématique et stylistique, faisant en sorte que son œuvre soit traversée par des symboles syncrétiques (païens et bibliques) puis par les mêmes lieux et les mêmes personnages. Très précise, sa prose, qui manifeste une tendance certaine au détournement et à la parodie, brise la narration linéaire, privilégie l'anecdote baroque et essaime les références historiques dans un univers constitué de places, d'endroits ou de figures imaginaires. Cette superposition de l'érudition à l'imagination et du rationnel au fantastique permet de brouiller les pistes d'une lecture romanesque univoque. Emplies d'un souffle épique enjoué et ironique, ses fictions dénoncent inégalités sociales et compromissions morales, fruits de luttes acharnées de pouvoir ou d'intérêt et principales causes du malheur des plus faibles, acculés à connaître les rouages d'un destin tragique. Au passage, l'auteur fustige certains des maux qui gangrènent une bonne partie du comportement humain : la lâcheté, la bassesse, l'avidité, le goût du pouvoir, la vengeance, l'archaïque attachement aux traditions… Sous sa plume démiurgique et « naïve » (non pas au sens de « bêtise » mais d'« émerveillement de l'enfant devant sa création »[57]), c'est tout le continent latino-américain en général et la Colombie en particulier qui renaissent : leurs us et coutumes, leurs croyances, leurs conflits, leurs guerres civiles etc., jusqu'à leur soumission à l'impérialisme nord-américain[58].

Tandis que certaines caractéristiques traversent toute son œuvre, par exemple les touches humoristiques, le style de García Márquez ne se conforme à aucun schéma prédéterminé. García Márquez a ainsi dit, au cours d'une interview[59] :

« Pour chaque livre, j'essaie d'adopter une voie différente [...]. On ne choisit pas le style. On peut toujours expérimenter pour essayer de découvrir quel est le style le plus adapté pour un thème donné. Mais le style est déterminé par le sujet, par l'humeur du moment. Si vous essayez d'utiliser un style qui n'est pas adapté, cela ne marchera tout simplement pas. Ensuite, les critiques construisent des théories là-dessus, et ils voient des choses que moi je n'avais pas vues. Tout ce que je fais, c'est m'adapter à notre style de vie, la vie des Caraïbes. »

García Márquez est aussi connu pour omettre des détails et des événements qui semblent importants, de sorte que le lecteur doit adopter un rôle participatif dans la construction de l'histoire. Par exemple, dans Pas de lettre pour le colonel, le nom des personnages principaux n'est pas précisé. Cette manière d'écrire est influencée par les tragédies grecques comme Antigone et Œdipe roi, dans lesquelles des événements importants se produisent hors de la scène et sont laissées à l'imagination du spectateur[E 4].

Réalité et réalisme magique

Article détaillé : Réalisme magique.

La réalité est un thème important dans toutes les œuvres de García Márquez. Au sujet de ses premiers travaux littéraires (à l'exception du roman Des feuilles dans la bourrasque), García Márquez déclare que « Pas de lettre pour le Colonel, La Mala Hora et Les Funérailles de la Grande Mémé reflètent tous la réalité de la vie en Colombie et ce thème détermine la structure rationnelle des livres. Je ne regrette pas de les avoir écrits, mais ils appartiennent à un genre de littérature préméditée qui offre une vision trop statique et exclusive de la réalité »[F 9].

Dans ses autres œuvres, il a expérimenté des approches beaucoup moins traditionnelles de la réalité, de sorte que « les choses les plus effrayantes, les plus inhabituelles soient dites avec la plus grande impassibilité »[60], comme c'est le cas de l'ascension physique aussi bien que spirituelle de la belle Remedios de Cent ans de solitude. Le style de ces œuvres correspond au « royaume merveilleux » de l'écrivain cubain Alejo Carpentier et a été nommé réalisme magique[61]. Le critique littéraire Michael Bell propose une autre façon de comprendre le style de García Márquez, le concept de « réalisme magique » étant critiqué comme étant trop binaire et trop exoticisant : « Ce qui est réellement en jeu c'est une souplesse psychologique qui permette à la fois de décrire sans sentimentalisme le monde réel tout en restant ouvert à tous ces domaines que la culture moderne a, de par sa propre logique, marginalisé ou refoulé »[H 3]. Sur la notion de « réalisme magique », un dialogue entre García Márquez et Plinio Apuleyo Mendoza est particulièrement évocateur[F 10] :

« - Ta façon de traiter la réalité dans tes livres [...] a été appelée « réalisme magique ». J'ai l'impression que tes lecteurs européens voient généralement la magie dans les histoires que tu racontes, mais ne perçoivent pas la réalité qui est derrière.
- C'est sans doute parce que leur rationalisme les empêche de voir que la réalité ne se limite pas au prix des tomates et des œufs. »

Thèmes

Solitude

Le thème de la solitude est récurrent dans beaucoup d'œuvres de García Márquez. Comme le note Rubén Pelayo, « L'Amour aux temps du choléra, comme toute l'œuvre de Gabriel García Márquez, explore la solitude de l'individu et de l'humanité (...) Ses portraits explorent en effet la solitude de l'amour et de l'état amoureux. »[G 13]. En réponse à la question de Plinio Apuleyo Mendoza, « Si la solitude est le thème de tous vos livres, où devons-nous chercher les racines de cette expression qui est centrale dans votre œuvre ? Dans votre enfance, peut-être ? », García Márquez réplique : « Je pense que c'est un problème que tout le monde a. Chacun a sa propre manière et les moyens de l'exprimer. Le sentiment imprègne le travail de tant d'écrivains, bien que certains d'entre eux puissent l'exprimer inconsciemment. »[F 11]. Dans son discours d'acceptation du prix Nobel de littérature, La soledad de America latina[17], García Márquez relie ce thème de la solitude à la situation de l'Amérique latine : « L'interprétation de notre réalité selon des schémas de pensée qui nous sont étrangers ne fait que nous rendre de plus en plus méconnus, de moins en moins libres, de plus en plus solitaires. »[62].

Macondo

Un autre thème important de beaucoup d'œuvres de García Márquez est le village fictif de Macondo, inspiré de sa ville natale Aracataca, même si pour García Márquez, « Macondo n'est pas tant un lieu qu'un état d'esprit »[63]. Même quand ses histoires ne se situent pas à Macondo, leur localisation (malgré la référence fréquente à une côte caribéenne avec un arrière-pays andin) est souvent laissée dans le flou, afin de capturer l'essence de la région plutôt qu'une analyse socio-politique locale[H 4]. Cette ville fictive est devenue célèbre dans le monde de la littérature, et comme le note Ilan Stavans, « sa géographie et ses habitants sont évoqués fréquemment par des professeurs et des hommes politiques », à tel point qu'il est « difficile d'imaginer que cette ville ait été fabriquée à partir de rien »[64]. Dans Des feuilles dans la bourrasque, García Márquez décrit de façon réaliste la période du « boom de la banane » à Macondo, caractérisée par une grande abondance pendant la période où les compagnies américaines sont présentes, suivie d'une période de dépression après le départ de ces dernières[65]. L'histoire de Macondo est racontée entièrement dans Cent ans de solitude, roman qui se déroule entièrement à Macondo et raconte toute l'histoire de cette ville imaginaire depuis sa fondation jusqu'à sa fin tragique[66]. Dans son autobiographie, García Márquez explique sa fascination pour Macondo. Il décrit un voyage qu'il a fait avec sa mère pour revenir à Aracataca dans sa jeunesse[C 4] :

« Le train s'arrêta à une gare sans nom, et quelques instants plus tard il passa devant la seule plantation bananière le long de la voie qui portât le panneau indiquant son nom : Macondo. Ce mot avait attiré mon attention dès les premiers voyages que j'avais faits avec mon grand-père, mais je n'ai découvert, qu'une fois adulte, que j'aimais ses résonances poétiques. Je n'avais jamais entendu qui que ce soit prononcer ce mot, et je ne me suis même pas demandé s'il avait un sens... J'ai fini par lire dans une encyclopédie que c'est un arbre tropical qui ressemble à un kapokier »

La Violencia

Dans plusieurs des œuvres de García Márquez telles que Pas de lettre pour le colonel, La Mala Hora et Des feuilles dans la bourrasque, l'écrivain colombien fait référence à la période de « La Violencia » (« La Violence »), « une guerre civile brutale entre les conservateurs et les libéraux qui a duré jusque dans les années 1960, causant la mort de plusieurs centaines de milliers de Colombiens »[6],[G 14]. Partout dans ses romans, on retrouve des références subtiles à La Violencia comme par exemple des personnages faisant face à des situations injustes diverses telles que les couvre-feux, la censure de la Presse ou les journaux clandestins[67]. Bien que La Mala Hora ne soit pas l'un des plus célèbres romans de García Márquez, il reste remarquable pour le portrait de cette période qu'il dépeint avec son « image fragmentée de la désintégration sociale provoquée par la Violencia »[68]. Toutefois, bien que García Márquez dénonce dans sa production littéraire la nature corrompue et les injustices de l'époque comme la Violencia, il refuse d'utiliser son œuvre comme une plate-forme de propagande politique : « Pour lui, le devoir de l'auteur révolutionnaire est de bien écrire, et le roman idéal est celui qui touche son lecteur à la fois par ses aspects politiques et sociaux, mais en même temps, par sa capacité à rendre la réalité le plus fidèlement possible et à en exposer tous ses aspects »[67].

Notes et références

Notes

Références

Ouvrages utilisés

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Autres références

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Annexes

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Articles connexes

Liens externes

Bibliographie

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Monographies

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Articles

  • (en) Ilan Stavans, « Gabo in Decline », dans Transition, Indiana University Press, no 62, 1993, p. 58–78 [texte intégral (page consultée le 2008-03-25)] 
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  • (en) Marlise Simons, « A Talk With Gabriel García Márquez », dans New York Times, 05/12/1982 [texte intégral]  Ouvrage utilisé pour la rédaction de l'article


Précédé de :
Elias Canetti
Prix Nobel de littérature
1982
Suivi de :
William Golding


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