Histoire de la Vallée d'Aoste

Histoire de la Vallée d'Aoste

La Vallée d’Aoste est la plus petite des régions d’Italie et a la particularité de n’être constituée que d’une seule « Province », celle d’Aoste. Située à l’extrême nord-ouest du pays, frontalière de la Savoie et du Canton du Valais en Suisse, elle est une des quatre premières régions autonomes constituées au sein de la République italienne en 1948.

Elle se caractérise par son particularisme linguistique. Avec une population utilisant une langue gallo-romane le francoprovençal valdôtain à l’origine, la Vallée d’Aoste a évolué, vers son statut de bilinguisme officiel[1] actuel Italien et Français.

Sommaire

Antiquité

La Vallée d’Aoste où des mégalithes datant de 2 000 ans av. J.-C. ont été trouvés notamment à la frontière avec la France le cromlech du Petit-Saint-Bernard, est habitée au Ve siècle av. J.‑C. par la population ligure-gauloise des Salasses. En 25 av. J.-C., elle est conquise par les Romains qui fondent Augusta Prætoria Salassorum, aujourd’hui Aoste. La vallée, importante d’un point de vue militaire, est stratégique pour le contrôle des points de passage que constituent les cols du petit et du Grand-Saint-Bernard. Les deux routes, appelées en latin respectivement Alpis Graia et Summus Pœninus, se croisaient à Augusta Prætoria, et formaient la route consulaire des Gaules. D'autres agglomérations furent fondées tout au long de la vallée, telles que Carême (Quadragesima Galliarum, c'est-à-dire « près de la quarantième pierre miliaire de la route des Gaules »), où se situait le payement des droits de passage, Quart (Ad quartum lapidem, c'est-à-dire « près de la quatrième pierre miliaire »), Chétoz (Ad sextum lapidem, c'est-à-dire « près de la sixième pierre miliaire »), Nus (Ad nonum lapidem, c'est-à-dire « près de la neuvième pierre miliaire »), Diémoz (Ad decimum lapidem, c'est-à-dire « près de la dixième pierre miliaire »), qui indiquaient la distance à partir d'Aoste. D'autres bourgades et postes militaires étaient Verrès (Vitricium), Châtillon (Castellio), ou des fundi, tels que Charvensod (Calventianus), Gressan (Gratianus) et Jovençan (Joventianus). Les colons Aymus et Avilius ont donné le mon à Aymavilles (« les villes d'Aymus »).

Le Moyen Âge

Après la fin de l'Empire romain, du fait de sa position stratégique Vallée d'Aoste fait l’objet de multiples convoitises. Elle est successivement conquise par de nombreux peuples et incluse dans leur royaume : les Burgondes au Ve siècle, suivis par les Ostrogoths, elle brièvement récupérée par les Byzantins avant d'être occupée par les Lombards. Au VIe siècle elle est incorporée dans le royaume des Francs de Gontran[2].

En 575 fut proclamée la paix entre le roi mérovingien de Bourgogne et d'Orléans Gontran et les Lombards. Les Francs se réservèrent le contrôle des cols alpins, les Lombards durent céder la vallée d'Aoste et le val de Suse. La frontière entre le royaume des Burgondes et la Lombardie fut fixée à Pont-Saint-Martin.
Ce changement d'orientation vers Lyon et Vienne fut fixé dans la toponymie, où l'on rencontre souvent Martin de Tours, ainsi que Denis de Paris (Saint-Denis) et Remi de Reims (Saint-Rhémy-en-Bosses).

La Vallée d’Aoste fait ensuite partie de l’Empire carolingien puis du royaume de Boson V de Provence en 879 et enfin du royaume de Bourgogne en 904 avant de devenir, en 1032, un comté contrôlé par Humbert-aux-blanches-mains.

Compte tenu des caractéristiques naturelles de la région, la noblesse féodale a longtemps un poids prépondérant dans l’histoire politique et sociale et les nombreux forts et châteaux sont les centres de la vie politique, économique et culturelle en plus de leur fonction militaire. La principale famille féodale est la Maison de Challant d’où sont issus les vicomtes d’Aoste dès le début du XIe siècle. Ebal Ier de Challant renonce à ce titre en 1295 au profit de la Maison de savoie.

Dès lors, le sort de la Vallée d’Aoste est lié à la maison de Savoie. le Comte Édouard le Libéral est le premier à s'intituler « Duc d'Aoste » et à transformer le fief en duché à qui il accorde d'ailleurs une large autonomie. Des baillis représentent le comte de Savoie. À partir du XIVe siècle, le bailli est parfois dénommé « podestat ».

La Renaissance

En 1496 la dignité de « Gouverneur et de lieutenant du duché d’Aoste » est instituée qui fait perdre de l’importance au poste du bailli[3]. C’est de cette époque que date la Chronique de la maison de Challant, la première œuvre historiographique connue sur la Vallée d’Aoste, écrite par Pierre Du Bois.

En 1536, suite à l’invasion de territoires des États de Savoie par François Ier (ils seront occupés jusqu’en 1559 à l’exception de la Vallée d’Aoste et du comté de Nice), le Conseil des Commis est institué. L’année suivante, un premier traité de neutralité est signé entre le Val d’Aoste et François Ier le 4 avril 1537. Ce traité sera renouvelé cinq fois jusqu'en 1558: avec le même roi le 1 mars 1538 et le 16 septembre 1542 puis avec son successeur Henri II les 29 janvier 1552, 15 mars 1554 et 23 décembre 1556.

Le duc Emmanuel-Philibert, rétabli dans les États de Savoie en 1559 déclare par l’édit de Rivoli du 22 septembre 1561, le français langue officielle en remplacement du latin pour la partie ouest de son duché et la Vallée d’Aoste.

XVIIe et XVIIIe siècles

En 1630 la peste touche la population tuant deux tiers des habitants[4]. À la fin du siècle et au début du suivant, la Vallée d’Aoste est occupée deux fois par les troupes françaises en 1691 puis entre septembre 1704 et septembre 1706 lorsque Claude-Hyacinthe le Sénéchal de Carcado est nommé gouverneur d'Aoste[5] Fin août debut septembre 1708 la Vallée d'Aoste doit encore subir une brève invasion des troupes françaises commandées par le Marquis de la Mauroye

En 1777, selon le chanoine Pierre-Louis Vescoz, la culture de la pomme de terre est introduite dans la Vallée d’Aoste par le notaire Jean-François Frutaz qui la sème pour la première fois à Châtillon[6].

L’Église catholique, présente avec un clergé nombreux et des monastères, a une sensible influence traditionaliste et réactionnaire sur la population. Elle s'oppose aux mesures inspirées du « Despotisme éclairé » prises par Charles-Emmanuel III et de son fils et successeur Victor-Amédée III (suppression du Conseil des Commis, établissement du Cadastre sarde…). L’antique législation qui régissait le régime valdôtain est définitivement abolie après la publication à Aoste le 24 novembre 1770 des « Royales Constitutions ».

XIXe siècle

Au cours de la Révolution française, l’influence cléricale se maintient[7]. La vallée d’Aoste est d’abord occupée en 1796 puis annexée « de facto » et enfin « de jure » lorsque qu’elle est incluse dans le département de la Doire en 1802. Le Diocèse d’Aoste est même supprimé de 1803 à 1817.

Rétrocédée aux États de Savoie en 1814, la Vallée d’Aoste cherche à conserver ses traditions et spécificités linguistiques et culturelles à la suite de la cession de la Savoie à la France (1860), après la réalisation de l’Unité de l’Italie et la fondation en 1861 du Royaume d'Italie.

À partir de 1880 du fait de la natalité commence une forte émigration économique provisoire ou définitive vers la Suisse, la France puis les États-Unis qui se poursuivra jusque vers 1925.

La période fasciste

Le fascisme a essayé d’italianiser la Vallée d'Aoste, par la suppression des écoles de hameau, entièrement francophones, par l’instauration de l’usage exclusif de la langue italienne dans les bureaux judiciaires (arrêté royal du 15 octobre 1925, no 1796), par la suppression de l’enseignement du français (arrêté royal du 22 novembre 1925, no 2191), par l’italianisation des toponymes (ordonnance du 22 juillet 1939)[8] et la suppression des journaux français : le Duché d’Aoste, le Pays d’Aoste, la Patrie valdôtaine, et l’usage du français dans la presse. De plus, par l’arrêté royal no 1 du 2 janvier 1927, la Vallée d’Aoste devient la Provincia di Aosta, incluant aussi une partie du Canavais italophone.

Dans la région s’organise une société secrète pour la défense de l’identité valdôtaine et de l’usage de la langue française, la Ligue valdôtaine, dont le fondateur fut le docteur Anselme Réan, ainsi qu’une activité partisane qui aboutit à la déclaration de Chivasso, signé par les représentants des communautés alpines pour la défense de leur particularisme. Un membre de la résistance, Émile Chanoux, arrêté par la milice fasciste, meurt en prison la nuit du 18 au 19 mai 1944.

L’autonomie régionale

Frédéric Chabod, premier président du Conseil de la Vallée d’Aoste, obtient de la république italienne pour la région devenue autonome en 1945 la concession définitive du statut spécial, en 1948.

Pendant de nombreux siècles, la Vallée d’Aoste a vécu seulement d’agriculture et d’élevage. Avec la profusion de petites propriétés souvent insuffisantes à la subsistance des paysans, ceux-ci furent contraints de se déplacer en France ou en Suisse pour des travaux saisonniers ou émigrer définitivement jusqu'aux USA même.

Ce n’est qu’après la Seconde Guerre mondiale qu’on constate une inversion de la tendance démographique et économique, avec un développement touristique et industriel qui produit un phénomène immigratoire. Actuellement la région, qui a une population de 123 978 habitants dont 4 976 étrangers, a un revenu parmi les plus élevés d’Italie[9].

Chronologie détaillée

Notes et références

  1. Statuts de la région autonome Vallée d'Aoste, titre VIe
  2. Selon l’Abbé Henry Histoire de la Vallée d’Aoste ; page 49. Imprimerie Marguerettaz Aoste réédition de 1967 : lors d’un traité de paix conclu en 575 avec les Lombards, Gontran roi des Francs de Bourgogne obtient les vallées d’Aoste, de l’Orco, de Lanzo et le Val de Suse ainsi qu’un tribut annuel de 12 000 sous d’or.
  3. Tersilla Gatto Chanu et Augusta Vittoria Cerutti : Storia insolita della Valle d'Aosta, Newton et Compton éditeurs, Rome 2004.
  4. Estimation de Jean-Baptiste de Tillier l’Historique de la Vallée d’Aoste, publié en 1737
  5. Colonel du régiment Dauphin Étranger Cavalerie, Brigadier des Armées du Roi, et Maréchal de Camps, il meurt en 1706 des blessures reçues lors du Siège de Turin.
  6. Jean Bérard, Ai piedi della Grivola, Imprimerie valdôtaine, Aoste, 1991.
  7. Insurrections anti-jacobines des « Socques » de mai 1799 et de janvier 1801
  8. Si l’italianisation des toponymes a été effectivement réalisée — ils ne retrouveront leur forme d’origine qu’en 1946 — celle des patronymes a été rapidement abandonnée du fait de la réticence de la population et des difficultés militaires auxquelles a dû faire face le régime fasciste dès 1940.
  9. Vallée d’Aoste 2008 « Une montagne de chiffres ».

Liens internes

Liens externes

Bibliographie

  • (fr) Augusta Vittoria Cerutti Le Pays de la Doire et son peuple Musumeci éditeur, Aoste (ISBN 8870327469)
  • (fr) Bernard Janin Le Val d'Aoste. Tradition et renouveau Musumeci éditeur, Aoste (1976)
  • (fr) Lin Colliard La culture valdôtaine au cours des siècles éd. ITLA, Aoste
  • (fr) Giampiero Ghignone Civilisation valdôtaine Imprimerie Duc, Aoste (1982) (ISBN 8870327469)
  • (fr) Joseph-César Perrin La lutte contre les libertés valdôtaines dans Liberté et libertés, VIIIe centenaire de la charte des franchises d'Aoste, Actes du colloque international d'Aoste (1991), Aoste, 1993, pages 217-239.
  • (it) Aimé-Pierre Frutaz Fonti per la storia della Valle d'Aosta Ed di Storia e Letteratura, Rome (1966).Réédition en 1997 (ISBN 8886523335). Ouvrage utilisé pour la rédaction de l'article
  • (fr) Abbé Joseph-Marie Henry, Histoire populaire religieuse et civile de la Vallée d’Aoste. Imprimerie Marguerettaz, Aoste (1929) réédition en 1967. Ouvrage utilisé pour la rédaction de l'article
  • (fr) Jean-Martin-Félix Orsières Historique du Pays d’Aoste: suivi de la topographie de ce pays et d'une notice sur les anciens monuments qu'il renferme Publié par D. Lyboz, (1839).
  • (it) Elio Riccarand, Storia della Valle d'Aosta contemporanea (1919-1945), Stylos Aoste (2000) (ISBN 8877750502) Ouvrage utilisé pour la rédaction de l'article
  • (fr) Jean-Baptiste de Tillier Nobiliaire du Duché d’Aoste. Duché, ville, église Réédition (1966).
  • (fr) Jean-Baptiste de Tillier Historique de la Vallée d'Aoste (Manuscrit inédit de l'an 1742).Texte revu et annoté par le Prof. Sylvain Lucat. Louis Mensio Imprimeur-Éditeur, Aoste, 1887.
  • (fr) André Zanotto Histoire de la Vallée d’Aoste Musumeci éditeur, Quart (Aoste) (1980)
  • (fr) Louis de Vignet des Étoles Mémoire sur la Vallée d'Aoste dans Sources et documents d'histoire valdôtaine, Bibliothèque de l' Archivum Augustanum (Archives historiques régionales), Aoste, 1987, p. 109-276.
  • (it) & (fr) Ouvrage collectif: Publication du Conseil Régional de la Vallée d'Aoste:
    • Les Cent du Millénaire Musumeci éditeur, Aoste (2000) (ISBN 8870326519). Ouvrage utilisé pour la rédaction de l'article
    • Les Institutions du Millénaire Musumeci éditeur, Aoste (2001) (ISBN 8870326195). Ouvrage utilisé pour la rédaction de l'article
  • (it) Alessandro Barbero Valle d'Aosta medievale Liguori Editore, Naples (2000) (ISBN 8820731623). Ouvrage utilisé pour la rédaction de l'article
  • (it) Maria Sole Bionaz & Alessandro Celi Le radici di un'autonomia (article dans « La mia Valle: per capire ») Ouvrage utilisé pour la rédaction de l'article
  • (fr) Jules Bonnet & Charles Verge Calvin au Val d'Aoste Académie des sciences morales et politiques (France) Publié par Grassart (1861).

Sources


Italia
Histoire des régions de l'Italie

Vallée d'Aoste, Piémont, Ligurie, Lombardie, Trentin-Haut-Adige, Vénétie, Frioul-Vénétie julienne, Émilie, Romagne, Toscane, Ombrie, Marches, Latium, Abruzzes, Molise, Campanie, Pouilles, Basilicate, Calabre, Sicile, Sardaigne


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