Histoire du Portugal

Histoire du Portugal
Histoire du Portugal
Civilisations pré-ibériques
Préhistoire de la péninsule Ibérique

Protohistoire ibérique et celtique
GallaeciLusitaniens • Celtiques • Coniens
Hispanie
Conquête romaine de la péninsule Ibérique
LusitanieGallaecia
Invasions barbares de la péninsule Ibérique

WisigothsSuèves
Civilisation islamique en al-Andalus
Al-AndalusReconquista
Conquête musulmane de la péninsule Ibérique
Formation du Royaume de Portugal
Royaume des AsturiesRoyaume de León
Comté de PortugalComté de CoimbraRoyaume de Galice
Royaume de Portugal
Indépendance du PortugalRoyaume de Portugal

Crise portugaise de 1383-1385Dynastie d'AvizDynastie de Bragance
Guerre de Restauration (Portugal)Guerre péninsulaire
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Révolte des MaréchauxRévolte de Maria da FontePatuleia
Empire colonial portugais
Découvertes portugaises

Empire colonial portugais

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République portugaise
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Histoire par thème
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Chronologie du Portugal
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Le Portugal ne possédant pas d'individualité géographique[1] raconter son histoire revient tout d'abord à expliquer comment la péninsule Ibérique, malgré un destin commun jusqu'au XIIe siècle, s'est divisée en deux. C'est expliquer comment ce territoire a su prendre et conserver son indépendance en dépit des tentatives permanentes d'unification de son puissant voisin. En effet, les Basques, les Catalans et les Galiciens, malgré une forte individualité, ont fini, eux, par rejoindre le royaume de Castille pour former l'Espagne moderne. C'est expliquer enfin comment, malgré les profondes différences nord-sud et littoral-intérieur, le pays a gardé son unité et son indépendance, à l'intérieur des plus anciennes frontières d'Europe.

Sommaire

Préhistoire et antiquité pré-romaine

Dès cette époque apparaissent des caractéristiques qui vont amener le pouvoir romain et ses successeurs à distinguer les populations présentes sur la péninsule, à les répertorier avant de créer différentes divisions administratives.

Les plus anciennes traces de civilisation au Portugal datent du Paléolithique : il s'agit de peintures et de gravures rupestres comme celles des grottes d'Escoural (Alentejo), de Mazouco (Tras-os-Montes) et surtout de Vale de Côa, datées entre 22 000 et 10 000 ans avant J-C. La majorité de ces traces se trouvent en Estremadura, dans la vallée du Tage, et au nord du Douro. Elles témoignent de l'existence de peuples nomades vivant de chasse et de cueillette. C'est encore le règne de l'homme de Néandertal qui trouvera son ultime refuge dans le territoire de l'actuel Portugal avant d'être remplacé par l'homo sapiens.

Environ 10 000 ans avant J.-C., la péninsule ibérique est occupée successivement par des peuples d'origines diverses qui vont pourtant se fondre pour donner naissance à un type humain plutôt homogène[2]. On les regroupe sous le terme d'Ibères. Ils occupent surtout l'intérieur des terres et la côté méditerranée de la péninsule. L'agriculture tend à fixer ces populations.

Entre 4000 et 2000 avant J.-C., les terres correspondant au Portugal et à la Galice voient se développer une culture mégalithique originale par rapport au reste de la péninsule: elle se caractérise par son architecture funéraire et religieuse particulière et par la pratique de l'inhumation collective[3]. On peut encore trouver dans le pays de nombreuses traces de cette religiosité même si la plupart sont concentrées dans l'Alentejo : le cromlech d'Almendres près d'Évora (le plus important alignement de menhirs d'Europe), ceux de Vale Maria do Meio ou de Portela de Mogos ainsi que le dolmen de Zambujeiro.

Le cromlech d'Almendres

Les premières communautés urbaines font leur apparition autour de 2600 avant J.-C.

L'âge de bronze puis l'âge du fer voient se développer des contacts maritimes entre le littoral atlantique et celui de la Bretagne et des îles Britanniques alors que le sud de la péninsule entretient des liens commerciaux avec la Méditerranée : des Grecs et des Phéniciens ainsi que leurs descendants carthaginois y installent de petits comptoirs commerciaux semi-permanents. Les Phéniciens introduisent la culture du vin et de l'huile d'olive dans la péninsule. Ils développent également la pêche et la métallurgie. Mais le moteur de ce commerce est la richesse de la péninsule en métaux (or, argent, fer et étain). Certains historiens ont avancé que les Phéniciens auraient fondé Lisbonne autour de l'an 1000 avant J.-C. La légende veut même que ce soit Ulysse qui ait donné son nom à la ville. En réalité, seul le site d'Abul, près d'Alcácer do Sal, demeure incontestable. Ces peuples, comme plus tard, l'arrivée des romains et des musulmans contribuèrent certainement au caractère méditerranéen du pays[4].

Parmi les peuples ibères se trouvent les Tartessiens, qui occupent l'est et le sud de la péninsule autour du Guadalquivir. Cette puissante civilisation, fortement influencée par les Phéniciens et les Grecs avec qui ils font commerce de bronze et d'argent, disparaît avec l'arrivée des Carthaginois en 235 avant J.-C.

L'âge du fer voit également arriver dans la péninsule des peuples indo-européens, probablement d'origines pré-celtiques, (autour de 1200 avant J.-C.). Très vite, ils vont être coupés de leurs parents continentaux et acquérir des caractéristiques propres. Ces tribus se sont mêlées aux peuples autochtones de la région et ont été ensuite répertoriés et classifiés par les romains avant que ceux-ci ne décident de diviser administrativement la péninsule en tenant compte de leurs différences. Sur le futur territoire portugais, ils dénombrent trois groupes principaux: au centre les Lusitaniens, à l'ouest les Celtibères et au nord-ouest les Gallaecis[5].

La culture des Lusitaniens et des Gallaecis reste la mieux connue : ils vivent regroupés en petits noyaux de population isolés, établis sur les hauteurs avec des habitations circulaires (les castros) et pratiquent l'agriculture et l'élevage. Chaque maison (150 environ) est défendue par une enceinte (comme on peut en voir dans la Citânia de Briteiros). On trouve aussi dans ces regroupements un édifice funéraire. On voit apparaître une différenciation sociale, avec des chefs locaux et une élite de chevaliers.

Ils vivent, en général, autour des montagnes et ne s'intéressent pas à la mer. Comme ils maîtrisent le fer, le travail de la terre devient plus efficace, les cueillettes augmentent, améliorant par là-même les conditions de vie et la démographie[6].

Les Lusitaniens souvent considérés comme les ancêtres des portugais ne sont en fait qu'une des composantes de la nation portugaise. Possédant déjà une langue différente, ils s'émancipent peu à peu de la culture celte et s'étendent vers l'Estrémadure.

Les Carthaginois débarquent dans la péninsule au IIIe siècle av. J.‑C. et en occupent la moitié sud ainsi que le nord de l'Afrique. Ils sont attirés par ses ressources minières et agricoles mais aussi par la réputation des guerriers ibères, un atout précieux face à Rome. Ils soumettent plusieurs tribus lusitaniennes et fondent Ossonoba (Faro) et Portus Hannibalis (Portimão ou Alvor)[7].

On peut dire, en somme, que la péninsule est le point de rencontre de populations venues d'horizons différents (Europe du nord, Afrique et Méditerranée) sur lesquelles va venir se greffer la culture romaine.

Province romaine

Articles détaillés : Lusitanie, Hispanie romaine et Empire romain.
L'Hispanie en 197 avant J.-C.
L'Hispanie en 13
L'Hispanie en 286

Se rendant compte de l'importance stratégique de la péninsule ibérique dans le conflit qui l'oppose à Carthage, Rome décide de s'en emparer et d'en expulser les Carthaginois qui les avaient précédés. Vers le IIIe siècle av. J.‑C., à l'occasion de la deuxième guerre punique[8] (entre 218 et 201 avant J-C), Rome envahit la péninsule, L'objectif des troupes romaines des Scipions est alors de prendre les troupes carthaginoises à revers et surtout de les empêcher d'y préparer un assaut sur Rome. Les Carthaginois sont expulsés.

Cette victoire entraîne une occupation militaire du territoire destinée à y maintenir l'ordre et à assurer l'exploitation des ressources naturelles. Cette occupation apportera sa contribution à la composition ethnique de la population portugaise moderne. La civilisation romaine imprègnera d'autant plus fortement le futur pays que la résistance aux troupes romaines sera particulièrement intense de la part des Lusitaniens.

En 197 avant J-C, le territoire de la péninsule occupé par les romains est divisé en deux provinces : l'Hispanie citérieure et l'Hispanie ultérieure.

La pacification du reste de la péninsule se révèle pourtant difficile. Les Turdétans au sud et les Lusitaniens à l'ouest se rebellent régulièrement, infligeant de sérieuses défaites aux Romains et les obligeant à renforcer leurs troupes. En 147 avant J.-C., le Lusitanien Viriatus prend la tête de la résistance. Considérant les Lusitaniens comme leurs ancêtres, Viriatus est devenu pour les Portugais le symbole de la première résistance nationale. Il mène une guérilla contre les troupes de Rome mais des dissensions internes auront raison de l’unité lusitanienne. Viriatus meurt assassiné par l'un des siens en 139 avant J-C.

En 133 avant J-C, Rome soumet définitivement la péninsule et met fin à la civilisation castrale en contraignant la population à s'installer dans les plaines pour faciliter son unification. Cette politique est à l'origine des villes de Braga (Bracara Augusta), Chaves (Aquae Flavia) ou Beja (Pax Iulia).

Pendant la dictature de Sylla à Rome, l'aristocratie péninsulaire se rebelle et demande le soutien du général romain dissident Sertorius. Celui-ci repousse les troupes de Sylla et envisage d'installer une république indépendante dans la péninsule et d'en civiliser les populations (79 avant J.-C.). Il crée ainsi un sénat et surtout une école chargée d'éduquer les fils de bonnes familles pour former une élite. Cet épisode sans lendemain révèle pourtant l'esprit d'indépendance toujours persistant de ces populations.

Le territoire est pacifié et colonisé par Jules César autour de 60 avant J.-C.

En l'an 13, sous le règne d'Auguste, est réalisé un nouveau découpage du territoire : l'Hispanie Ultérieure est divisée en Lusitanie et Bétique, séparées par le fleuve Guadiana. Un autre découpage en l'an 286, sous le règne de Dioclétien, donne naissance à de nouvelles provinces, dont la Gallaecia, au nord du fleuve Douro.

Les frontières du futur Portugal seront plus ou moins calquées sur celles des conventi romains appartenant aux provinces de la Lusitanie et de la Gallaecia. On peut penser que ces divisions correspondaient à des tribus, des villages différents, ou, du moins, à des réalités sociales différentes[9].

De nombreuses villes sont fondées: Bracara Augusta (Braga), Scalabis (Santarem), Pax Julia (Beja)... Les principaux axes routiers actuels ont leur origine dans les voies romaines[10].

Une variante populaire du latin vulgaire,le Galaïco-portugais, devient la langue dominante de la région et remplace tous les dialectes parlés auparavant, créant ainsi une certaine unité. Les Romains introduisent l´écriture, les écoles, de nombreuses notions scientifiques et la propriété privée alors inconnue. Ils diffusent leurs mœurs et leur culture, imposent un découpage administratif et une organisation sociale héréditaire avec des seigneurs et des serfs - dans la culture romaine, le travail est considéré comme dégradant, un noble ne travaille donc pas. Les Romains développent la culture des céréales, de la pêche, la production de vin et de sel.

Cette occupation modifie le paysage architectural et donne son visage méditerranéen au pays. Citons en exemple le temple de Diane d'Évora, le forum d'Auguste ainsi que de nombreux amphithéâtres, temples et thermes.

Invasions barbares

Autour du Ve siècle, des peuples d'origine germanique envahissent une péninsule Ibérique au sein d'un Empire romain en plein effondrement.

Parmi ces envahisseurs se trouvent les Suèves et les Wisigoths, qui peuplent ce qui est aujourd'hui le territoire portugais. Les Vandales et les Alains, arrivés également dans la région, sont rejetés ou partiellement intégrés par les Wisigoths. Ces nouveaux arrivants ont peu d'influence, que ce soit sur la langue, la plupart étant romanisés, ou sur l'organisation du territoire, puisqu'ils respectent les provinces existantes.

La péninsule en l'an 476

Les Alains, originaires d'Europe centrale et fuyant les Huns, s'installent en 409, sous l'autorité de Rome, en Lusitanie où ils restent jusqu'en 416 avant d'être réduits par les Suèves et les Wisigoths à la solde de Rome[11].

En 418, ces derniers, sont envoyés pour remettre au pas les Vandales, installés en Bétique depuis 411 mais pillant les régions alentours. Repoussés par les Wisigoths, ils finissent par s'établir en Afrique du Nord en 429.

Les Suèves arrivent également vers 409, s'établissent en Gallaecia et y fondent un royaume. Le roi Herméric prête serment à Rome. Très vite, ils essaient de s'étendre mais trouvent face à eux les Wisigoths (418). Ils réussissent à s'imposer au détriment des Alains et des Vandales. C'est un peuple rural et autonome ne se mêlant pas aux Romains. Ils prennent Braga comme capitale et se convertissent au christianisme une première fois en 448, se démarquant ainsi des Wisigoths adeptes de l'arianisme. Le nord du Portugal devient dès cette époque un pôle religieux important. Rechiaire est le premier roi européen chrétien à frapper sa propre monnaie.

Devant la puissance des Wisigoths, les Suèves tentent une alliance avec eux en 449. Mais, poursuivant leur stratégie expansionniste, ils subissent une défaite définitive à Bracara en 456. Le royaume suève est divisé puis réunifié en 464. C'est durant cette période de lutte entre royaumes suèves que Conimbriga est détruite. Les Suèves se convertissent à l'arianisme en 466, se rapprochant ainsi des Wisigoths, avant de revenir au catholicisme en 558 grâce à l'action de l'évêque Martin de Braga.

Initialement envoyés par Rome comme armée, les Wisigoths finissent par dominer la Péninsule en 576 et mettre fin au royaume suève en décomposition en 585. On leur doit certainement l'organisation ecclésiastique du pays.

La conversion au catholicisme en 589 du roi Récarède Ier lui permet de faire accepter son autorité sur l'ensemble des peuples de la péninsule. Le christianisme s'impose et tend à unifier les populations ibéro-romaines et barbares. Dans le même temps, la société se féodalise et les luttes internes à la noblesse se développent jusqu'à fragiliser le pouvoir.

On trouve des vestiges de la présence germanique dans la zone du Minho et de la Beira Baixa : chapelle de São Frutuoso de Montélios, basilique d'Egitânia (aujourd'hui Idanha-a-Velha).

Invasion musulmane

Au début du VIIIe siècle, la péninsule Ibérique est envahie par les Maures venus d'Afrique du Nord, récemment convertis à la toute nouvelle religion : l'islam.

Ils débarquent dans le sud en 711, commandés par Tariq ibn ziyad à la tête de 7 000 hommes, remportent la bataille de Guadalete face aux Wisigoths de Rodéric. À l'origine de cette bataille, il y a la crise de succession qui divise la noblesse wisigoth : le gouverneur de Ceuta demande l'aide des Maures pour s'opposer à Rodéric. Dès 715, toute la péninsule ( à l'exception des Asturies) est contrôlée, avec une présence musulmane d'environ 500 000 individus essentiellement concentrée autour de Cordoue et de Grenade.

Cette occupation de cinq siècles laisse une trace profonde dans les régions concernées, dans la langue[12], la toponymie (notamment noms de villes commençant par al-), l'agriculture, le commerce et les mœurs. Beaucoup de chrétiens reprennent les mœurs maures tout en gardant leur religion : les Mozarabes. D'autres vont jusqu'à la conversion à l'islam: les Muladies. Cette influence marque surtout le sud du pays où la présence musulmane s'étend sur cinq siècles et où les Berbères n'hésitèrent pas à se mêler à la population chrétienne; beaucoup resteront dans la péninsule après la reconquête: les Mudéjars). Au nord du pays, reconquis dès le IXème, elle laisse peu de traces[13].

Les Maures conservent les divisions administratives pré-existantes. Ils nomment le pays al-Andalus et son occident Gharb al-Andalus (l'ouest d'al-Andalus, soit le sud et le centre du Portugal).

Les divisions ne tardent pas à opposer les différents chefs de guerre musulmans. En 759, Abd al-Rahman Ier, dernier survivant des Omeyyades de Damas, échappe au massacre de sa famille par les Abbassides et se réfugie en Andalousie. Il contribue donc au maintien d'une branche des Omeyyades en fondant le premier État musulman totalement indépendant du califat islamique: l'Émirat de Cordoue, celui-ci se transforme avec Abd al-Rahman III en Califat de Cordoue. Plus tard se forment plusieurs royaumes musulmans indépendants politiquement (les Taïfas).

Le royaume asturien (en jaune) et l'occupation arabe (en vert)

Ces divisions facilitent la lutte d'une poignée de nobles wisigoths et de religieux ayant perdu leurs terres lors de cette invasion; regroupés au nord, sous la bannière du royaume asturien (incluant l'Asturie, le León, la Castille et la Galice), ils s'unissent pour reprendre les biens qu'ils avaient eux-mêmes pris aux autochtones. Dès 718 les premiers signes d'une contre-attaque chrétienne apparaissent: Pélage le Conquérant commence à s'imposer face aux Maures. En 722, il remporte la bataille de Covadonga et se fait acclamer roi des Asturies. En 750, il occupe la Galice.

Cette première victoire annonce une avancée vers le sud qui prendra le nom de Reconquista (Reconquête): elle durera cinq siècles et s'achèvera en 1249 pour le Portugal. Elle va être fondatrice de l'identité nationale du pays. La Reconquista portugaise, aboutie bien plus tôt que celle de l'Espagne (1492), est accélérée par la chute du califat de Cordoue en 1031.

Pour contrer la menace chrétienne, les taïfas de Badajoz et de Séville font appel aux Almoravides. Ceux-ci parviennent à unir le territoire musulman. Très vite, ils occupent Cordoue et Séville, poussant le gouverneur de Badajoz à demander l'aide du León catholique en échange de villes comme Lisbonne, Santarém et Sintra.

Après 1121, la politique almoravide se faisant moins tolérante oblige de nombreux mozarabes à passer au nord.

En règle générale cette lutte entre chrétiens et musulmans ressemble moins à une guerre qu'à une suite de pillages, du moins jusqu'au XIe siècle et l'appel à la croisade.

Naissance du royaume de Portugal

Sous le règne d’Alphonse Ier (successeur de Pélage le Conquérant), les seigneurs des Asturies tentent de s'emparer des territoires du sud aux mains des musulmans.

Les Asturies, devenues ensuite royaume de León, comptent au début quatre divisions : les Asturies, le León, la Galice et la Castille, chacune dirigée par un comte. Au fur et à mesure des conquêtes, les terres sont divisées en comtés ou en duchés puis repeuplées par des transferts de population[14].

Pendant plusieurs années la Galice est le théâtre de combats entre chrétiens et musulmans[15]. Un certain Vimara Peres est envoyé reprendre la vallée du Douro. En 868, Portucale et Braga sont reprises[16].

À partir du IXe siècle, le sud de la Galice forme un comté dynamique autour de sa métropole religieuse, Braga, et de son port, situé à l'embouchure du Douro: Portucalem (littéralement le port de Cale, association de Portus, future Porto et de Calem future (Vila Nova de Gaia). Le territoire, confié à l'autorité d'un comte, prend le nom de Terra portucalensis (pays de Portucale).

La noblesse qui s'y installe fonde le Condado Portucalense. Vímara Peres devient le premier comte de Portucale, titre qu'il transmet ensuite à ses enfants, créant ainsi une dynastie qui règne jusqu'en 1071.

Elle fonde le comté de Coimbra après la reconquête de cette ville en 871; victoire de courte durée puisque les Maures reviennent s'installer sur les rives du Douro.

De nombreuses incursions au sud du Douro donnent lieu à de nouvelles occupations par de nouveaux seigneurs qui eux-mêmes se rebellent bientôt contre le comte et cherchent à s'émanciper de l'autorité royale. En 1057, Lamego est reprise, Viseu en 1058, Coimbra en 1064. Avec la bataille de Pedroso en 1071, le roi s'appuie sur ces rébellions pour renverser la dynastie comtale[17].

En 1095, Urbain II lance la première croisade pour libérer les lieux saints et surtout réagir à la menace que représentent les Turcs récemment convertis à l'islam. Déjà, les réformes grégoriennes appellent à s'unir pour lutter contre toutes les croyances païennes et hérétiques.

C'est dans ce cadre qu'Alphonse VI de Castille et de León annexe la Galice et le comté de Portugal, unifiant ainsi les royaumes chrétiens. Alphonse VI, marié à Constance de Bourgogne, fait appel à sa belle-famille bourguignonne pour l'aider à reconquérir le reste de la péninsule. Raymond et Henri de Bourgogne, de la famille royale de France, font partie d'une noblesse en quête de terres et de prestige; ils répondent favorablement à l'appel.

En remerciement et pour consolider ses liens avec les autres monarchies, Alphonse VI donne à Raymond sa fille unique Urraque en mariage, en faisant donc le futur roi de León et de Galice (1091). Il lui confie le gouvernement de la Galice (1093). Raymond étend largement ce territoire vers le sud. Alphonse VI décide donc de le diviser et d'en confier une partie, celle située au sud du Minho (comprenant les comtés de Portucale et de Coimbra) à Henri de Bourgogne (1096), devenu son gendre depuis son mariage avec sa fille illégitime, Thérèse[18]. Dès lors, celui-ci installe sa cour près de Braga, à Guimarães (considéré depuis comme « berceau » du Portugal). Il devient le vassal d'Alphonse VI tout en bénéficiant d'une certaine autonomie, et poursuit la reconquête jusqu'au fleuve Mondego[19].

La bataille d'Ourique peinte par Domingo Antonio de Sequeira (1768-1837).

Des circonstances particulières permettent à Henri de prendre son indépendance : la mort du roi Alphonse VI (1109) précédée de celle de Sancho, son héritier désigné (1108). Raymond avait bien tenté de faire valoir ses droits avant sa mort en 1107. Reste donc sa veuve, Urraque Ire de Castille qui monte sur le trône et se remarie, provoquant des contestations chez ses vassaux; ils estiment que c'est son fils qui doit monter sur le trône malgré son jeune âge. Henri,lui, refuse de départager les deux partis tout en refusant de prêter l'hommage du vassal à sa reine; il affirme ainsi son indépendance. Ce conflit se prolonge jusqu'à la mort de Urraque(1126)[20].

À la mort d'Henri (1112), sa veuve, Thérèse de León, hérite du comté. Urraque et son fils Alphonse VII ont beau lui rappeler son statut de vassale, parfois en utilisant la force (1115, 1121 et 1127) Thérèse poursuit la politique d'indépendance de son époux. Pourtant son rapprochement avec la noblesse de Galice (par l'intermédiaire de son favori le comte Fernando Peres de Trava) qu'elle réclame en héritage provoque le mécontentement de la noblesse portugaise. Celle-ci se regroupe autour du fils de Thérèse, Afonso Henriques, né à Guimarães. Il se révolte contre sa mère qui devra fuir en Galice après la bataille de São Mamede en (1128). Cette victoire consacre sa prise de pouvoir[21]. Il entre en conflit avec Alphonse VII avant de finir par lui jurer loyauté avec le traité de Tui en 1137.

Grâce à son habilité politique et guerrière, Afonso Henriques va réussir là où d'autres comtés échouent; il gagne son indépendance. Il étend d'abord le territoire profitant du déclin almoravide: en 1139, il remporte sur les musulmans une bataille historique à Ourique et se fait proclamer roi par ses troupes sur le champ de bataille. La légende veut que le Christ lui soit apparu pendant la bataille. Cette situation est officialisée par le traité de Zamora (1143) par lequel Alphonse VII de Castille, sous la pression du pape, finit par reconnaître le royaume du Portugal et son roi Alphonse Ier[22].

Sans parler encore d'indépendance, le royaume va bénéficier de la longévité d'Alphonse Ier, des querelles monarchiques de son voisin et de la faiblesse de la noblesse sur ses territoires où dominent les concelhos (communautés dont la seigneurie est exercée par les habitants). En se tournant vers le littoral, le pays va encore affirmer son indépendance[23]. Il tente activement de s'attirer les faveurs du pape. Il bénéficiera d'ailleurs à plusieurs reprises du soutien des croisés se rendant en Palestine et faisant escale sur ses côtes.

Le Saint-siège misant avant tout sur l'unité contre les musulmans ne reconnaitra l'indépendance du Portugal qu'en 1179[24].

La dynastie des Bourgogne

Fin de la reconquête

La reconquête et la formation du Portugal de 790 à 1300

Une fois son titre de roi reconnu, Alphonse Ier continue avec succès la lutte contre les Maures. Le 15 mars 1147 est conquise la ville de Santarém, une cité stratégique dotée d'un château réputé imprenable. Le 14 octobre 1147, est prise la ville de Lisbonne, importante source d'approvisionnement, grâce à l'aide de croisés en route pour la Terre Sainte. La voie est ainsi ouverte pour conquérir l'Alentejo; bientôt tombent les cités d'Alcácer do Sal (1158), de Béja (1162) et d'Évora (1165). L'Alentejo est conquis en 1168.

Ces défaites successives signent le déclin des Almoravides remplacés peu à peu par les Almohades qui décident en 1151 de reprendre pied dans la péninsule. Le roi de Castille et León, Alphonse VII, sur le point de se faire doubler par Alphonse Ier pour la prise de Badajoz, s'allie aux Almohades pour l'en empêcher; Alphonse Ier y subit une défaite qui l'amène à associer son successeur à l'exercice du pouvoir. Par ailleurs, la difficulté à repeupler les terres conquises oblige parfois à les abandonner à l'ennemi[25]. La bataille de Santarém, le 28 juin 1184, marque la fin de cette contre-offensive maure.

À la mort d'Alphonse VII (1157) et à la division de ses terres en deux royaumes attribués à ses fils (la Castille et le León), il n'est plus question pour Alphonse Ier de se reconnaître comme vassal. À cela s'ajoute la transformation de Braga en archevêché ce qui permet au pays de s'émanciper de la primatie de Tolède. Lisbonne devient la nouvelle capitale du royaume et remplace Coimbra comme lieu de résidence habituelle d'Alphonse Ier. Ces événements renforcent l'indépendance du royaume qui sera officiellement reconnu par le pape Alexandre III en 1179.

Les terres prises à l'ennemi sont confiées aux différents ordres religieux et militaires qui contribuent au succès de la reconquête (l'ordre de Santiago à Alcácer do Sal, Almada, Palmela, l'ordre du Temple à Santarém et dans la Beira Baixa, l'ordre cistercien à Alcobaça, l'ordre des bénédictins dans le Nord...) mais aussi à des populations groupées en communautés indépendantes (les concelhos)[26]. Ils ont pour mission d'occuper ces terres, de les défendre, mais aussi de les dynamiser, de les mettre en valeur et d'y attirer une population restée méfiante. Cette méfiance transparaît dans le caractère défensif de l'architecture romane. Cette époque correspond ainsi à une période de fondation et de développement des villes et du commerce qui accompagne les croisades. Si la petite exploitation reste une caractéristique du nord resté aux mains des seigneurs, le sud du pays sera celui des grands domaines attribués aux Ordres et aux concelhos attachés à leur indépendance: opposition qui subsiste encore aujourd'hui[27].

Accroitre le territoire passe également, pour Alphonse Ier par une politique d'alliances matrimoniales; il s'évertue à placer ses nombreux enfants, légitimes et illégitimes, dans toutes les cours d'Europe. Néanmoins, la reconquête ne s'achèvera qu'avec ses successeurs. Alphonse Ier meurt en 1185. Sanche Ier (1185-1211) lui succède.

Sanche Ier

Les Maures profitent un moment des dissensions entre les royaumes chrétiens (1185-1189) pour se renforcer en Algarve et même reprendre de nombreux territoires dont Alcácer do Sal. Le 3 septembre 1189, profitant du passage de croisés, Sanche Ier s'empare de Silves. Mais l'offensive maure, menée par Almansour, reprend dès l'année suivante et les amène jusqu'au rives du Tage: ils reprennent Alcácer do Sal (10 juin 1191), Palmela et Silves (20 juillet 1191), obligeant Sanche Ier à conclure une trêve.

De nouveaux conflits entre les royaumes chrétiens repoussent encore leur contre-offensive. Il faut attendre 1211 et l'intervention du pape Innocent III, pour que l'offensive chrétienne reprenne. C'est désormais l'union qui prévaut; elle amène le Portugal et la France à intervenir au côté d'Alphonse VIII de Castille pour vaincre les Maures lors de la bataille de Las Navas de Tolosa (16 juillet 1212).

Entretemps, Alphonse II (1211-1223) succède à Sanche Ier. Alcácer do Sal est définitivement reprise en (1217).

Il décide de s'attaquer aux abus et vérifie tous les titres de propriété des seigneurs (inquiriçoes). Les ordres militaires et les seigneurs de plus en plus puissants étaient devenus une menace pour le pouvoir royal. Celui-ci en ressort légitimé. Par ailleurs, le roi refuse d'appliquer au Portugal le décret du pape sur la confiscation des biens des infidèles ce qui lui vaut, à lui et à son successeur, d'être excommuniés.

Son successeur, Sanche II (1223-1248) est très actif sur le plan militaire: il prend Elvas et Juromenha en 1229, Moura et Serpa en 1232, Aljustrel en 1234. Il reçoit le soutien actif du pape Grégoire IX qui lie la reconquête aux Croisades: le 21 octobre 1234, la bulle papale Cupientes Christicolas concède l'indulgence à tous ceux qui aident le Portugal dans sa lutte. Cela lui permet de prendre Mertola en 1240 puis Tavira en 1242; il ne reste plus qu'à conquérir une partie de l'Algarve. Mais les seigneurs profitent de la bulle papale pour échapper à l'autorité royale ; le pays connaît alors une période d'anarchie. L'Église se considère délaissée au profit des ordres militaires, ce qui vaut à Sanche II l’hostilité du pape.

Alphonse III (1248-1279) est désigné par le pape pour le remplacer dès 1246 : Sanche II doit s'exiler. Le nouveau roi s'engage à rétablir l'ordre, à respecter le pouvoir de l'Église et de la noblesse. Le pouvoir royal ne s'en trouve pas pour autant affaibli et il doit à nouveau affronter le mécontentement de l'Église en 1266.

Il reprend l'Algarve en 1249, faisant ainsi de son royaume le premier état d'Europe à avoir atteint ses frontières définitives. En 1267, après un début de conflit sur le tracé des frontières, le traité de Badajoz signé entre Alphonse III et Alphonse X de Castille, fixe ces frontières entre les deux royaumes. Il sera légèrement remanié par le Traité d'Alcañices en 1297.

Développement du pays

Les règnes des monarques suivants de cette dynastie (Denis Ier, Alphonse IV, Pierre Ier le Justicier et Ferdinand Ier) s’accompagnent d’un important développement économique, démographique, technique (dans l'agriculture et le transport), artistique (cathédrales de Braga, de Coimbra et de Lisbonne, église des Templiers du couvent de Tomar) et intellectuel (historiographie, enluminure, Commentaire de l’Apocalypse).

Ce développement est rendu possible par le butin de la reconquête et par la longue période de stabilité qui suit. Denis rétablit l'ordre et réconcilie la Couronne et l'Église.

Il a aussi la volonté de peupler ce nouveau territoire afin de le renforcer (avec privilèges aux seigneurs, abolition de la servitude, concessions de chartes...). Beaucoup de musulmans ont émigré pour échapper aux chrétiens mais la grande majorité ne peut faire autrement que de rester sur place. Cela va ainsi réunir des populations très différentes - chrétiens du Nord et du Sud, mozarabes, Maures et Juifs - qui se fondent peu à peu. Les rois accordent même une certaine protection aux Juifs et aux Maures tout en les maintenant hors les murs des villes : les mourarias et les judiarias (en français, juiveries). Les cultures galaïco-portugaise et lusitano-mozarabe se mélangent. Notons également l'installation de Français venus avec les croisades qui laissent leur marque dans la culture et l'architecture portugaise. De ce mélange naît le particularisme portugais. Au sud, une population sous l'influence d'une civilisation brillante et raffinée, au nord, des guerriers et des paysans à la vie rude et austère. Une coupure nord-sud qui persiste encore aujourd'hui dans le paysage et la mentalité.

Denis Ier

La cour s'établit à Lisbonne. Une nouvelle organisation territoriale et administrative se met en place avec une tendance à la centralisation du pouvoir. Mais les différences subsistent entre les régions, avec un régime seigneurial et une noblesse puissante au nord, de vastes domaines confiés aux ordres religieux sous autorité royale au sud.

Le long règne de Denis Ier (1279-1325) permet d'asseoir les institutions. Il impose le Portugal comme nation et permet à la population de prendre conscience de son unité symbolisée par la construction du monastère d'Alcobaça, unité grâce à la langue portugaise que Denis Ier officialise, démarquant ainsi nettement le pays de la Galice, (le souverain lui-même participe à la naissance d'une littérature portugaise), unité grâce aux ordres religieux, aux écoles et à l'université (fondée à Coimbra en 1290).

Enfin, il établit les bases des futures grandes expéditions maritimes : l'ordre des Templiers supprimé par le pape en 1319, est remplacé par l'ordre du Christ placé sous son contrôle ; il s'empare ainsi de ses richesses. Cet ordre est destiné à jouer un rôle considérable dans les grandes découvertes. Déjà, le sud du pays se tourne vers le large : Lisbonne s'ouvre au commerce avec l'arrivée des Génois ; le premier traité commercial avec l'Angleterre est signé ; les côtes de l'Estremadura, source d'approvisionnement en bois pour la construction navale, sont reboisées.

Crises du XIVe siècle

Le règne de Denis se termine par un conflit avec son propre fils. Le règne d'Alphonse IV (1325-1357) connaît le début d'une crise économique et une épidémie de peste (1348) qui décime un tiers de la population. Les campagnes se vident et la production agricole s'en ressent. La surpopulation des villes entraîne pauvreté, délinquance et désordre social. L'insalubrité qui y règne aggrave l'épidémie. Ces crises amènent le roi à reprendre le pouvoir en main et à encourager le commerce maritime afin de ravitailler le pays.

Pierre Ier

La fin du règne d'Alphonse IV est marquée par l’affaire de la reine morte, qui amène son fils et successeur Pierre à se rebeller par deux fois contre lui. La maîtresse de Pierre, Inés de Castro, suivante de sa femme, Constance de Castille, est assassinée sur les ordres de son père, le 7 janvier 1355, pour en finir avec le scandale provoqué par cette relation.

En 1360, afin de légitimer les enfants qu'il a eu avec Inés, Pierre, devenu roi, affirme qu'ils étaient mariés en secret. Le corps est exhumé, Inés couronnée reine et les grands du royaume obligés de lui baiser la main. De nouvelles funérailles sont célébrées et le corps mis dans le tombeau qui lui était réservé dans le monastère d'Alcobaça.

Pierre Ier semble avoir petit à petit sombré dans la folie. Il est néanmoins très populaire et ce règne reste dans les mémoires comme une période de paix et d'affermissement du pouvoir royal. Il a par la suite un autre fils bâtard, Jean, qu'il fait grand-maître de l'ordre d'Aviz.

Ferdinand Ier (1367-1383), issu de son mariage avec Constance de Castille, lui succède. En tant qu'arrière-petit-fils de Sanche IV, il revendique en 1369 le trône de Castille laissé vacant et entre ainsi en conflit avec les autres prétendants, dont Henri de Trastamare. Le conflit est momentanément apaisé grâce à l'intervention du pape Grégoire XI en 1371 mais reprend en 1372. Alors qu'il s'allie à l'Angleterre contre Henri, devenu Henri II de Castille, ce dernier prend les devants et envahit le Portugal. La défaite portugaise est totale et seule l'intervention du pape sauve Ferdinand Ier.

Un accord de paix est signé en 1373, qui prévoit son mariage avec la fille de Henri II. Il épouse finalement une dame de compagnie de cette dernière : Éléonore Teles de Menezes, de la famille des comtes de Barcelos. Éléonore devient chaque jour plus influente auprès du roi, agissant sur la politique extérieure, défendant les intérêts de la noblesse contre la centralisation du pouvoir. Outre la colère des classes populaires, le roi et la reine provoquent celles des classes moyennes, à l'importance croissante, qui voient la situation économique se détériorer avec ces conflits successifs. Des émeutes fréquentes et des famines accompagnent le développement des villes. Beaucoup de pauvres s'engagent dans l'armée puis dans la marine.

Le conflit avec la Castille reprend en 1381. Le Portugal est de nouveau envahi avec le soutien d'Éléonore et d'une partie de la noblesse. Un nouvel accord de paix est signé qui prévoit le mariage de l'infante Béatrice avec Jean Ier de Castille, avec pour conséquence la fin du règne de la Maison de Bourgogne. À la mort de Ferdinand Ier, en 1383, Jean Ier réclame l'union des deux couronnes et bénéficie de l'appui d'une partie de la noblesse portugaise, signant de fait l'annexion du Portugal. Une fois de plus, les intérêts de la noblesse et ceux de la bourgeoisie portugaise divergent.

Une crise de succession commence sous la régence d'Éléonore : entre les nobles qui prennent le parti de la Castille et la bourgeoisise unie autour du grand-maître de l'ordre d'Aviz (Jean. Celle-ci prend tout le monde de vitesse en proclamant ce dernier roi sous le nom de Jean Ier le 6 décembre 1383 et en assassinant le favori de la régente ; elle-même se réfugie en Castille qui lève aussitôt une armée et assiège Lisbonne en 1384.

La bataille d'Aljubarrota

La défense s'organise, menée par Nuno Álvares Pereira. Les Portugais remportent une première victoire lors de la bataille des Atoleiros le 6 avril 1384. Les Castillans reviennent et sont défaits, malgré leur supériorité numérique, lors des batailles de Trancoso (juin 1385), de Valverde (octobre 1385) et enfin d'Aljubarrota (14 août 1385), cette dernière bataille signant la victoire définitive du Portugal.

Après de longues délibérations, les Cortes de Coimbra (1385) confirment Jean Ier sur le trône. Ses partisans lui donnent une légitimité juridique et évitent ainsi une nouvelle attaque. On peut parler d'une révolution bourgeoise (menée en grande partie par l'Université totalement acquise à Jean) où la population opte pour un État marchand favorisant le développement des affaires. C'est aussi la première fois qu'un roi est élu par une assemblée contre l'hérédité naturelle. En tout cas, avec cette victoire, le pays marque résolument son indépendance envers la Castille, ce qui peut laisser penser qu’un esprit patriotique et le rejet de Ferdinand et d'Éléonore ont animé le peuple dans cet épisode.

La dynastie d'Aviz

Les débuts de l’expansion

Le règne de Jean Ier (1385-1433) marque le début des grandes conquêtes maritimes et de l'apogée du royaume.

Jean Ier

Le pays le doit en grande partie à ce monarque cultivé qui transmet à ses enfants sa soif de connaissances. Il cherche d'abord à renforcer les liens de la couronne avec les autres monarchies : en 1386, est signé avec l'Angleterre le traité de Windsor, la plus ancienne alliance entre deux nations : alliance militaire contre la France et la Castille, mais aussi alliance commerciale. Ce traité est renforcé par le mariage du roi avec Philippa de Lancastre, sœur du futur roi Henri IV d'Angleterre. Il entreprend de réhausser le prestige de la fonction royale et de centraliser le pouvoir en plaçant ses enfants à des postes stratégiques dans le pays mais aussi en Castille, en Aragon, en France et en Angleterre.

Il s'évertue à fragiliser ceux qui pourraient devenir des rivaux : tandis que la bourgeoisie voit ses intérêts pris en compte et se profiler les moyens de sortir de la crise économique, la noblesse tombe en disgrâce. Ses impôts sont augmentés ; des enquêtes sont menées sur ses biens (devassas). Pour une partie d'entre elle, ce roi, qu'elle a soutenu, passe pour un ingrat et suscite des haines. Celle-ci s'unit autour du propre fils bâtard du roi, Alphonse, duc de Bragance et comte de Barcelos.

Face à cela, le roi bénéficie d'un atout : avec la guerre, le pays s'est forgé une idée de l’indépendance et de l’unité nationale à défendre contre les intérêts étrangers. En 1388, pour perpétuer le souvenir de la bataille fondatrice d'Aljubarrota, le roi fait construire un monastère où seront enterrés les membres de sa dynastie : le monastère de Batalha, un monument qui marque aussi l'arrivée du gothique au Portugal.

Ces victoires en appellent d'autres : sous l’impulsion de l'infant Henri le Navigateur, à la tête de l'ordre du Christ, les marins portugais découvrent de nombreuses terres d’Afrique et ouvrent les routes maritimes vers des contrées jusqu'alors inaccessibles. Il dirige ces voyages jusqu'en 1460. Pendant ce temps, la France et l'Angleterre sont plongées dans la guerre de Cent Ans et l'Espagne parachève sa reconquête.

Ces découvertes sont initialement un simple prolongement de la reconquête chrétienne : on projette de poursuivre en Afrique du Nord une guerre religieuse qui de plus permet de canaliser les forces et les ambitions de la noblesse en mal d'action et de richesse. Devant la méfiance de la Castille, on se détourne de Grenade, pourtant plus proche, pour viser Ceuta sur le continent africain. Il existe par ailleurs une légende qui évoque un certain Prêtre Jean, souverain chrétien d'un pays inconnu, situé au-delà des terres d'Islam. Le rejoindre permettrait une alliance chrétienne afin de prendre le monde musulman à revers et libérer la Terre Sainte. L'idée de s'emparer des terres à blé de la région et de l'or que les caravanes transportent depuis l'intérieur du continent africain n'est évidemment pas étrangère à l'affaire. Il faut dire que le pays compte déjà un million d'habitants qui se sentent à l'étroit dans des villes mal approvisionnées. Enfin, avec l'expansion musulmane en Méditerranée, le Portugal voit débarquer des commerçants génois qui cherchent une autre voie pour atteindre les Indes.

L'infant Henri dit Henri le Navigateur

La conquête de Ceuta en 1415 marque le début de cette expansion. Ceuta est une ville stratégique à l'entrée du détroit de Gibraltar où aboutissent les esclaves en partance pour l'Europe mais aussi l'or et les épices. La ville est aussi le port d'attache de pirates marocains ; sa prise signifie donc une sécurisation de cette zone maritime[28].

Jean Ier et trois de ses enfants sont du voyage. Ces derniers sont d'ailleurs adoubés à l'issue de cette expédition. Mais les terres conquises ne se révèlent pas aussi intéressantes que prévu et finissent même par être coûteuses à protéger. Un débat naît bientôt entre les partisans de la poursuite de la croisade marocaine et les tenants d'une expansion atlantique. À cette époque, les premiers qui l'emportent et s'impose l'idée de s'étendre autour de Ceuta, de longer la côte vers le sud afin de prendre les Maures à revers et d’entrer directement en contact avec les terres d'où part le commerce de l'or. Pour administrer ces terres, l'Infant s'installe donc à Sagres.

Cette initiative politique donne lieu à la redécouverte des îles atlantiques connues des marins mais jamais officiellement découvertes. Désormais les initiatives privées dans le domaine des découvertes laissent place à une impulsion para-étatique beaucoup plus efficace et à même de prendre des risques au nom du roi.

L'intelligence de Henri le conduit à compiler toutes les connaissances maritimes de l'époque, à s'entourer des meilleurs cartographes et astronomes, et à tirer profit de l'expérience des nombreux Génois, Juifs, Maures présents sur le territoire. On redécouvre grâce à eux les connaissances de l'Antiquité perdues par la Chrétienté.

En 1419, João Gonçalves Zarco, Tristão Vaz Teixeira puis Bartolomeu Perestrelo débarquent à Madère. La colonisation commence et s'intensifie dès 1420 avec l'introduction des céréales, de la canne à sucre et de la vigne. Cet archipel donne naissance à la première colonisation du Nouveau Monde par les Européens.

Entre 1420 et 1434, Henri échoue par quatre fois à prendre les îles Canaries à la Castille.

En 1427, Diogo de Silves découvre les Açores, dont le climat est plus favorable aux céréales et au bétail.

Ces deux archipels constituent une base stratégique entre l'Europe, l'Afrique et les Amériques. Leur colonisation planifiée inaugure des méthodes (la capitainerie: terres héréditaires données à des vassaux afin de les exploiter en échange d'une redevance) reproduites ultérieurement à plus grande échelle dans les autres colonies portugaises. Pour le peuple, ces nouvelles terres offrent une possibilité de faire fortune en quittant un territoire devenu trop étroit. Pour l'économie portugaise, elles deviennent d'importantes sources d'approvisionnement. Mais l'ambition de l'infant ne s'en contente pas.

En 1434, le cap Bojador, considéré comme la limite du monde connu et réputé infranchissable, est dépassé par Gil Eanes. Le contournement de l’Afrique est désormais envisageable. Dès lors les navires remontent systématiquement les fleuves à la recherche d'un passage. L'infant reçoit du pape le monopole sur toutes les terres au sud de Bojador.

En 1435, Afonso Gonçalves de Antona Baldaya est envoyé à deux reprises au-delà du cap afin de recueillir des renseignements. Il revient au pays prétendant avoir découvert un fleuve avec de l'or (Rio de Ouro). Les Portugais franchissent le tropique du Cancer et apprennent à maîtriser le système des vents.

Édouard Ier (1433-1438), devenu roi, l'exploration des terres africaines marque le pas; le roi projette la prise de Tanger en 1437 pour sécuriser Ceuta. Il échoue et son propre frère, Ferdinand, est gardé en otage à Fez. Cela refroidit les ardeurs du roi mais confirme l'idée de contourner l'Afrique en longeant la côte. Henri prend le contôle de la politique d'outre-mer. Son frère lui accorde même le quint de toutes les prises portugaises, ce qui va lui permettre de financer les futurs voyages.

À la mort d'Édouard Ier, en 1438, sa veuve, Aliénor d'Aragon exerce la régence durant la minorité d’Alphonse V. Elle soutient l'infant Henri et les partisans de la guerre pour libérer Ferdinand. Mais les Cortes et le duc de Coimbra, Pierre de Portugal, un des fils illégitimes de Jean Ier, s'y opposent. Ils se méfient de l'influence des frères d'Aliénor. On retrouve l'ancienne division entre la noblesse et la bourgeoisie, entre d'un côté les partisans de l'idéal chevaleresque et de l'expansion nord-africaine, de l'autre les défenseurs de la bourgeoisie, du commerce et de la poursuite des découvertes territoriales. La régence est partagée entre Aliénor, Pierre et les Cortes. Mais, dans les faits, c'est Pierre qui régne (1441-1448) jusqu'à la majorité de son neveu. Le pays connaît un certain développement économique. Ferdinand meurt en captivité sans que rien n'ait été tenté pour le libérer. Cela émeut l'Europe tout entière car la couronne a failli à l'esprit chevaleresque. Le conflit familial reprend en 1448: Pierre et ses partisans sont tués par les troupes d'Alphonse V et du duc de Bragance dans la bataille d'Alfarrobeira (20 mai 1449).

En 1441 sont découverts le Cap-Vert et le Cap Blanc.

Entre 1441 et 1445, Antão Gonçalves et Nuno Tristão dirigent des expéditions militaires au sud du cap Bojador, atteignent le Sénégal et la Guinée, ramènent des esclaves, initiant ainsi la traite des Noirs dans leurs pays, pour les travaux ménagers et agricoles. En 1454, le pape Nicolas V autorise l’esclavage des Sarrasins et des païens par la Bulle Romanus pontifex. Au XVIIIe siècle, à la fin officielle de la traite des Noirs au Portugal, on compte 10% d’Africains à Lisbonne.

En 1443, Nuno Tristão découvre l'île d'Arguin au large de la Mauritanie. Dès lors, Henri tente d'attirer sur cette île, stratégiquement située leur route, les caravanes qui traversent le Sahara transportant l'or, l'ivoire et les esclaves échangés contre les produits achetés au Maroc. Il y fait construire un fort avec un administrateur héréditaire. C'est le premier comptoir régulier. Ces importations se révèlent très lucratives pour le pays.

Alphonse V

Ces marins ne se contentent pas de longer la côte africaine ; il semble qu'ils aient navigué plus loin, allant jusqu'à dessiner une carte des vents et des courants atlantiques et peut-être même reconnaître les Antilles et le Brésil.

Renforcement des places acquises

Alphonse V (1448-1481) ne poursuit pas la politique centralisatrice de son grand-père. La noblesse menée par le duc de Bragance qui contrôle le pouvoir royal et l’esprit de croisade reprend le dessus, renforcé par la chute de Constantinople (1453). Dès lors, le Pape encourage à la guerre contre les Turcs. Trois bulles papales confèrent au Portugal le droit de soumettre les incroyants, de s'emparer de leurs terres et de les convertir(Dum diversas, Romanus Pontifex et Inter caetera). Le roi cherche donc à renforcer les places acquises et à en exploiter les richesses. Cela se traduit par les prises d'Alcácer-Ceguer (1458), Arzila et Tanger (1471).

Les découvertes se poursuivent néanmoins, quoique sur un rythme plus lent : Diogo Gomes découvre la Guinée en 1450, puis remonte la Gambie en 1456 ; le Génois Antoniotto Usodimare et le Vénitien Cà da Mosto, commerçant pour le compte de l'infant, découvrent de nouveaux territoires. En 1460, les navires de Pedro de Sintra atteignent la Sierra Leone. Pour l'infant il s'agit à présent d'éviter le combat avec les populations indigènes, en privilégiant les alliances et le commerce des esclaves[29]. En 1472, João de Santarém et Pedro Escobar parviennent au delta du Niger et à São Tomé, près de l'équateur.

Lorsque l'infant Ferdinand succède à Henri à la tête des expéditions, le centre de décision revient à Lisbonne, reflétant sa volonté de mieux contrôler et de faire fructifier ces richesses. Le commerce est confié à Fernão Gomes pour une durée de cinq ans, à partir de 1469[30] : il est chargé de commercer avec la côte africaine avec obligation d'explorer 100 lieues par an. Ces hommes découvrent et nomment les terres de la Côte des Malaguettes (actuel Liberia), de Côte d'Ivoire, du Golfe de l'Or. Ils franchissent l'équateur en 1471 et découvrent le Gabon et São Tomé. La Casa da Guiné (équivalent portugais de la Casa de contratación espagnole) est créée pour contrôler les importations.

Les Portugais réussissent à détourner le commerce de l'or vers Arguin et Mina sans pour autant augmenter sa quantité. L'Afrique devient leur chasse gardée, les comptoirs sont transformés en places fortes. Les Génois et les Castillans essaient en vain de les concurrencer en Afrique. Chaque nouvelle étape devient une escale du contournement de l'Afrique.

Au Portugal, c'est une période de grande stabilité, les impôts sont uniformisés. Quelques familles profitent de ce règne et acquièrent une grande puissance et une grande influence auprès de la couronne: les Bragance, les Meneses, les Coutinhos et les Melos. Le droit réalise une avancée majeure avec la publication des Ordonnances alphonsines (1466), première tentative d'uniformiser et de codifier les lois au Portugal : ces ordonnances restent en vigueur jusqu'à la publication des Ordonnances manuélines en 1521.

Guerre de succession au trône de Castille

Le rêve d'unifier la péninsule à leur profit anime toujours les deux couronnes de Portugal et de Castille. Alphonse V épouse Jeanne de Castille (dite la Beltraneja), fille d'Henri IV de Castille. À la mort de ce dernier, en 1474, le roi fait bien entendu valoir les droits de son épouse. Au motif de soupçons d'illégitimité de la prétendante, Isabelle de Castille, la demi-sœur d'Henri IV, unie à Ferdinand d'Aragon, s'y oppose, déclenchant une guerre de succession. Alphonse V envahit la Castille avec l'aide du roi de France Louis XI mais est défait le 1er mars 1476 à la bataille de Toro.

La Castille, qui achève enfin sa reconquête, tente de remettre en cause le monopole du Portugal en encourageant le commerce avec l'Afrique. Le 25 janvier 1479, le traité d’Alcáçovas met fin aux conflits entre les deux couronnes et attribue définitivement les Canaries à la Castille et les archipels de Madère, des Açores et du Cap-Vert, au Portugal. Le Portugal reçoit aussi le droit de conquérir Fez et le commerce exclusif avec la Guinée.

Nouvel essor

Après ce relatif ralentissement, les découvertes prennent un nouvel essor sous l'impulsion du nouveau maître des expéditions, l'infant Jean, qui planifie les découvertes avec le but d'atteindre les Indes. Lisbonne est maintenant devenue le point de départ du commerce européen.

En 1474, João Vaz Corte-Real et Alvaro Martins Homem découvrent le Groenland et Terre-Neuve.

Devenu roi, Jean II (1481-1495) centralise le pouvoir et continue de planifier les grandes expéditions. Jean II est le roi de la Renaissance par excellence : il met fin à certains privilèges, oblige la noblesse à lui prêter serment, se débarrasse des traîtres (le duc Ferdinand II de Bragance conspire avec les Rois catholiques, il le fait arrêter et exécuter en 1483 ; en 1484, c'est le duc de Beja et de Viseu Diogo qu'il assassine lui-même pour les mêmes raisons). Le pouvoir et le domaine royal s'en trouvent agrandis, au prix de la haine de la grande noblesse. Ce ressentiment est d'autant plus vif que le roi privilégie désormais la poursuite des découvertes de nouvelles terres et surtout de la route des Indes. L'Afrique n'est plus l'enjeu ; il s'agit de la contourner.

Diogo Cão

La mission en est confiée à Diogo Cão, qui, en 1481 emporte le premier padrão (borne de pierre avec les symboles du Portugal plantée dans les terres découvertes). Il remonte le fleuve Zaïre, débarque au Congo, au Gabon, en Angola et en Afrique du Sud enfin en 1486.

Ces coûteuses expéditions sont financées par l'exploitation des terres conquises et par l'établissement de São Jorge da Mina, dans le golfe de Guinée, qui voit converger l'or de la région ; construit en 1482, il vise aussi à interdire aux navires étrangers l'accès aux eaux portugaises. Le traité de Tolède (6 mars 1480) instaure un partage de l'Atlantique avec la Castille, lui abandonnant les découvertes à l'ouest des Canaries et assurant au Portugal le monopole en Afrique. Madère devient un point d'escale. Le vin, la canne à sucre et l'élevage s'y développent grâce à l'arrivée de migrants et d'esclaves. Le blé des Açores sert à ravitailler le pays. Cap-Vert, les îles de São Tomé et de Principe fournissent du sucre et du bétail. Le Portugal passe une alliance avec le Congo qui se laisse christianiser. Le commerce avec les Africains rapporte aussi de l’ivoire et des fruits tropicaux.

C'est ensuite Bartolomeu Dias qui est envoyé en 1487. Il double le cap de Bonne-Espérance (qu'il avait nommé « cap des Tempêtes » avant que le roi ne lui donne ce nom prophétique) le 6 janvier 1488, par hasard, emporté par une tempête. Il atteint l'actuelle Namibie mais une mutinerie l'empêche d'aller plus loin.

Dans le but de préparer le voyage vers les Indes, Jean II envoie en 1488 des émissaires par voie de terre. C'est un moyen de recueillir des informations sur les courants dans l’océan Indien, peut-être même de trouver une trace du Royaume du prêtre Jean. C'est d'abord Pedro de Montanoio et Pedro de Lisboa qui partent. Ils sont suivis de Pêro da Covilhã et d'Afonso de Paiva qui apportent de précieux renseignements pour le voyage de Vasco de Gama.

Les voyages de Pêro da Covilhã (vert/orange), Afonso Paiva (vert/bleu) et de Vasco de Gama (noir)

Ils partent vers Jérusalem, accèdent au golfe Arabique, à Aden à l'embouchure de la mer Rouge. Ils se séparent ensuite. Paiva part vers l’Abyssinie à la recherche du prêtre Jean. Covilhã part vers les Indes. Il passe par Calicut, puis Sofala, Madagascar, revient au Caire où il apprend la mort de son compagnon. Il envoie ses informations au roi et part pour Ormuz. Il parvient à la cour du roi chrétien Négus, s'y marie et y finit ses jours. Grâce à lui, on fait construire des navires spéciaux : la caravelle est remplacée par la caraque permettant d'emporter plus d'équipage, d'armes et de ravitaillement.

Pendant ce temps-là, les Rois catholiques prennent Grenade et mettent fin à la reconquête (1492). Cette victoire leur laisse les mains libres pour entreprendre des expéditions. Christophe Colomb embarque en leur nom pour atteindre les Indes par l'ouest. Jean II, à qui il s'adresse auparavant, refuse de financer ce voyage, privilégiant la route découverte par Vasco de Gama et estimant, à juste titre, que Colomb se trompe.

Par ailleurs, l'inquisition affirmant que Dieu a pris fait et cause pour les royaumes de Castille et d'Aragon depuis cette victoire, exige de chasser du pays tous les non-croyants : sous l'influence du Grand Inquisiteur Tomás de Torquemada, les Juifs sont expulsés et une partie essaie de se réfugier au Portugal. Jean II comprend tout le parti qu'il peut tirer de leurs richesses et de leurs connaissances ( celles d'Abraham Zacuto astronome et mathématicien entré au service du roi ont contribué aux découvertes) : il accepte leur séjour provisoire dans le pays tout en taxant leur entrée. On estime le nombre de ces nouveaux arrivants entre 60 000 et 120 000. Leur réussite et les protections accordées suscitent de nombreuses jalousies dans la population.

En 1493, Christophe Colomb revient d'Amérique et c'est à Lisbonne qu'il débarque en premier. Il annonce au roi que les terres découvertes lui appartiennent en vertu du traité d'Alcaçovas. Jean II les revendique donc auprès du pape Alexandre IV. Une bulle papale établit alors une division des terres qui passe à 100 lieues à l'ouest du Cap-Vert. Jean II exige un autre accord: le 7 juin 1494, Espagnols et Portugais signent le traité de Tordesillas qui fixe la limite à 370 lieues. Ce nouvel accord permet au Brésil qui n'a pas encore été découvert d'être portugais tout en abandonnant à l'Espagne les nouvelles terres d'Amérique.

Apogée

C'est le nouveau roi Manuel Ier (1495-1520) qui tire profit de la politique intelligente de Jean II. Celui-ci, très impopulaire auprès de la noblesse, meurt probablement empoisonné en 1495.

Vasco de Gama

Vasco de Gama arrive aux Indes le 20 mai 1498, ouvrant la voie au commerce très fructueux des épices contrôlé jusque là par les Vénitiens. Son voyage a été minutieusement préparé. Mais à son arrivée à Calicut, il est mal accueilli par le Samorim. En 1499, une deuxième expédition, commandée par Pedro Alvares Cabral est envoyée avec l'objectif de s'imposer, par la force si nécessaire.

Le 22 avril 1500, Cabral aborde au Brésil et en prend possession. Il envoie un messager à Lisbonne et poursuit sa route.

Arrivé à Calicut, il reçoit meilleur accueil mais très vite les Portugais doivent affronter la concurrence des Vénitiens, des Turcs et des Égyptiens. C'est la fin des voyages pacifiques. Les Portugais tirent parti des divisions entre les hindous et les musulmans de la région. Une factorerie est créée à Cochim puis à Cananor, Sofala, Quiloa et Malacca (1511). Elles sont protégées par des forteresses et une armada. On finit par installer une administration et créer un poste de vice-roi des Indes pour maintenir l'ordre dans l’océan Indien : Francisco de Almeida est le premier, suivi d'Afonso de Albuquerque à installer de solides forts aux points stratégiques (Malacca, Siam, Goa qui devient la capitale de cet empire, Moluques, Timor, l'archipel de Socotra, Ormuz) et consolide cet empire naissant. Tout l'océan Indien est bientôt sous contrôle.

Mais les conflits sont permanents : les Portugais se livrent à de nombreux massacres et développent l'opposition indigène avant qu'Albuquerque développe une politique plus conciliante. Il tente d'obtenir l'appui des populations locales afin d'éviter les guerres trop coûteuses.

Amerigo Vespucci fait partie du premier voyage officiel au Brésil (1501). La découverte du Brésil permet aux commerçants portugais de s’approprier le pau-brasil, un bois de teinture et de construction très recherché. Mais le pays semble peu intéressant au départ jusqu'à ce que la concurrence espagnole et française se fasse sentir. On y envoie des colons, on crée des factoreries. Les Indiens du Brésil puis de nombreux Africains sont réduits en esclavage pour la culture du sucre. En 1600, le Brésil est le premier producteur mondial de sucre et le principal fournisseur de ressources du Portugal. Au XVIIe siècle, les Bandeirantes découvrent au sud de la colonie des mines d’or et de diamants qui sont exploités grâce à une même main d’œuvre servile.

Les découvertes se poursuivent par ailleurs : en 1495, Pero de Barcelos et João Fernandes Lavrador explorent les côtes du Canada et du Groenland (donnant son nom au Labrador). En 1500, Gaspar Corte Real arrive à Terre-Neuve. En 1513, Jorge Alvares arrive en Chine et Tomé Pires à Pékin. En 1519, Magellan, pour le compte de l'Espagne, boucle le premier tour du monde. En vérité, il cherche à atteindre les Moluques, que Charles Quint revendique, sans passer par les eaux portugaises. Cela provoque une crise diplomatique en 1522.

Le premier Européen à reconnaître les côtes de l'Australie est l’explorateur portugais Cristóvão de Mendonça en 1522. Les cartes marines et portulans du XVIe siècle de l'École de cartographie de Dieppe représente l'Australie sous le nom de La Grande Jave. Les navigateurs portugais collaborent avec les cartographes de la célèbre École de Dieppe. Nicolas Vallard, Jean Rotz, Pierre Desceliers, Nicolas Desliens et d'autres cartographes français représentent ainsi les contours exacts de l'Australie dès le milieu du XVIe siècle grâce aux informations fournies par les navigateurs portugais[31].

C'est un véritable empire qui naît reposant sur les comptoirs. La Casa da India à Lisbonne contrôle et vérifie les marchandises importées d'Orient. Les richesses venues des colonies (épices, or, pierres...) affluent pendant les siècles suivants. Jamais le pouvoir royal n'a été aussi grand. Manuel Ier réforme d'ailleurs l'administration avec un nouveau code législatif afin de renforcer encore ce pouvoir (les ordonnances Manuelines de 1521). Mais il sait aussi ménager la noblesse (contrairement à son prédécesseur) qui, grâce aux nouvelles colonies, finit par y trouver son compte. En 1555, le pays est compté comme le plus riche d'Europe.

C'est un période de croissance démographique. Le Portugal compte alors à peu près 1,5 million d'habitants. Tout un peuple vit alors impliqué dans le colonialisme. Beaucoup partent vers les colonies. L'esclavage fait que le travail devient une valeur dénigrée.

l'Empire portugais

Il s'agit également d'une période de développement culturel avec le début des grandes constructions influencées par la Renaissance, avec l'installation définitive de l'université à Coimbra. Le style manuélin, gothique propre au pays, se propage sous l'influence de grands architectes (Mateus Fernandes, Diogo de Arruda, Francisco de Arruda et les Français Diogo Boitaca ou Nicolau de Chanterene).

La littérature connaît aussi une époque faste avec les œuvres de João de Barros, Damião de Góis ou Gil Vicente. Le tableau de Nuno Gonçalves résume à lui seul toute cette époque. Les Portugais inventent une science basée sur l'expérience.

Le rôle des jésuites sur ce point se révèle très important. Cette société missionnaire parcourt le pays pour former les jeunes chrétiens. Leur pensée imprègne toute la société portugaise. Ils ont aussi pour mission d'évangéliser les Indes et le Brésil. Ils pénètrent même au Japon, en Chine et au Tibet. Ils sont à l'origine de la fondation de Nagasaki, São Paulo et Rio de Janeiro. Ils font souvent preuve d'un grand respect des traditions et des lois locales. Ils apprennent les langues locales, rédigent des grammaires. Ils vont jusqu'à s'opposer à l'Inquisition et aux colons sur la question de l'esclavage des Indiens, à tel point qu'ils sont expulsés du Brésil en 1760.

Les autres ordres sont également présents: les franciscains à Goa et Cochim, les dominicains à Goa, Malacca et Timor, les augustins à Macao. L'évangélisation des peuples reste une priorité pour la couronne.

Les germes de la décadence

Les richesses coloniales sont partiellement utilisées pour des constructions de prestige et non investies dans le modernisation des structures économiques du Portugal. Les minerais (or, diamant) trouvés au Brésil au XVIIe siècle n'enrichissent pas le Portugal mais au contraire ralentissent son économie comme cela a été le cas de l’Espagne avec les mines d’argent de Potosí. Les deux pays ibériques n'ont cessé d’importer des produits manufacturés d’Angleterre en échange des minerais. Au bout de deux cents ans, les manufactures portugaises et espagnoles sont presque ruinées tandis que les Anglais ont de l’or, de l’argent, des diamants et une industrie. Le Portugal accentue sa confortable dépendance envers les colonies, l'acquisition facile de richesses pervertit les mentalités.

Par ailleurs, le pays se fragilise avec la ruée vers l’or qui attire tant d’immigrés vers le Brésil qu’on doit freiner les départs vers la colonie. Aux Indes, le commerce est si prospère que soldats et marins abandonnent le service du roi.

Tout cela relativise la puissance du pays qui se révèle trop faible pour contrôler un si grand empire. Il ne peut jamais vraiment contrôler le commerce de la mer Rouge. Le handicap démographique est momentanément compensé par une incroyable organisation. Tout cela a un coût et les Indes se révèlent un gouffre financier. Très vite, les Portugais doivent faire face à une vive concurrence française et surtout hollandaise. De 1550 à 1575, les Français occupent Rio de Janeiro. Les Hollandais vont encore plus loin en occupant tout le Nordeste brésilien et l’Angola (centre d’extraction des esclaves), de 1630 à 1654. Grâce à la colonie du Cap, les bateaux hollandais ont également une escale vers les Indes, l’Insulinde et ses précieuses épices. La concurrence se faisant plus forte, le prix des produits importés baisse alors que les coûts de fonctionnement du commerce augmentent ainsi que celui des produits de première nécessité ; les revenus ne suivent plus. Le fossé se creuse entre le peuple et la bourgeoisie d'un côté et une élite privilégiée de l'autre.

Manuel Ier

L’invasion hollandaise étant indirectement due à l’union des deux monarchies ibériques en 1580, le Portugal est impliqué dans la rivalité hispano-hollandaise tandis que toutes les fonctions importantes du royaume tombent en des mains espagnoles.

En outre, en 1496, alors que Manuel Ier envisage d'épouser la fille des rois d'Espagne, ceux-ci conditionnent le mariage à l'expulsion des juifs portugais. Le roi ne peut se résoudre à se séparer de cette population très active dans la vie sociale et économique (que ce soit dans l'administration fiscale, l'artisanat, la médecine, l'astrologie, la cartographie...), qui contribue largement à la prospérité du pays. Il recours donc aux conversions forcées : baptêmes forcés, enlèvement des enfants de moins de 14 ans afin de leur faire suivre une éducation catholique, fermeture des ports, confiscation des biens. Officiellement on ne parle plus de juifs au Portugal mais de nouveaux chrétiens (conversos) qui sont peu à peu assimilés.

L'Inquisition leur rend tout de même la vie difficile. La menace amène une pratique occulte du judaïsme alors que certains se réfugient en France ou en Hollande. Le pays perd de nombreux intellectuels. L’Inquisition exagère en permanence la menace que représentent les juifs et les hérétiques, justifiant ainsi sa propre existence. Elle va exacerber la haine populaire contre eux. Créée pour lutter contre la Réforme et les courants hérétiques, elle n'est nulle part plus virulente qu'en Espagne, alors même que le pays est peu touché par le protestantisme. En vérité, elle n'est introduite par le roi Jean III (1520-1557), en 1531, dans l'objectif de renforcer son autorité et s'emparer des biens des prétendus hérétiques. Son action est pourtant catastrophique dans le domaine culturel et scientifique (censure, autodafés...). Le pays tombe dans le fanatisme religieux.

On reproche aussi au roi l'influence grandissante de son épouse, Catherine de Castille, sœur de Charles Quint, supposément inféodée à la maison des Habsbourg, qui cherche à renforcer encore les liens entre les deux couronnes par le mariage de ses enfants.

Face à la crise financière, Jean III est amené à abandonner les places du Maroc (1541).

Le désastre d'Alcácer-Kibir

À la mort de Jean III, le pays se trouve de nouveau face aux sempiternels problèmes de succession motivés par l'ambition de monarques espagnols et portugais de réunir les deux pays. Jean III et Charles Quint ont chacun épousé une sœur de l'autre. La fille de Jean III a épousé le futur roi d'Espagne Philippe II. Le seul héritier mâle et unique rempart à l'union ibérique est l'infant Sébastien, petit-fils de Jean III, trop jeune pour monter sur le trône. Catherine, la veuve de Jean III, assure la régence de 1557 à 1562. Jugée trop proche de la Castille, elle est remplacée par le cardinal Henri, dernier fils vivant de Manuel Ier. Pour la première fois, un ecclésiastique est au pouvoir au Portugal.

Sébastien Ier

Sa règence renforce le pouvoir de l'Inquisition et de l'Église. Il confie l'éducation de Sébastien au jésuite Luis Gonçalves de Camara, un homme peu tolérant, passéiste et fanatique. Le futur roi est élevé dans le culte de l'esprit chevaleresque et des croisades contre l'Islam. Il est entouré par une ferveur populaire qui lui vaut le surnom de O desejado (Le Désiré) tant sa naissance était désirée par le peuple pour empêcher l'union des deux couronnes et surmonter la crise que connaît le pays. Il rêve d'action et de combattre la corruption des mœurs des Portugais séduits par une vie facile. Il est porteur de la volonté de régénération et de croisade qui anime le pays. Il est très habile dans les exercices physiques et passionné par la chasse et la guerre. En 1568, il a 14 ans quand il monte sur le trône sous le nom de Sébastien Ier de Portugal avec l'idée, soutenue par les Cortes, de reconquérir les terres marocaines. Il faut y voir aussi une réponse à la crise commerciale avec les Indes. Le pays s'est appauvri par ses efforts pour conserver ses possessions de plus en plus disputées.

En 1569, il promulgue une loi lui permettant de recruter tous les hommes valides pour son armée. Il confie même aux concelhos (municipalités) l'organisation militaire de leur territoire, privilège jusque-là réservés aux nobles. En 1574, une première expédition de reconnaissances est organisée en Afrique.

Alors que les caisses du royaume sont vides, il organise une expédition de grande envergure. L'appel à l'aide d'un chef marocain opposé aux Turcs offre un prétexte pour s'embarquer. Les pressions de son entourage pour l'en empêcher n'y font rien. La fine fleur de l'aristocratie portugaise, 16 000 hommes inorganisés et inexpérimentés, part sans laisser de successeurs au pays.

Le 4 août 1578, a lieu la bataille d'Alcácer-Quibir (dite aussi bataille des Trois Rois) qui tourne au carnage avec des milliers de morts et de nombreux prisonniers. Une centaine de rescapés rentrent à Lisbonne. Le roi est mort mais son corps n'est pas retrouvé. C'est un désastre militaire, économique et politique : la défaite marque la fin de la dynastie d'Aviz et d'une époque glorieuse, chantée dans Les Lusiades par le poète Luís de Camões, disparu également à cette époque. Quatre siècles d'une indépendance chèrement acquise sont remis en cause. Cet épisode marque aussi la fin des croisades.

L'union de l'Espagne et du Portugal

Article détaillé : Union ibérique.

Outre la crise politique et économique, c'est une crise morale que connaît le pays : une Couronne endettée, des milliers de morts et des prisonniers dont il faut payer la rançon. C'est dans cette atmosphère que vont surgir et prospérer de nombreuses prophéties évoquant le retour du jeune roi: le sébastianisme. Pas moins de quatre imposteurs cherchent à se faire passer pour le roi au cours de cette période.

L'Invincible Armada

Le vieux cardinal Henri, dernier fils de Manuel Ier, monte sur le trône le 28 août 1578. Il est chargé de se trouver un successeur. De nombreux prétendants existent dont Philippe II d'Espagne, qui apparaît comme le seul capable d'assurer la conservation de l'Empire portugais. Cette solution a les faveurs de la noblesse et du clergé. Le peuple, lui, favorise un Portugais (Antoine, prieur de Crato) mais les Cortes n'arrivent pas à trancher. La grande bourgeoisie penche du côté espagnol pour des raisons économiques. Elle entend profiter des marchés offerts par l'Espagne et ses colonies.

Henri Ier meurt sans trancher. De fait, il laisse le champ libre à Philippe II : celui-ci s'impose avec une démonstration de force face au prieur de Crato lors de la bataille d'Alcántara (25 août 1580). Celle-ci marque la fin de la dynastie d'Aviz et le début de celle des Habsbourg. Les accords de Tomar signés entre les Cortes et le nouveau roi permettent au Portugal de garder une certaine autonomie et rassurent la population[32] mais le pays appartient désormais à la Couronne d'Espagne. Il retrouve une certaine stabilité économique mais perd certaines de ses places au profit de la Hollande et de la France. Le conflit entre l'Espagne et l'Angleterre (1588), qui aboutit à l'épisode de l'Invincible Armada, vient à bout de ce qui reste de la flotte portugaise.

Les premiers accrocs surgissent à la fin du règne de Philippe II et se poursuivent avec son successeur, Philippe III, qui se désintéresse du Portugal et de l'administration en général. Il délègue ses pouvoirs au vice-roi qui cherche à centraliser le pouvoir et à remettre en cause l'autonomie du Portugal. Le monarque se rend impopulaire en augmentant les impôts, en affichant une certaine tolérance envers les nouveaux chrétiens et en signant une trêve avec la Hollande qui en profite pour conforter sa place dans les colonies portugaises. Un nouveau code législatif est introduit : les Ordonnances philippines (1603).

Philippe IV bafoue les accords sur l'autonomie du pays et alourdit encore la pression fiscale. Des troubles éclatent. Face à la concurrence des Anglais et des Hollandais, les places portugaises tombent une à une : Ormuz en 1622, Bahia en 1624, Arguin en 1633, São Jorge da Mina en 1637. Dès lors, le Portugal se tourne essentiellement vers le Brésil déjà menacé par les Hollandais et les Français.

L'Espagne devient la cause de tous les maux du pays. Des révoltes éclatent. L'unité nationale en sort renforcée. Les opposants soutiennent le duc Jean de Bragance.

La dynastie des Bragance

La Restauration

Article détaillé : Guerre de Restauration (Portugal).

Tout concourt à ce que le Portugal se révolte contre la tutelle espagnole, et en particulier la France, qui encourage l'ouverture d'un deuxième front dans sa guerre contre l'Espagne. La noblesse portugaise délaissée par Madrid et qui voulant éviter une révolution populaire comme celle de 1383 complote à partir de 1637. Les Açores et Madère leur servent de bastion. Le conflit avec les Pays-Bas et la guerre de Trente Ans menacent les places commerciales portugaises et les intérêts de la bourgeoisie. Même le clergé se plaint de la tolérance du roi envers les nouveaux chrétiens.

Les richesses du Brésil offrent les moyens de cette indépendance. Le prétexte à la restauration est donnée par une révolte en Catalogne contre laquelle les troupes portugaises sont sollicitées. Le comte d'Olivares convoque le duc de Bragance à Madrid pour le nommer à la tête de ces troupes. Il espère apaiser les mécontents et priver le mouvement de son chef.

Le 1er décembre 1640, un groupe de jeunes nobles s'empare du palais gouvernemental. Ils vont chercher Jean de Bragance qui, appartenant à la famille la plus puissante du royaume, est le seul capable de rassembler le peuple sur son nom. Le 15 décembre, il est proclamé roi, le premier de la dynastie de Bragance. Une longue bataille diplomatique commence pour faire reconnaître cette indépendance parfois au prix de concessions commerciales faites à l'Angleterre. Des missions diplomatiques sont envoyées dans toute l'Europe.

L'Espagne est d'abord trop occupée avec la Guerre de Trente ans et la Catalogne, pour s'y opposer. En 1644, une première confrontation armée se solde par une victoire des Portugais à Montijo. Cela ouvre une période de répit pour le pays. Le temps joue en sa faveur et la lutte ne reprend qu'en 1657. Pendant cette période, on assiste à un déclin de la bourgeoisie au profit de la noblesse. Le Portugal tente de reprendre la main sur son Empire.

Les régences

À la mort de Jean IV, en 1656, la régence est confiée à sa veuve, Luísa de Gusmão, son fils, Alphonse, étant encore mineur. Cette régence se poursuit bien après la majorité du jeune roi qui se révèle incapable de gouverner. C'est encore la noblesse qui tire parti de cette situation.

Philippe IV en profite dès 1657 pour tenter une nouvelle offensive: Olivenza est prise avant que les troupes portugaises lancées par la régente réussissent à la repousser. En 1659, les Portugais repoussent leurs ennemis à Elvas. En 1661, l'armée portugaise réorganisée par Frédéric-Armand de Schomberg, envoyé par Mazarin, reprend la lutte contre l’Espagne. L'opposition contre la reine-mère augmente. En 1662, une révolte de palais, menée par de jeunes aristocrates, dont Luis de Vasconcelos e Sousa et Antonio de Sousa de Macedo, installe au pouvoir le jeune roi Alphonse VI. La bataille décisive débute en 1663 avec la prise d’Évora par une puissante armée espagnole. L'organisation et la motivation portugaise font subir de lourdes pertes aux troupes espagnoles par la suite avant de prendre définitivement le dessus lors de la bataille de Montes Claros le 17 juin 1665.

En 1666, Luis de Vasconcelos e Sousa, Premier ministre d'Alphonse VI, organise le mariage de ce dernier avec Marie Françoise de Savoie-Nemours afin d'assurer la succession et surtout de garder le contrôle du pouvoir. Le roi se révèle impuissant. la reine devient alors la maîtresse de son frère Pierre. Une cabale des deux amants leur permet de faire proclamer la déchéance du roi et de faire renvoyer son premier ministre en 1667. Le mariage est annulé, Pierre épouse Marie Françoise de Savoie-Nemours et devient régent jusqu'en 1683, date de la mort d'Alphonse VI.

Le Portugal et l'Espagne signent le traité de Lisbonne en 1668, dans lequel sont reconnues les frontières portugaises[33], à l'exception de Ceuta. Le conflit a surtout servi les intérêts des puissances qui convoitent l’Empire portugais. Celui-ci se désagrège peu à peu : en 1663, les Portugais perdent Cochin ; en 1665, l'Inde portugaise se résume à Goa, Daman, Macao et Timor. Le reste est sacrifié au profit du Brésil d'où sont expulsés les Hollandais en 1654.

Pierre II

Le traité de Whitehall du 6 août 1661 entre le Portugal et l'Angleterre entraîne des conséquences désastreuses et durables sur l'économie portugaise : il prévoit le mariage de Catherine de Bragance, fille de Jean IV avec Charles II d'Angleterre en échange d'une autorisation pour l'Angleterre de commercer avec les possessions portugaises en Afrique et en Amérique. Tanger et Bombay deviennent anglaises[34]. En retour, l'Angleterre s'engage à défendre le Portugal et ses colonies . En réalité, le pays se soumet aux intérêts britanniques.

Pierre II devient officiellement roi en 1683. veuf dès l'année suivante, il épouse Marie-Sophie de Neubourg. La Cour se rapproche de celle d'Autriche sans aller jusqu'à participer à la guerre de la Ligue d'Augsbourg. Ce règne inaugure une période de paix et de stabilité politique, qui permet des réformes profondes. Le gouvernement est confié au duc de Cadaval Nuno Álvares Pereira de Melo, secondé par le comte d'Ericeira Francisco Xavier de Meneses et le marquis de Fronteira Fernando Mascarenhas. La noblesse est fortement représentée mais le régime évolue vers l’absolutisme : les Cortes se réunissent en 1697 pour la dernière fois avant la révolution.

Le pays s'efforce de restaurer sa prospérité et son prestige ; il équilibre sa balance commerciale et lutte avec succès contre la contrebande. Entre 1670 et 1680, avec l’aide de la France, la Couronne tente de développer les manufactures. Mais la découverte d'or au Brésil en 1692 fait échouer ce projet. L’importation de produits manufacturés est de nouveau privilégiée, accentuant ainsi la dépendance, le retard industriel et le déficit commercial. C'est en définitive l’Angleterre qui profite de cet or.

En 1700, Pierre II revendique la Couronne d'Espagne et s'engage dans la guerre de succession du côté français avant de devoir reculer devant la menace anglaise. Un nouveau traité anglo-portugais, le traité Methuen, est signé le 27 décembre 1703. Ce traité de coopération militaire, diplomatique et économique concède aux Anglais le privilège de fonder au Portugal des maisons de négoce de vin en échange de la baisse des taxes à l'importation sur le vin de Porto et sur le textile anglais. S'il permet le développement du vin de Porto et l'afflux de richesses au pays, il accroît en réalité la dépendance portugaise envers l’Angleterre et enrichit surtout les négociants étrangers qui affluent au Portugal. En 1704, en vertu de ce traité, le Portugal s’engage contre la France dans la guerre de Succession d’Espagne. Au niveau culturel, le développement des académies et de la littérature facilite la progression des idées nouvelles.

Jean V et les richesses du Brésil

Jean V

Ce règne (1706-1750) correspond à la période la plus fastueuse de l'histoire du pays grâce aux arrivées d'or (jusqu'à 1 200 kg/an) et de diamants du Brésil, qui donnent à Jean V les moyens d'imposer un régime absolutiste justifié par sa conviction de sa mission divine. La noblesse en profite ; le pouvoir des ministres augmente au détriment du rôle des conseils.

Les tentatives pour développer les manufactures et l'économie nationales échouent. L'aristocratie freine toute modernisation. Le pays s'appuie exclusivement sur les richesses du Brésil important les produits agricoles et accroissant ainsi sa dépendance et les déficits. Tout est donc fait pour conserver le Brésil au moment où l'Asie lui échappe. La colonie représente alors une échappatoire pour une population en pleine augmentation mais à qui l'industrie et l'agriculture nationales n'offrent pas de débouchés. En 1713, le traité d'Utrecht met fin aux menaces françaises et hollandaises sur le Brésil.

On vit dans un luxe sans mesure, les fastes et le gaspillage. Chaque évènement est commémoré par des fêtes. Cela se traduit aussi par une architecture extravagante, avec le développement des azulejos et de la talha dourada (sculpture de bois dorée) : le palais de Mafra, l’église de Saint-Roch à Lisbonne, la bibliothèque Joanina de Coimbra, la tour des Clercs de Porto, l’aqueduc des Eaux Libres de Lisbonne, le palais royal de Queluz de Sintra, l'église de la Miséricorde, le sanctuaire de Bom Jésus do Monte à Braga. La culture et les sciences se développent avec les Académies. Le premier grand journal portugais paraît (A gazeta de Lisboa).

La vie mondaine se développe, une vie de dépravation et de débauche qui se concentre autour des couvents. Il est à la mode d'avoir une maîtresse chez les religieuses étant donné que toutes les familles y envoient leurs filles. Cela donne lieu aux fameuses Lettres portugaises. Le roi entretient lui aussi une liaison avec la mère Paula Teresa da Silva, dont il a trois enfants (surnommés « les enfants de Palhavã »).

Jean V cherche à soumettre l'Inquisition mais sans succès. Celle-ci continue de poursuivre les nouveaux chrétiens ce qui accentue la fuite des capitaux. Petit à petit, l'or se fait rare. L'absolutisme est contesté, le régime s'affaiblit.

Le Portugal de Pombal

Le marquis de Pombal

Le règne de son successeur, Joseph Ier (1750-1777) est dominé par la personnalité de son Premier ministre Sebastião José de Carvalho e Melo, plus connu sous le titre de marquis de Pombal. Ce roi préfère, lui aussi, s'adonner aux plaisirs de la chasse et du théâtre et il délègue son pouvoir. Délaissant la noblesse toute puissante, il choisit un petit bourgeois pour redresser l'économie. Prenant le contrepied de son père, il défend le retour de l'autorité et de la discipline. Mais l'importance particulière de Pombal est à relier à un évènement majeur de l'histoire du pays : le tremblement de terre de Lisbonne de 1755. Cette catastrophe lui permet de contourner l'opposition des grandes familles et des jésuites et d'exercer un pouvoir absolu.

Le 1er novembre 1755, un tremblement de terre de magnitude 8.75, suivi d'un raz-de-marée et d'incendies ravage Lisbonne. On compte 15 000 morts sur les 250 000 habitants que compte la capitale ; 85% des maisons sont inhabitables, cinq églises ainsi que le palais sont détruits avec ses archives, sa bibliothèque et ses œuvres d'art. La famille royale fuit Lisbonne dans la panique.

Pombal prend dès lors les choses en main : les cadavres sont jetés à la mer, des mesures sont prises contre les pillards, il fait approvisionner la ville et oblige l'Église à célébrer le culte afin de garder la population sur place.

Très vite, des ingénieurs sont chargés de reconstruire la ville. Pombal fait raser la ville basse et ses rues sinueuses (a Baixa), la partie la plus touchée. Inspiré par l'esprit des Lumières, les plans privilégient la simplicité, la cohérence et la fonctionnalité (les activités sont ainsi regroupées par quartiers) dans un style néoclassique. L'azulejo, privilégié car il ne propage pas le feu et protège de l'humidité, connaît un grand développement. L'art portugais en est profondément influencé, d'autant plus que l'établissement des plans est confié à des architectes portugais : Manuel da Maia, Eugènio dos Santos, Machado de Castro et Carlos Mardel.

Ce désastre est aussi à l'origine de la persécution des jésuites qui ajoutent à l'exaltation populaire, par le biais de faux prophètes, en évoquant une punition divine contre l'impiété des hommes. Ils deviennent par ailleurs gênants au Brésil où ils prennent la tête d'un mouvement contestant de plus en plus l'autorité de Lisbonne. Le 7 septembre 1759, accusés de comploter avec une partie de la noblesse, un décret provoque leur expulsion du Portugal et du Brésil.

La noblesse réunie autour de la famille Tavora déteste ce petit-bourgeois qui cherche à les soumettre. Elle tenta en effet de le renverser et de mettre sur le trône la sœur du roi. Les meneurs sont emprisonnés, d'autres bannis.

Pombal ne néglige pas l'Église et l'Inquisition qu'il cherche à soumettre à la Couronne. Il met fin à la vieille distinction entre nouveaux et anciens chrétiens et mène une politique de tolérance. L'esclavage est interdit en 1761.

Il se crée ainsi de nombreux ennemis. Très critiqué pour sa cruauté et sa rigidité, considéré comme un despote éclairé, Pombal cherche surtout à renforcer le pouvoir de l'État. Il introduit au Portugal la doctrine du « roi de droit divin ». Il lutte contre tout ce qui s'oppose à la centralisation du pouvoir en développant le rôle des fonctionnaires et en créant une police moderne. La bourgeoisie en ressort renforcée.

Dans le domaine économique, il encourage le développement des manufactures et instaurer des monopoles (notamment celui de la compagnie des vins de Porto). Il mène une politique protectionniste qui lui permet de rétablir la balance commerciale. Pourtant le pays voit l'or commencer à se faire rare, le sucre et le blé entrer en crise. Il tente de faire de l'Angola un second Brésil.

Pombal est par ailleurs l'instigateur de réformes dans de multiples domaines : il adapte l'enseignement aux besoins de la vie moderne, forme des cadres indispensables à l'administration, remplace l'enseignement des jésuites par un enseignement moderne, adapte les programmes, réforme et développe l'université.

La censure reste présente (elle est même contrôlée par l'État dès 1768 et la création de la Real mesa censoria) mais les idées nouvelles venues de France et d'Angleterre se propagent. En contrepartie, la coupure avec l'Espagne se renforce, aggravée par la guerre de Sept Ans qui voit le nord-est du pays être envahi par les troupes espagnoles (1762) avant qu'elles ne soient repoussées avec l'aides de Anglais (1763).

Le pays passe, grâce à ses réformes, de la féodalité à un état moderne.

Marie Ire et la Viradeira

Article détaillé : Histoire du Portugal (1777-1834).
Marie Ire de Portugal

Le pouvoir de Pombal ne survit pas à la mort de Joseph Ier : il tombe en disgrâce en 1777, après le couronnement de la fille de ce dernier, Marie Ire (1777-1786). Cette réaction prend le nom de Viradeira : on libère les prisonniers politiques (issus de l'Église et de la noblesse) et l'on met fin aux monopoles. La politique absolutiste est néanmoins poursuivie jusqu'en 1820.

Empreinte d'une grande piété qui tourne parfois à la superstition, Marie Ire perd la raison après la mort de son mari (1786) et de deux de ses fils. La Révolution française achève de la plonger dans la démence en 1791. Dès lors, c'est son fils, le futur Jean VI, qui assure la régence jusqu'à son intronisation en 1816. Mais le gouvernement est aux mains du vicomte de Vila Nova de Cerveira et le reste jusqu'en 1800 assurant ainsi une certaine stabilité politique.

Profitant des problèmes que connaissent ses voisins européens (Révolutions française et américaine, guerres napoléoniennes...), tout en restant neutre, le pays connaît alors une période de prospérité grâce au commerce du sucre, du tabac et du coton.

La justice seigneuriale est abolie. Les titres de noblesse perdent de leur importance. L'administration est uniformisée sur le territoire. C'est la bourgeoisie qui prend son essor.

Les idées des Lumières pénètrent largement au Portugal avec la création de l'Académie des Sciences et le développement de la presse. Pourtant la censure menée par l'intendant de la police Pina Manique traque violemment les idées libérales.

En 1778, les frontières définitives du Brésil sont fixées par le traité de San Ildefonso.

Les invasions napoléoniennes

Article détaillé : Invasions françaises au Portugal.

Le pays ne peut rester définitivement neutre et, en 1793, il n'a d'autre choix que de rejoindre la coalition anti-française au côté de l'Angleterre et de l'Espagne.

Après la victoire française face aux Espagnols (1795), Napoléon décide de faire payer son choix au Portugal. En 1801, il encourage l'Espagne à envahir le pays : c'est la Guerre des Oranges. Vaincu, le Portugal signe le traité de Badajoz (1801) faisant d'Olivenza une ville espagnole. Après la défaite de Trafalgar, le Portugal est en outre sommé de fermer ses ports aux navires anglais. Deux choix s'offrent à lui : obéir et perdre son allié au risque de le voir s'emparer de ses colonies ou se voir envahi par la France ; perdre ses colonies ou perdre son indépendance. Jean VI essaye de gagner du temps mais un ultimatum est lancé en 1807. Un plan prévoit même le partage du pays (le traité de Fontainebleau).

Le 20 novembre 1807, les troupes françaises commandées par le général Junot traversent la frontière portugaise sans rencontrer de résistance et arrivent à Lisbonne le 30 novembre.

Cet épisode est décisif, puisque, la veille, la famille royale quitte le pays pour le Brésil ouvrant ainsi la voie à sa future indépendance : en effet, Rio de Janeiro devient la capitale de l'Empire (entre 1808 et 1822), le Portugal est ramené au statut de colonie. Le Brésil profite de cette situation pour se moderniser et se doter d'une structure politique et administrative. En 1810, il perd même son statut de colonie. C'est encore lui qui permet au Portugal de rester indépendant.

Bataille de Vimeiro

Une certaine résistance s'organise face à cette occupation. Dès juillet 1808, elle permet le débarquement des troupes anglaises de Wellington suivies des batailles de Roliça et Vimeiro qui obligent les Français à quitter le pays. Le pays passe cette fois sous tutelle anglaise puisque le général Beresford chargé d'organiser la défense se voit confier les pleins pouvoirs.

En 1809, une seconde invasion française menée par le maréchal Soult prend le nord du pays mais est aussitôt repoussée par la coalition anglo-portugaise.

Enfin, en 1810, une troisième invasion menée par Masséna et Ney à la tête d'une puissante armée est arrêtée lors de la bataille de Buçaco avant de devoir rebrousser chemin poursuivies par les troupes de Wellington. En octobre, elles quittent le Portugal avant d'être expulsées d'Espagne en 1814.

Malgré la victoire, ces guerres laissent le pays ruiné et dévasté. C'est la fin du Portugal comme puissance européenne et maritime. Le roi Jean VI envisage même de rester au Brésil.

La révolution libérale de 1820

William Carr Beresford

Au début du XIXe siècle, le Portugal vit une crise profonde, conséquence des invasions napoléoniennes : les batailles et les pillages français ont ruiné le pays et provoqué le départ de la famille royale pour le Brésil, prélude à son indépendance. Ainsi, l'ouverture des ports du Brésil au commerce mondial (1808), entraîne le transfert d'une partie de l'activité économique et provoque la ruine de nombreux commerçants portugais. Enfin, la domination anglaise sur le Portugal s'est accentuée. Vivant jusque là dans l'illusion de la grandeur passée, beaucoup envisagent une reprise des choses en main et des changements en profondeur, d'où le succès de l'idéologie libérale parmi la bourgeoisie. Dans les milieux populaires, par contre, elle reste toujours associée aux invasions étrangères. Néanmoins, tous s'accordent pour exiger le retour du roi et mettre fin à la tutelle anglaise.

Des conspirations sont déjouées dont celle menée par Gomes Freire de Andrade, membre du groupe maçonnique Regeneração, qui devient un martyr de la cause libérale. Un autre groupe, kle Sinédrio fondé en 1818, rassemble les mécontents de l'armée ainsi que des négociants de Porto[35].

Le 24 août 1820, à Porto, l'armée, avec le soutien de la bourgeoisie marchande, profite de l'absence de Beresford, se soulève et crée La Junte provisoire du gouvernement suprême du royaume avec Antonio da Silveira Pinto da Fonseca à sa tête. Son objectif immédiat est d'assurer l'intérim du pouvoir, de convoquer les Cortes pour doter le pays d'une constitution libérale mettant fin à l'absolutisme et restaurer l'exclusivité du commerce avec le Brésil.

Devant la résistance de la capitale, un deuxième soulèvement militaire a lieu à Lisbonne le 15 septembre et met en place un gouvernement provisoire. Le 28, la junte du nord s'unit à celle de Lisbonne. Cette révolte ne rencontre pas d'opposition. La régence anglaise est expulsée du pays.

Le 22 novembre 1820 ont lieu les élections de l'assemblée constituante. Très vite, les dissensions surgissent : les militaires veulent restaurer le régime alors que la bourgeoisie veut un véritable changement. Cette dernière l'emporte. Les députés élus représentent tous les territoires contrôlés par le Portugal (Brésil, Madère, Açores, dépendances africaines et asiatiques). Le gouvernement est formé par le comte Manuel António de Sampaio Melo. Cette période (août 1820-avril 1823), connue sous le nom de Vintisme, se caractérise par le radicalisme des solutions libérales et la domination des Cortes constituantes.

Le Vintisme et la crise brésilienne

Jean VI de Portugal
Pierre Ier du Brésil
Michel Ier de Portugal

Le point sur lequel on s'accorde est le statut de colonie du Brésil. Pour cela, le roi Jean VI doit revenir au Portugal, ce qu'exigent immédiatement les Cortes. Celui-ci obtempère mais nomme son fils, le prince Pierre, régent du Brésil. Cette décision déplaît aux Cortes, qui estiment que les souverains doivent résider au Portugal continental. Elles ordonnent au régent de quitter le Brésil et de poursuivre son éducation en Europe. Toutes ces exigences créent le mécontentement des 65 députés brésiliens qui quittent le pays pour le Brésil.

L'armée tente un moment d'infléchir le choix de la constitution dans un épisode sans lendemain, connu sous le nom de Martinhada le 11 novembre 1821, jour de la saint Martin.

Le 23 septembre 1822, les Cortes approuvent une constitution particulièrement progressiste. Inspirée de la Constitution française de 1791, elle consacre la division tripartite des pouvoirs (législatif, exécutif et judiciaire), et limite le rôle du roi à une simple fonction symbolique, donnant le pouvoir à un gouvernement et un parlement monocaméral élu au suffrage direct, qui mettent fin aux privilèges et à l'Inquisition et instaurent la liberté de la presse. Modelée par les libéraux et la bourgeoisie, cette constitution est trop progressiste et anticléricale pour avoir le soutien populaire[36].

Les Cortes craignent un moment que Jean VI ne regroupe autour de lui les conservateurs cherchant à faire échouer la révolution. Celui-ci signe pourtant la Constitution le 1er octobre 1822. En fait, ce sont la reine et leur fils Michel qui fédèrent la réaction anti-libérale.

Le 7 septembre 1822, le prince Pierre reçoit un nouveau message des Cortes le sommant de rentrer au Portugal et de se soumettre à eux et au roi. Avec les encouragements de José Bonifacio et de son épouse Marie Léopoldine d'Autriche, il déchire la lettre comminatoire en public en s'exclamant : « L'indépendance ou la mort! ». Cet acte, connu comme le « cri d'Ipiranga », marque la date de l'indépendance du Brésil. Ce coup porté au pays, qui s'ajoute à des réformes jugées trop innovantes, achève de rendre impopulaire le gouvernement libéral.

En mai 1823, l'opposition anti-libérale profite de cette situation délétère pour prendre les armes à Vila Franca de Xira et proclamer la restauration de l'absolutisme. Le prince Michel rejoint la Vilafrancada. Le roi essaye de trouver un compromis entre les Cortes libérales et les absolutistes. Un nouveau gouvernement est formé, Michel est nommé commandant en chef de l'armée. Mais les dissensions persistent.

En avril 1824, les partisans de Michel fomentent une nouvelle révolte, l'Abrilada sous prétexte de menaces d'assassinat de la famille royale. Jean VI, avec l'aide des Anglais, oblige Michel à se soumettre. Celui-ci quitte le pays. Cette fois, le gouvernement est aux mains des partisans d'un absolutisme modéré. Les libéraux fuient vers l'exil.

À la mort de Jean VI en 1826, l'héritier légitime, Pierre, est devenu empereur du Brésil : attendu au Portugal, il abdique de sa couronne portugaise en faveur de sa fille, Marie, alors âgée de 7 ans, à la condition qu'elle épouse Michel, son oncle, qui deviendrait alors régent. En attendant, l'infante Isabel Maria de Bragança, fille de Jean VI, assurerait la régence (1826-28).

Juste avant, Pierre IV promulgue une nouvelle constitution : la Charte constitutionnelle, copiée sur celle du Brésil qui se veut un compromis entre les absolutistes et les libéraux. Ces mesures très soudaines sont critiquées mais Marie finit par prêter serment à la Charte et par épouser Michel en 1828.

Retour de l'absolutisme

Article détaillé : Guerre civile portugaise.

Les esprits ne s'apaisent pas. Si les libéraux crient victoire et pour beaucoup rentrent d'exil, les absolutistes se sentent lésés. Ils ne reconnaissent que Michel, très populaire dans le pays. Celui-ci est agité par une quasi guerre civile lorsque Michel prête serment à la constitution. Autour de lui, on le pousse à se proclamer roi. Ce qu'il finit par faire en juillet 1828. Marie II fuit en Angleterre. Michel rejette aussitôt la constitution et dissout l'assemblée. Cet acte a pour conséquence d'obliger chacun à choisir entre deux camps, entre absolutisme et libéralisme.

Le duc de Palmela
Sà da Bandeira
Costa Cabral

Les libéraux se soulèvent mais la répression est violente. Une partie d'entre eux part en exil avec la reine. C'est une véritable guerre civile qui débute. Michel Ier gouverne de façon très autoritaire. Son gouvernement se révèle néanmoins aussi incompétent que les précédents. La situation économique est désastreuse.

Dès 1829, les libéraux contre-attaquent : ils s'unissent et débarquent aux Açores dirigés par le duc de Palmela, Pedro de Sousa Holstein. De là, ils préparent leur offensive et remportent une première bataille à Vila da Praia. Par ailleurs, Pierre Ier, inquiet de la situation au Portugal, contraint d'abdiquer en faveur de son fils, Pierre II (le 7 avril 1831), débarque aux Açores, avec le soutien des Français et des Anglais, afin de prendre la tête des libéraux et de rétablir sa fille sur le trône. Il se proclame régent du royaume et forme un gouvernement. Le 8 juillet 1832, ils débarquent près de Porto (« débarquement de Mindelo ») avec 7 500 hommes et 60 navires menés par le marquis de Vila-Flor, António Severim de Noronha. Les absolutistes contre-attaquent. Le roi et ses troupes se retrouvent assiégés dans la ville de Porto. La ville résiste héroïquement pendant plus d'un an. Cette guerre est inégale et meurtrière. Elle ne fait qu'accroître la crise et la dépendance envers l'étranger. La majorité du pays reste attachée à la monarchie, le parti libéral rassemblant surtout les milieux intellectuels.

La résistance de Porto joue pourtant un rôle fondamental dans l'adhésion de la population à la cause libérale. En juin 1833, une expédition, commandée par António Severim de Noronha, débarque dans le sud pour prendre les troupes absolutistes à revers. Ne rencontrant pas de résistance, elle prend Lisbonne le 24 juillet 1833 et forme un nouveau gouvernement. Michel se réfugie à Santarém dans le but d'assiéger Lisbonne. Ses tentatives échouent. Les batailles de Almoster et d'Asseiceira donnent la victoire aux troupes libérales en 1834.

Les généraux de Michel voyant leur cause perdue mettent fin à la guerre civile le 26 mai 1834 avec la signature des accords de Evora-Monte qui proclament une amnistie générale. Michel s'exile en Italie. Le mariage est annulé et Marie II rétablie sur le trône.

Chartisme contre septembrisme

Pierre II meurt en septembre 1834. Marie II monte sur le trône avec le duc de Palmela comme premier ministre. C'est un gouvernement conservateur qui inaugure cette monarchie constitutionnelle. D'ailleurs, jusqu'en 1850, la scène politique est dominée par des barons, des vicomtes et des parvenus de la grande bourgeoisie.

Si les absolutistes ont perdu la partie, les libéraux restent attachés à la monarchie. Ils sont pourtant divisés : d'un côté les chartistes au pouvoir, adeptes de la Charte de 1826 et d'une certaine autorité (les riches terriens, les commerçants...), de l'autre les septembristes, adeptes de la constitution de 1822 et d'une souveraineté nationale (les classes moyennes, les artisans, l'armée...).

La situation ne s'améliore pas pour autant : l'agriculture portugaise entre dans une crise qui se prolonge jusqu'en 1850. De nombreux paysans quittent leur terre rachetée à bas prix par des citadins sans que ces derniers les exploitent. L'expulsion des ordres religieux et la nationalisation de leurs biens en 1834 ne sont pas faits pour calmer les esprits.

Le 8 septembre 1836, une nouvelle révolution éclate menée en réaction par l'armée et les classes moyennes : la révolution septembriste. Le gouvernement démissionne. Le nouveau régime dominé par la figure de Manuel da Silva Passos proclame le retour de la constitution de 1822 et abolit la Charte. La reine convoque une assemblée constituante.

Malgré de nombreuses réformes et une forte diminution du déficit budgétaire, le gouvernement autoritaire devient impopulaire et l'instabilité politique continue. Les gouvernements se succèdent. La reine tente même un coup de force, jugeant le gouvernement trop libéral : l'évènement, connu sous le nom de Belenzada échoue (3 novembre 1836). Il est suivi par une autre révolte du même genre qui échoue également : la révolte des Maréchaux (12 juillet 1837).

En 1838, une nouvelle constitution de compromis est imposée aux Cortes par Sà da Bandeira sous la pression des septembristes (révolte de l'Arsenal, 9 mars 1838). Elle prône la séparation des pouvoirs, le bicamérisme et un droit de véto pour le roi.

Mais c'est Costa Cabral qui s'impose petit à petit comme l'homme providentiel. Le 27 janvier 1842, après un coup d'État pacifique, celui-ci proclame le retour de la Charte. Il n'y aura plus de gouvernement septembriste. Cabral dirige le gouvernement d'une main de fer avec le duc de Terceira. Cette période est marquée par de violentes répressions contre l'opposition et de nombreuses réformes accompagnées de grands travaux publics. On assiste au retour de l'ordre et du progrès économique.

L'opposition progressiste divisée peine à se faire entendre jusqu'à ce qu'une loi de 1846 déclenche une nouvelle guerre civile. Cette loi vise à interdire les enterrements dans les églises comme cela se faisait. En mars 1846, un premier soulèvement populaire mené par des femmes de Fontarcada, dans le nord du pays (Póvoa de Lanhoso) donne son nom à ce mouvement: la Révolte de Maria da Fonte. Il faut dire que les campagnes vivent déjà mal la modernisation à marche forcée du monde rural, ajoutée aux récentes réformes fiscales et du recrutement militaire. La révolte se propage rapidement au nord puis à tout le pays, appuyée par l'opposition. Les troupes de Cabral se heurtent à des guérillas qui l'obligent bientôt à démissionner (17 mai 1846).

Le duc de Palmela forme un nouveau gouvernement de coalition. Ce choix ne plaît pas à la reine qui cherche à rétablir Costa Cabral par la force : c'est l’Emboscada du 6 octobre 1846. Elle provoque aussitôt un nouveau soulèvement d'octobre 1846 à juin 1847 : la Patuleia rassemble aussi bien à droite (les absolutistes, les partisans de Michel...) qu'à gauche, les septembristes et les partisans d'une république. La monarchie menacée demande l'intervention de l'Angleterre, de la France et de l'Espagne. Cette fois, les rebelles déposent les armes lors de la convention de Gramido en juin 1847. Costa Cabral et Saldanha en sortent renforcés.

Régénération

Fontes Pereira de Melo
Louis Ier

Le 1er mai 1851, Costa Cabral est renversé par une révolte militaire et remplacé par Saldanha. Cette période de la monarchie constitutionnelle prend le nom de Régénération et voit le retour au premier plan de la bourgeoisie. Ce terme à la mode depuis 1817, désigne d'abord une loge maçonnique dont les membres influencent largement le mouvement libéral depuis son origine. Il est depuis dans tous les discours libéraux, et notamment ceux des intellectuels issus de l'université de Coimbra. Il exprime une volonté de redonner au pays tout son prestige et sa puissance en rattrapant le temps perdu.

Les forces s'équilibrent enfin notamment grâce à un acte additionnel à la Charte (1852) qui permet de réconcilier chartistes et septembristes et surtout de contourner les débats parlementaires sans fin. L'ordre revient. On peut dire que la monarchie entre dans une période plus calme et institutionnalisée.

Au niveau économique, le pays tente de s'adapter à l'indépendance du Brésil, en développant l'agriculture, l'industrie et le commerce. La stabilité politique permet des progrès à ce niveau. La politique de grands travaux initiée par Fontes Pereira de Melo, figure emblématique de cette longue période (on parle même de Fontismo) permet de développer les infrastructures du pays et de désenclaver certaines régions du pays: cela se traduit par le développement des voies ferrées, des ports et du télégraphe. L'école et l'administration sont réformées. Un nouveau code civil vient remplacer les Ordonnances philippines en 1867.

La reine meurt en 1853, remplacée momentanément par son mari Ferdinand II avant que Pierre V soit en âge de régner. Ce dernier meurt du typhus en 1861 et son frère Louis Ier lui succède.

Le rotativisme

Ces réformes modifient profondément le pays. Si l'état développe les infrastructures, il refuse d'intervenir dans l'économie: le nouveau code civil mettant fin à la propriété communale, les terres sont vendues et privatisées. Les surfaces cultivables augmentent, en parallèle avec la productivité. Dans ce système, les moyens et grands propriétaires sont privilégiés, au détriment des petits paysans qui consommaient ce qu'ils produisaient et profitaient jusque là gratuitement de terres pour leur bêtes. Si les salaires augmentent, de nouvelles dépenses apparaissent. À présent c'est la commercialisation de la production qui est privilégiée[37].

L'essor de la classe moyenne s'accompagne de celui de Lisbonne et Porto. Les constructions publiques laissent la place aux investissements privés. Le tourisme se développe. Mais, si la consommation augmente, elle se fait au profit des produits étrangers: ce commerce, à la base de la richesse, limite d'autant l'industrialisation du pays et la production nationale; celle-ci ne trouve de débouchés qu'en province et dans les colonies, augmentant d'autant la dépendance du pays. De nouvelles habitudes, de nouveaux mots apparaissent[38].

Par ailleurs, le fossé se creuse avec les plus démunis en même temps que leur ressentiment envers les plus riches. Pour les idées aussi, le pays s'ouvre à l'étranger. À Coimbra, de jeunes étudiants, que l'on regroupera sous le terme de Génération de 70, commencent à faire parler d'eux en remettant en cause l'ordre bourgeois, les institutions, le système politique ainsi que le poids de l'Église. Ces jeunes intellectuels cherchent à ouvrir le pays aux courants de pensées européens. Commençant par prendre des positions polémiques concernant la littérature nationale jugée rétrograde (la Question Coimbrã), ils organisent en 1871, à Lisbonne, une série de conférences qui resteront dans les mémoires comme les conférences du Casino: cherchant à rénover la vie politique et intellectuelle du pays, ils y débattent des problèmes du pays et des solutions inspirées par les idées nouvelles (la républicanisme, le socialisme, le communisme...).

Ces changements et les crises qui en découlent provoquent une vague de migration, vers les villes d'abord, qui ne peuvent l'absorber entièrement; elle se tourne alors vers le Brésil qui manque de main-d'œuvre depuis l'abolition de l'esclavage en 1888 (le Portugal l'a interdit sur son territoire et dans ses colonies le 23 février 1869, alors que son commerce l'était depuis 1836). Jamais le Brésil ne rapporte autant d'argent au Portugal. Mais encore une fois cette richesse est trompeuse: le pays consomme beaucoup, produit peu et les émigrés paient la différence[39].

Les réformes fiscales et le nouveau découpage administratif provoquent des agitations à Porto et Lisbonne qui finissent par renverser le gouvernement le 1er janvier 1868: la Janeirinha. Le nouveau gouvernement de droite réformiste revient sur les réformes problèmatiques. Cela amène à la création d'un nouveau parti: le Parti réformiste.

Ce nouvel échiquier politique inaugure une nouvelle période, qui dure pratiquement jusqu'à la proclamation de la République, qui se caractérise par l'alternance des deux grands partis politiques au pouvoir: le Parti Régénérateur (plutôt conservateur, mené par Saldanha et Fontes Pereira de Melo et qui domine la vie politique) et le Parti Historique (de Sà da Bandeira). Cette alternance est appelée le « Rotativisme », terme d'inspiration britannique.

L'essor des idées venues de France et d'Angleterre est à l'origine de nouveaux partis: le Parti républicain en 1876, pour qui la renaissance nationale passe obligatoirement par la fin de la monarchie; le Parti socialiste, en 1873, qui défend lui, une collaboration avec le régime en échange de mesures sociales.

Pour les contestataires, chaque occasion est bonne pour glorifier les figures du passé. C'est le cas en 1880, avec la commémoration de la mort de Camões, organisée par les républicains. Ces derniers se présentent comme les seuls capables de rendre leur dignité aux Portugais. Cette fête populaire leur amène un grand prestige. En 1882, la commémoration de la mort du marquis de Pombal est prétexte à l'exacerbation du sentiment anticlérical et se transforme en manifestation anti-royaliste.

À partir de 1876, l'alternance s'effectue entre le Parti régénérateur et le Parti progressiste qui se disputent les voix des classes populaires avec le Parti républicain et le Parti socialiste.

L'ultimatum anglais et ses conséquences

À la mort de Louis Ier, en 1889, son fils Charles Ier monte sur le trône. La contestation contre la monarchie s'amplifie avec ce roi impopulaire et s'affiche au moindre prétexte.

Depuis la perte du Brésil, le Portugal s'est tourné vers l'Afrique et lance des expéditions à travers le continent (notamment celles de Roberto Ivens et d'Hermenegildo Capelo). Le pays doit faire face à la vague expansionniste des autres pays européens sur ce continent. Le 11 janvier 1890, un ultimatum anglais exige sous un motif fallacieux que le Portugal retire ses troupes postées entre le Mozambique et l'Angola. Le Portugal ne cache en effet pas son objectif de réunir les deux colonies en annexant les territoires situés entre les deux. Ce projet est resté connu par la désignation de mapa cor-de-rosa (carte rose)[40]. Or, ce projet s'oppose aux plans anglais qui eux cherchent à réunir Le Cap et Le Caire.

La carte rose

Le gouvernement est obligé de céder, provoquant une vague d'indignation contre l'Angleterre et contre la monarchie. Des émeutes éclatent face à cette humiliation nationale. Une première révolte républicaine échoue début 1891. C'est à cette occasion qu'est composé l'hymne national portugais[41]. On appelle au boycott des produits anglais. Une souscription publique est même organisée pour doter le pays d'un croiseur. Le Parti républicain capitalise sur ce mécontentement qui enfle et finira par renverser la monarchie. Le mécontentement a également une conséquence sur la conscience collective portugaise : elle marque ici son attachement à la nation et à son empire colonial, attachement dont on observe les conséquences tout au long du XXe siècle.

La méfiance et le pessimisme aggrave la crise économique qui débute. L'instabilité politique domine avant que les gouvernements de José Dias Ferreira et de Ribeiro, alternant jusqu'en 1906, ne rétablissent le calme et le rotativisme. Mais la frustration de la bourgeoisie vient remplir les rangs du Parti républicain. Les deux partis qui se succèdent au pouvoir, Régénérateurs et Progressistes, sont discrédités. Les dissensions apparaissent en leur sein-même.

En 1901, une loi vient autoriser les congrégations ayant un but éducatif. Cela va permettre le retour des ordres religieux qui avaient été expulsés du pays en 1834. Cette décision joue un grand rôle dans l'évolution politique du pays au XXe siècle. En 1903, est créé le Parti nationaliste d'inspiration catholique.

João Franco

En 1901, João Franco quitte le Parti Régénérateur et forme son propre parti : le Parti Régénérateur Libéral, adepte de la monarchie, de l'interventionnisme et d'un socialisme d'état. En 1906, la crise atteint son apogée : les obstructions sont systématiques, les réunions des Cortes sont agitées, aucune réforme n'avance. C'est alors que le parti de João Franco s'unit au Parti Progressiste pour dénoncer la corruption de ce système et mettre fin au rotativisme.

Le 19 mars 1906, il forme un gouvernement de coalition avec le Parti Progressiste. Mais, dès le 10 mai 1907, soutenu par Charles Ier, il organise un coup d'État. La coalition est annulée, les Cortes dissoutes et une dictature est instaurée avec l'objectif de renforcer le pouvoir royal. Mais les mesures arbitraires, la violence de la répression unissent toute l'opposition contre lui. Divers scandales finissent par discréditer totalement le régime.

Le 28 janvier 1908, une tentative d'attentat contre João Franco pousse le roi à décréter l'interdiction de l'opposition franquiste. Un climat de terreur règne. Aucune mesure spéciale n'est prise pour le retour du roi à Lisbonne. Le 1er février, celui-ci est assassiné par Manuel Buiça et Alfredo Costa. Rendu coupable de la situation, João Franco est poussé vers l'exil.

Manuel II, succède à son père à l'âge de 19 ans et nomme un gouvernement de coalition présidé par Francisco Joaquim Ferreira do Amaral. Celui-ci tente de ramener le calme mais le discrédit du régime est total. Il est clair que la résolution de tous les maux passe par la fin de la monarchie. Six gouvernements se succèdent en deux ans. Si les républicains savent profiter de la situation, ils restent minoritaires dans le pays.

En juin 1910, les régénérateurs prennent le pouvoir et dissolvent le parlement.

La 1re République

Le coup de force

Les constitutions libérales échouent à s'imposer : le peuple dépolitisé ne voit dans cette période qu'agitation et débats parlementaires stériles, débats qui ne concernent qu'une partie de la bourgeoisie se mettant d'accord pour se partager le pouvoir. Le pays vit une crise économique et morale.

Les républicains, porteurs de l'espoir de régénérer le pays, de lui redonner sa fierté perdue et d'en finir avec ces batailles, s'engagent dans la préparation d'une action de force dès 1909.

Le 3 octobre 1910, les garnisons de Lisbonne sont en alerte. C'est l'assassinat de Miguel Bombarda, républicain influent qui est l'élément déclencheur. Les chefs militaires républicains tentent de s'emparer du palais et des garnisons. Les choses ne se déroulent pas comme prévu et les insurgés pensent un moment avoir perdu la partie alors que les différents groupes se trouvent isolés. Ce n'est que le 5, devant le soutien populaire à la rébellion, que les troupes du roi déposent les armes.

La république est proclamée par José Relvas et Eusébio Leão, au balcon de la mairie de Lisbonne. Un gouvernement provisoire est nommé jusqu'au vote d'une nouvelle constitution. La famille royale s'enfuit. Teófilo Braga est nommé président du gouvernement provisoire.

Cet événement ouvre un précédent : dès lors, il est légitime pour une minorité de renverser un état de droit. Le peuple ne joue aucun rôle actif dans ces choix. Les hommes du mouvement sont tous issus de l'élite des grandes villes et sont membres de la franc-maçonnerie qui a joué un grand rôle dans cette victoire.

Les réformes

Manuel José de Arriaga

Même si la république échoue à ramener le calme et à sortir le pays de la crise, elle est à l'origine de profondes réformes. Les premières visent à rétablir l'ordre et à marquer la rupture avec le passé par des actes symboliques forts.

Dès les premiers mois est accordée une amnistie générale pour les crimes contre la sécurité de l'État. Un nouveau drapeau et un nouvel hymne national sont créés. L'armée est réorganisée et Garde nationale républicaine (GNR) est créée.

La république tente de réorganiser l'état, instaurant une certaine décentralisation et une certaine autonomie pour les colonies. Le registre civil est systématisé.

La réforme fiscale permet de soulager les plus pauvres. Les tentatives pour résoudre le déficit budgétaire hérité de la monarchie commencent même à porter leur fruits avant que la guerre remette tout en cause. En 1911, le pays se dote d'une nouvelle monnaie (l'escudo) valable sur tous les territoires portugais, à l'exception de l'Inde.

La politique agricole cherche à augmenter la surface cultivable mais le Portugal connaît tout de même la famine durant la guerre.

L'enseignement est réformé : la formation des enseignants est améliorée, la scolarité est rendue obligatoire de 7 à 10 ans. L'orthographe est simplifiée. L'assistance publique et la protection de l'enfance se développent. Les universités de Lisbonne et de Porto sont créées.

Les ouvriers, encore peu nombreux, s'organisent et demandent de meilleurs conditions de vie : le droit de grève est reconnu, une loi sur les accidents du travail est votée, le jour de repos hebdomadaire est instauré. En 1912, le pays connaît pourtant sa première grève générale.

Mais la politique de laïcisation qu'elle conduit lui met à dos l'Église et une population restée majoritairement catholique. En 1910, les congrégations éducatives religieuses sont à nouveau expulsées , l'enseignement religieux interdit, les biens de l'Église nationalisés au profit de l'assistance publique, le mariage civil instauré et le divorce légalisé. En 1911, la séparation de l'Église et de l'État est proclamée.

Enfin, le 21 août 1911, la nouvelle constitution est adoptée. Manuel de Arriaga devient président et nomme João Chagas chef du gouvernement.

Ces changements se reflètent dans la vie culturelle particulièrement riche de l'époque (Fernando Pessoa, la revue Orpheu, Almada Negreiros, Mário de Sá-Carneiro...). Le cinéma connaît un grand succès dès ses débuts.

Les divisions

Afonso Costa

Les divisions surgissent d'abord entre les vainqueurs eux-mêmes ; unis pour renverser la monarchie, ils se découvrent divisés sur la politique à suivre. Dès 1911, le Parti républicain se scinde en trois: le Parti démocratique d'Afonso Costa prônant des mesures radicales rapides, le Parti évolutionniste d'António José de Almeida et le Parti unioniste de Brito Camacho plutôt conciliant et modéré.

Naissent alors de nouveaux débats stériles ; les controverses renversent les gouvernements et plongent le pays dans l'anarchie, condamnant le régime. Pas moins de huit présidents et une cinquantaine de gouvernements se succédent en 16 ans. Cette agitation contraste avec l'apathie des masses populaires. Les espoirs mis dans la république s'évaporent.

Les conflits sociaux se succèdent : alors que les partisans les plus radicaux du régime lui reprochent un manque de préoccupations sociales et syndicales, l'anticléricalisme du régime est devenu un défaut qui fait le succès des milieux conservateurs.

Il faut dire que de nombreux mouvements catholiques sont nés depuis le début du siècle en réaction aux politiques anticléricales (l'Intégralisme lusitanien, le Centre académique de la Démocratie chrétienne (CADC) créé par un certain Salazar, le Centre catholique portugais...). Leur action est d'autant plus efficace qu'elle rencontre le soutien des couches populaires. Beaucoup de ces groupes rejettent la démocratie, la république, le parlementarisme et le libéralisme, au profit d'un régime fort. Ils profitent de la guerre et de la colonisation de l'Afrique qui permet un retour des congrégations, l'urgence étant de faire face à la concurrence des missions protestantes étrangères. Enfin, les apparitions de Fátima en 1917 sont à mettre au compte de ce combat contre la laïcisation du pays.

Certains de ces groupes se joignent aux partis monarchistes (le Parti Légitimiste) pour réclamer le retour du roi sur le trône. Les partisans de Manuel II d'abord puis des descendants de Michel Ier lancent des expéditions depuis l'Espagne (en 1912 puis en 1915).

La guerre et ses conséquences

Sidónio Pais

Devant les difficultés, le 1er janvier 1915, le président Manuel de Arriaga, nomme un militaire, le général Pimenta de Castro, chef de gouvernement. Face à l'agitation, celui-ci reporte les élections et interrompt les travaux de l'assemblée. L'opposition est d'abord séduite mais les démocrates et les francs-maçons vont s'opposer violemment jusqu'à mettre fin à cette dictature de fait, cinq mois plus tard.

Si la République entre en guerre malgré son pacifisme c'est entre autres pour protéger le reste de son empire colonial. Il s'agit aussi de se démarquer de l'Espagne alliée des Allemands. Il faut dire que les monarchistes et les cléricaux sont davantage attirés par ces derniers pays que par une France laïque ou une Grande-Bretagne anglicane qui lorgne sur les colonies portugaises. Ce sera pourtant à la demande de ce dernier pays que le Portugal s'empare des 36 navires allemands mouillant dans ses eaux, amenant Berlin à lui déclarer la guerre en mars 1916.

Un gouvernement d'union sacrée est nommé, mais l'effort de guerre aggrave la crise économique et le désordre pour porter au pouvoir un dictateur : le 5 décembre 1917, un coup d'État place Sidónio Pais à la tête du pays. Il instaure une Nouvelle République : l'assemblée est dissoute, le pouvoir du président renforcé (il doit même être élu au suffrage universel), les liens avec le Vatican renoués, les opposants poursuivis et la presse censurée. C'est le triomphe des germanophiles, opposés à l'intervention portugaise, et de la droite monarchiste et catholique, adeptes d'un régime fort.

C'est dans cette ambiance que le Corps Expéditionnaire Portugais (CEP), composé de 45 000 hommes, préparé par José Norton de Matos est envoyé en France. D'autres troupes sont envoyées en Angola et au Mozambique. Le CEP commandé par Gomes da Costa, est gravement défait lors de la bataille de la Lys le 9 avril 1918. Sidónio Pais refuse d'envoyer des renforts dans les Flandres.

Le Portugal a tout de même gagné sa place au côté des Alliés durant les négociations des traités de paix, ce qui lui permet d'obtenir des indemnités de l'Allemagne et une reconnaissance de ses possessions africaines.

Avec la fin de la guerre, le pays se retrouve au bord de la faillite. La nouvelle du nombre de morts, le rationnement, l'épidémie de grippe espagnole, la répression, aggravent l'agitation sociale et renforcent le pouvoir des monarchistes et des réactionnaires. C'est dans ce climat que Sidónio Pais est assassiné le 14 décembre 1918.

La classe ouvrière s'est renforcée avec la création de syndicats. En 1921, est créé le Parti communiste portugais (PCP). Des groupes anarchistes et nihilistes font peser un climat de terreur sur le pays. L'émigration vers le Brésil apparaît comme une porte de sortie et permet d'équilibrer la balance commerciale. Tout cela ajouté aux divisions politiques fait que, jusqu'en 1926, l'histoire de la république ne sera plus qu'une suite de coups d'états manqués, de mutineries et de crises gouvernementales.

Face à l'agitation, des juntes militaires se forment pour rétablir le calme. La nomination du nouveau gouvernement déclenche une réaction des monarchistes : des juntes militaires se forment au Nord et au Sud. Elles en appellent à un régime fort contre le retour de la « vieille république » née de la constitution de 1911. Le 19 janvier 1919, sous l'influence du groupe Integralismo Lusitano, elles proclament le rétablissement de la monarchie à Porto et à Lisbonne. Le mouvement dirigé par Paiva Couceiro, se répand dans le nord du pays : la « Monarchie du Nord » fonctionne un moment comme un territoire indépendant. Le 22 janvier, les juntes de Lisbonne se soulèvent mais sont encerclées par les troupes républicaines dès le 24. Celles-ci entrent dans Porto le 13 février et rétablissent la République dans tout le pays.

Le nouveau gouvernement tente d'imposer le calme en renforçant les pouvoirs de la police (GNR). Cela ne fait que créer un nouveau facteur de déstabilisation du régime : les ministères tombent les uns après les autres. Le chef de la GNR est bientôt condamné pour corruption. On menace de désarmer cette police devenue trop puissante.

Alors que les conservateurs remportent les élections, dans la nuit du 19 octobre 1921, a lieu la noite sangrenta (la « nuit sanglante ») : la révolte est menée par le colonel Manuel Maria Coelho, Camilo de Oliveira et Cortês dos Santos, officiers de la GNR et du capitaine de frégate Procópio de Freitas. Plusieurs personnalités républicaines sont assassinées dont António Granjo, chef du gouvernement, Machado Santos et José Carlos da Maia. Règlement de comptes ou volonté d'aggraver le désordre, le fait est que le gouvernement démissionne. Les rebelles sont discrédités et la GNR désarmée.

Le 27 novembre 1921, le Parti démocrate et le Parti libéral s'entendent sur un programme d'assainissement des finances et de retour à l'ordre public. Bien que les désaccords et les tentatives de coup d'État se poursuivent, les événements ont mis en évidence le besoin d'un régime fort inspiré du modèle italien. Le groupe Integralismo Lusitano inspiré des thèses de Charles Maurras voit son influence augmenter. Opposé à lui, le groupe Seara Nova tente de son côté de proposer des réformes pour le pays. Pourtant, tout deux s'accordent là-dessus. Même les milieux ouvriers finissent par se lasser des appels à la grève.

L'armée et ses officiers auréolés du prestige de la guerre sont amenés de plus en plus souvent à intervenir dans la vie politique du pays et semblent les plus à même d'instaurer ce régime fort. En avril 1925, des militaires tentent déjà de prendre le pouvoir inspirés par la dictature militaire de Primo de Rivera en Espagne.

La dictature

La dictature militaire

Le général Gomes da Costa

Le 28 mai 1926, un coup d'État militaire dirigé par le général Gomes da Costa met fin à la République. Ce geste est d'abord un mouvement de révolte contre la corruption et la dégradation de la vie politique, maux associés au parlementarisme. Il n'est pourtant pas étranger aux idéologies fascistes venues d'Italie, d'Espagne et des associations catholiques (Intégralisme Lusitanien, le CADC de Salazar...). Ainsi, le régime hésite longtemps sur la voie à suivre : les monarchistes espèrent un moment le retour du roi avant que celui-ci ne meure en 1932. La République survit donc sous une forme autoritaire. Mais elle va lentement évoluer.

Le pouvoir reste d'abord aux mains des militaires : il est confié à Mendes Cabeçadas bientôt renversé par Gomes da Costa (17 juin), lui-même renversé par le général monarchiste João José Sinel de Cordes (9 juillet). Il nomme Óscar Carmona à la présidence. Jusqu'en 1928, les dirigeants tentent de rétablir les finances sans y parvenir suscitant de nouveaux mécontentements et des mouvements sociaux, qui à leur tour renforcent l'autoritarisme et la répression. Le Portugal doit même se résoudre à demander l'aide de la Société des Nations.

Cette éventualité est vécue comme une humiliation. Des révoltes éclatent ; l'échec de celle menée par les républicains en février 1927 les pousse à l'exil. Le climat s'apaise momentanément.

Le 27 avril 1928, un nouveau gouvernement d'ouverture est nommé par Carmona, avec, pour la première fois, un certain António de Oliveira Salazar au poste de ministre des Finances. Considéré comme l'homme de la situation depuis la publication de son plan pour rétablir l'équilibre budgétaire, il accepte le poste à la condition d'avoir un droit de regard sur toutes les dépenses publiques. Il contrôle ainsi, de fait, toutes les initiatives ministérielles. Néanmoins, dès 1929, l'équilibre budgétaire est atteint et sera maintenu jusqu'à la guerre.

L’Estado Novo de Salazar

Antonio de Oliveira Salazar

Salazar impose petit à petit son autorité sur le gouvernement jusqu'à détenir entre ses seules mains la destinée du Portugal pour les quatre décennies suivantes.

Ancien professeur d'économie à l'université de Coimbra, issu des milieux catholiques conservateurs, sa pensée politique est un compromis entre les divers courants de droite : rejet du communisme, du libéralisme politique et économique, foi dans un État fort et autoritaire. Il est profondément conservateur, nationaliste, un nationalisme qui génère une méfiance envers toute influence étrangère et alimente une nostalgie pour le milieu rural, considéré comme idéal. Il a le soutien des milieux financiers, des grands patrons, de l'Église, de l'Armée et des monarchistes.

Il crée son propre parti en 1930 : l'Union nationale. Puis, en 1932, lors de discours qui ne concernent plus seulement la finance, il pose les principes du régime politique qu'il veut instaurer : antiparlementarisme, parti unique et système régulateur de l'économie (le conditionnalisme économique). La même année, il est nommé président du Conseil tout en conservant le portefeuille des Finances.

En 1933, la nouvelle constitution portugaise, l’Estado Novo, entre en vigueur. De teneur présidentielle, elle admet l'existence d'une Assemblée nationale et d'une Chambre Corporative composée par des éléments liés à des corps de métiers. Dans la pratique, le président est une figure inconsistante, l'Assemblée nationale est occupée par des partisans du régime et le pouvoir est concentré entre les mains de Salazar.

Les syndicats et les anciens partis politiques disparaissent, à l'exception du Parti communiste portugais (fondé en 1921), qui passe dans la clandestinité et dont les dirigeants sont durement persécutés par la police politique (appelée d'abord la PVDE, puis la PIDE). La censure, rétablie en 1926, est renforcée et les grèves interdites. En 1936, sont créés la « Légion portugaise » et la « Jeunesse Portugaise », dont le but est d'encadrer la population et d'inculquer aux jeunes du pays les idées du régime. Salazar apporte son soutien à Franco avec l'intervention des Viriatos aux côtés des troupes franquistes.

En 1940, un concordat signé avec l'Église lui restitue ses biens et renoue les liens avec le Vatican.

Jusqu'en 1937, divers mouvements essaient de renverser le régime sans y parvenir : Salazar échappe à un attentat le 4 juillet 1937. Son pouvoir augmente et il finit par gouverner seul, se considérant comme le « guide de la nation ».

Pendant la Seconde Guerre mondiale, le Portugal reste neutre : tout en se rapprochant de l'Allemagne et de l'Espagne (avec la signature du traité d'amitié et de non-agression ou Pacte Ibérique de 1939) afin de mieux échapper à la tutelle anglaise, il vend des matières premières qui servent à la construction du matériel de guerre et assurent une certaine prospérité au pays. En 1943, il cède aux Alliés une base militaire aux Açores. Le régime vit son apogée : les 800 ans du pays et les 300 ans de la restauration donnent lieu à des célébrations grandioses visant à glorifier le passé.

La fin de la guerre laisse penser que le pays va suivre le mouvement de libération qui souffle sur l'Europe. Mais ce n'est que sous la pression que le régime s'assouplit légèrement : lors des élections de 1945, les groupes politiques sont autorisés même s'ils restent peu audibles. La censure se fait moins forte. Le pays connaît une grande effervescence politique qui révèle un mécontentement général. Le parti unique ne doit finalement sa victoire qu'au retrait de l'opposition. Ces élections permettent surtout à la PIDE de repérer les opposants. Dès lors, le régime et la répression se durcissent.

Les élections suivantes, sur le même modèle, permettent également de donner le change à l'étranger. Celles de 1949 voient l’opposition s'unir autour de José Norton de Matos. Sa campagne vigoureuse, pendant laquelle il dénonce la répression et la censure, fait trembler le régime sur ses bases. Mais une fois encore, la loi électorale oblige Norton de Matos à se retirer. L'opposition ne retrouvera pas de sitôt une telle union. Surtout que pour les États-Unis, le régime apparaît bientôt comme un rempart au communisme. En 1949, le Portugal entre dans l'OTAN et en 1955 à l'ONU.

Sa politique coloniale suscite bien quelques critiques à l'étranger qui l'amène à changer la constitution, à créer un statut des indigènes. On parle désormais de « provinces d'outre-mer ».

À la mort de Carmona, le candidat de Salazar, Francisco Craveiro Lopes, est élu président sans difficulté en 1951. Le régime engage une grande politique de travaux publics, avec des hausses de salaire ; dans le même temps, la répression se durcit à mesure que Salazar s'isole : arrestations arbitraires, tortures...

En 1958, le régime vit une nouvelle crise: les critiques surgissent cette fois de la nouvelle génération issue de son camp. Pour les élections, Craveiro Lopes est même écarté au profit d'Américo Tomás et l’opposition s'unit autour d’Humberto Delgado qui semble un moment en mesure de les emporter. Le fonctionnement du scrutin ne lui laisse aucune chance. Après les élections, il est obligé de se réfugier au Brésil.

Humberto Delgado

L'agitation ne cesse pas. Dans les années 1960, le Portugal connaît une forte vague d'émigration. Une émigration qui change de nature : ce ne sont plus des colons partant pour l'Afrique, des aventuriers partant faire fortune au Brésil ou des opposants politiques. Cette fois les destinations principales des Portugais à la recherche de meilleurs conditions de vie, sont la France et l'Allemagne de l'Ouest. Le régime essaie de freiner cette émigration, qui fragilise une économie reposant en grande partie sur une main d'œuvre bon marché. D'un autre côté, la source de devises qu'elle représente pour le pays oblige le régime a adopter une position ambigüe.

Les contestations viennent bientôt de milieux proches du pouvoir: en janvier 1961, des exilés politiques, menés par Henrique Galvão et Humberto Delgado, capturent le paquebot Santa Maria. Le 10 novembre 1961, le détournement d'un avion entre Casablanca et Lisbonne, l'opération Vagô, sert à distribuer des pamphlets anti-salazaristes. C'est la première action de ce genre dans le monde. La même année, le ministre de la Défense, Botelho Moniz, tente un coup d'État. L'occasion lui est offerte par le massacre de colons portugais en Angola, le 15 mars 1961. Cet événement va marquer le début des Guerres coloniales portugaises, en Angola, en Guinée et au Mozambique. Tandis que les pressions internationales poussent le pays à entamer une décolonisation, les partisans d'une solution pacifique se voient écartés par Salazar et l'opinion publique portugaise pour qui cette solution est tout simplement impensable.

Les mouvements indépendantistes se propagent dans les colonies portugaises : le 19 décembre 1961, les troupes indiennes envahissent les territoires portugais de Goa, Daman et Diu (Opération Vijay). L'affaire est vécue comme une tragédie nationale : l'empire et la grandeur du pays sont menacés.

La métropole réagit en portant à deux ans la durée du service militaire dans les territoires d'outre-mer. Salazar tente de faire taire les critiques internationales en autorisant les investissements étrangers dans le pays et les colonies et en développant l'enseignement dans les colonies. En même temps, il encourage l'émigration vers les colonies afin d'augmenter la présence portugaise. Les colonies assurent des débouchés à l'industrie portugaise mais accentuent d'autant la dépendance de la métropole.

En 1962, un mouvement étudiant parti de Lisbonne secoue fortement le pays. Le recteur de l'université de Coimbra, Marcelo Caetano, acquiert une certaine popularité en dénonçant l'atteinte à l'autonomie des universités. La répression est forte mais les facultés deviennent des foyers d'opposition.

Cette fin de règne marquée par la contestation interne et internationale coïncide avec les problèmes de sénilité de Salazar. La division règne dans le parti, la censure et la PIDE contrôlent tout. La répression est très forte.

En 1965, Humberto Delgado est assassiné. La responsabilité du régime ne fait aucun doute[42]. En 1968, c'est Mário Soares qui est déporté à São Tomé.

L'ouverture marceliste

Marcelo Caetano

En 1968, après une chute, Salazar est victime d'un hématome cérébral et semble condamné. Le président nomme Marcelo Caetano à la tête du gouvernement (23 septembre 1968). Celui-ci a le soutien des courants réformistes du régime. L'attente est grande et Caetano est conscient du besoin de changement. Mais, surveillé par les milieux conservateurs, malgré quelques concessions à l'opposition, il n'ose pas entamer les réformes de fond : sur le plan des libertés, il supprime les pleins pouvoirs de la PIDE, modère la censure, autorise les réunions de l'opposition ; sur le plan économique, il se tourne vers l'Europe et ouvre le pays aux investissements étrangers. Il s'engage même vers une autonomie des colonies. Mais ces tentatives de moderniser le pays s'accordent mal avec la poursuite de la guerre coloniale. Le régime ne change pas, le gouvernement non plus et les troupes continuent d'être envoyées en Afrique[43]. Cela provoque une nouvelle vague d'émigration.

Même si l'opposition est présente lors des élections de 1969, le fonctionnement des élections ne lui laisse aucune chance d'être représentée. L'abstention est très forte. Des dissensions surgissent au sein du parti majoritaire. Dans ce système, la contestation efficace ne peut venir que des proches du régime : ce n'est donc pas un hasard si les militaires qui ont instauré ce régime seront aussi les premiers à véritablement le remettre en cause. Directement impliqués en Afrique, ils se rendent bien compte que l'obstination absurde de ce régime, à contre-courant de l'histoire, pour sauvegarder les restes d'un Empire met en péril des vies humaines et l'économie nationale. Pour eux, la solution à ce conflit est forcément politique.

La contestation vient également des milieux les plus éduqués : les grèves étudiantes entre 1968 et 1970 sont d'une grande ampleur.

La situation du pays s'aggrave encore en 1972 et 1973 : le pays est touché par la crise mondiale. Le prestige de l'armée est mis à mal par les guérillas indépendantistes africaines. Certains officiers supérieurs soupçonnent même le régime de vouloir jouer le pourrissement du conflit pour leur faire porter le chapeau de la défaite. Le mal-être de l'armée augmente. Des milieux catholiques surgissent des voix discordantes. Si la répression politique et la censure touchent surtout les milieux intellectuels, la guerre finit par toucher toutes les familles. Le mécontentement augmente.

En juillet 1973, deux décrets visant à faciliter l'avancement au sein de l'armée afin de parer au déficit de candidats provoque la colère de certains capitaines. Cette colère donne naissance à un mouvement de contestation, d'abord corporatiste mais qui se politise : le Mouvement des Forces Armées (MFA)[44].

En 1974, les choses se précipitent avec la sortie d'un livre : le prestigieux gouverneur de Guinée, António de Spínola, grand militaire, jusque là proche du régime et ne pouvant être soupçonné de lâcheté, remet en question les choix stratégiques en Afrique sans pourtant appeler à la fin du régime. Il démissionne de son poste en septembre 1973. La publication de son livre Portugal e o Futuro (Le Portugal et son avenir) fait grand bruit. Ses prises de positions font tomber un tabou et ouvrent la voie à d'autres. Il est bientôt démis de ses fonctions.

Le MFA se réunit à plusieurs reprises ; les réunions sont houleuses car les officiers se divisent sur la voie à suivre: le coup d'État ou la voie légaliste? Cette dernière reste majoritaire. Costa Gomes et Spínola sont d'ailleurs choisis comme chefs du mouvement. Une commission est chargée d'élaborer un programme politique[44].

Une première tentative de coup d'État à Caldas da Rainha échoue le 16 mars 1974. Il est difficile de savoir qui prend l'initiative de cette action. Ce qui est certain c'est que la voie légale est oubliée. Le vote du programme politique du MFA rassure ceux qui craignaient le retour d'une dictature militaire. Deux jours auparavant, Caetano reçoit les officiers des forces armées afin de s'assurer de leur soutien : l'absence de Spínola et de Costa Gomes atteste de la condamnation du régime. Le retrait des décrets polémiques n'a pas ramené le calme dans les troupes[44].

La révolution des Œillets

Article détaillé : Révolution des Œillets.
Hommage au 25 avril 1974

Le 25 avril 1974, au petit matin, le régime salazariste est renversé par un coup d'État militaire. Arrivé à bout, sans soutien, il ne résiste pas longtemps. Tout le monde est surpris par le soutien populaire qui légitime cette action. Marcelo Caetano se rend à la condition de transmettre le pouvoir à un officier. Il remet sa démission à 18 heures au général António de Spínola.

Le pouvoir est confié à la Junte de salut national qui doit gouverner jusqu’à la constitution d’un gouvernement provisoire. Les membres sont choisis parmi les différents corps de l’Armée. Ils sont choisis pour leur prestige et n'adhèrent pas forcément au programme du MFA.

Les premiers moments d'euphorie générale qui culmine lors de la célébration du 1er mai, voient la libération des prisonniers politiques, le retour triomphal des opposants exilés (Mario Soares du Parti socialiste et Alvaro Cunhal du Parti communiste) et la fin de la censure.

Mais le ver est dans le fruit. L'objectif commun des protagonistes - en finir avec ce régime et la guerre - ne suffit plus à préserver leur unité. Les divisions sont profondes en ce qui concerne la voie à suivre. D'un côté, on trouve le MFA (Mouvement des forces armées), regroupant les jeunes officiers à l'origine du coup d'État, dont Otelo Saraiva de Carvalho ou Salgueiro Maia. Leur programme prône un changement radical, très à gauche, que l'on peut résumer par le triptyque "démocratiser, décoloniser, développer". De l'autre, un vieux général qui assume la présidence de la république. Il représente la légitimité du mouvement et rassure les milieux conservateurs qui craignent les débordements populaires. Lui, défend un retour à la normale progressif basé sur les anciennes institutions. Il préconise aussi d'unir les colonies africaines dans une fédération portugaise à l'image du Commonwealth[45]. Le conflit est inéluctable.

Cette divergence sur la voie à suivre est à l'origine d'une période de grande agitation politique de deux ans, communément appelée PREC (Processus révolutionnaire en cours) et marquée par une vague d'attentats.

Le 25 avril au soir, le général cherche à remettre en cause l'idée d'autodétermination immédiate pour les colonies et le programme économique du MFA. Celui-ci le prend de vitesse en divulguant son programme dans la presse afin d'obtenir le soutien populaire et d'empêcher toute remise en cause de ce plan : celui-ci propose d'instaurer une démocratie dans laquelle les militaires doivent céder la place aux partis politiques[44]. Cela rassure le pays et assure dès lors un soutien populaire au MFA.

Dès lors, on craint une réaction de la droite militaire. L’indiscipline règne dans l’Armée et toute la hiérarchie militaire en est bouleversée. Une course s'engage entre le MFA et le général pour imposer ses vues auprès de la population. Le pays connaît une véritable explosion sociale : manifestations, grèves, occupation d'usines.

Le 16 mai 1974, un premier gouvernement provisoire est nommé dirigé par Adelino da Palma Carlos. Il comprend des figures des principaux partis politiques comme Mario Soares (Parti socialiste), Alvaro Cunhal (Parti communiste) et Francisco Sà Carneiro (Parti social-démocrate). Les dissensions sont trop fortes pour mettre en place une politique et, considérant n'avoir aucune marge de manœuvre, Palma Carlos démissionne.

Vasco dos Santos Gonçalves

Le MFA décide de reprendre les choses en main en nommant un proche au poste de premier ministre : le général Vasco dos Santos Gonçalves. Il met également en place le COPCON (Commandement Opérationnel du Continent), dirigé par Otelo Saraiva de Carvalho et chargé de maintenir l'ordre et de s'assurer de l'application du programme du MFA. Le but est clairement de limiter l'action du Président de la République[46].

Lors d'un discours resté célèbre, le 10 septembre 1974, Spínola en appelle à la majorité silencieuse pour faire face aux extrémistes qui veulent imposer leur voie au pays. Son appel provoque une réaction inverse à celle attendue: la gauche se mobilise contre ce qu'elle considère comme une menace réactionnaire. Spínola démissionne en prédisant le pire pour le pays.

Rien ne peut plus arrêter l'émancipation des colonies : le 10 juillet 1974, le vote de la loi constitutionnelle reconnaît le droit à l'autodétermination et l'annulation de l'article I de la constitution déclarant que ces terres sont partie intégrante du Portugal. Le 10 décembre, la Guinée-Bissau déclare son indépendance, suivie du Mozambique (25 juin 1975), du Cap-Vert (5 juillet 1975), de São Tomé et Principe (12 juillet 1975) et de l'Angola et de Cabinda (11 novembre 1975). Même si ces pays tombent dans la sphère d'influence de l'Union soviétique, le Portugal réussit à préserver ses relations avec eux[47].

Les élections pour l'Assemblée Constituante sont prévues pour le 25 avril 1975. L'union sacrée a disparu. C'est alors qu'éclate un coup d'État dans lequel se trouve impliqué Spínola (11 mars 1975). Le COPCON maîtrise rapidement la situation contraignant le général à l'exil. Cet événement provoque une radicalisation de la révolution[48]: le MFA impose une nationalisation des banques et des compagnies d'assurance, puis de la sidérurgie, de l'électricité et des transports.

On a désormais d'un côté le MFA soutenu par l'extrême gauche et de l'autre les modérés (le PS à gauche et le PSD à droite). Le MFA impose à tous les partis sa domination sur la vie politique durant une période de transition de cinq ans.

Les idées révolutionnaires sont diffusées dans la population par les forces armées (COPCON) et l'extrême gauche (LUAR): cela passe par une campagne d'alphabétisation, des assemblées de quartiers, des occupations d'entreprises et d'exploitations agricoles...

Otelo Saraiva de Carvalho

Avec une participation très forte, les élections voient pourtant la victoire du PS et le rejet de l'extrême gauche. Néanmoins, le gouvernement reste en place : les nationalisations et la réforme agraire se poursuivent, les salaires sont augmentés... Le non-respect des élections oblige les ministres socialistes, à démissionner, suivis bientôt des ministres socio-démocrates. Le pays est au bord de la guerre civile[49].

Le 26 juillet 1975, dans l'attente de la formation d'un nouveau gouvernement, est mis en place un triumvirat doté de tous les pouvoirs et composé des généraux Francisco da Costa Gomes, Vasco Gonçalves et Otelo de Carvalho. La division entre radicaux et modérés se reflète à présent au sein même du MFA. Le Parti communiste, isolé, prend ses distances avec le gouvernement.

Sans soutien, le chef du gouvernement démissionne le 29 août 1975. Il est remplacé par l'amiral José Baptista Pinheiro de Azevedo, qui rassemble des modérés autour de lui. Mais l'agitation se poursuit : grèves, manifestations, mises à sac... L'Armée est complètement désorganisée.

Le mois d'octobre est marqué par des attentats : le 7 novembre, un groupe de parachutistes fait exploser l'émetteur de Radio Renascença ; le 13, des ouvriers en grève prennent 250 députés et le Premier ministre en otage. Celui-ci démissionne le 20 novembre[50].

Le 21 novembre 1975, une décision met le feu aux poudres : Otelo de Carvalho, jugé trop marqué à l'extrême gauche, est remplacé au poste de commandement de la région de Lisbonne. Le 25 novembre 1975, des unités de parachutistes tentent un soulèvement qui échoue. Otelo de Carvalho et le reste de l'Armée refusent d'y prendre part. L'état d'urgence est proclamé, qui provoque un véritable choc dans le pays.

L'installation de la démocratie

António Ramalho Eanes

L'insurrection du 25 novembre 1975 annonce la fin du processus révolutionnaire et du rôle du MFA dans la vie politique. C'est la victoire des modérés. Le pays entre dans une phase de normalisation avec l'adoption de la constitution, le 2 avril 1976 (qui se propose d'établir une démocratie socialiste[51]), l'élection de Ramalho Eanes à la tête de l'État et la nomination du gouvernement socialiste de Mário Soares[52]. L'Armée est réorganisée et subordonnée au pouvoir civil[53].

Ce nouveau gouvernement doit faire face à une terrible crise économique, accentuée par l'arrivée de 700 000 rapatriés d'Afrique.

Soares entreprend une politique d'austérité[54] tout en faisant appel à l'aide internationale. Cette aide s'accompagne de conditions drastiques avec l'objectif de rétablir l'équilibre des comptes publics. Il amorce par ailleurs une politique visant à intégrer au plus vite l'Union européenne. Malgré tous ces efforts la crise mondiale ne permet pas de rétablir les finances et d'améliorer la situation économique.

Le projet de réforme agraire qui continue de diviser la gauche et agite les campagnes finit par provoquer une véritable crise politique : le Parti communiste, fortement opposé au projet, ajoute ses voix à la droite pour destituer le gouvernement[55].

En 1978, la crise politique se prolongeant, le président finit par trouver un compromis en intégrant trois personnalités de droite au gouvernement de Soares. Cette coalition ne tient pas longtemps. En juillet, le président démet le Premier ministre. Trois gouvernements se succèdent à son initiative. Cette instabilité traduit la fragilité des institutions et l'incertitude sur la voie à suivre. On craint une présidentialisattion du régime[56]. La situation économique tend néanmoins à se stabiliser.

Les élections de 1979 et 1980 voient la victoire d'une coalition de droite menée par Francisco Sá Carneiro et affirment clairement le rejet d'un régime présidentiel : une révision de la constitution est engagée dans ce sens[52]. Celle-ci, adoptée le 12 août 1982, permet de limiter le rôle des militaires et du Président de la République dans la vie politique. Elle instaure un régime parlementaire et supprime toute référence au socialisme[57]. Le gouvernement à beau remettre en cause certains acquis de la révolution, il remporte quelques succès dans sa lutte contre le chômage et l'inflation. Pourtant le conflit avec la gauche et le président est inévitable. Des grèves secouent le pays. Aux présidentielles de décembre 1980, Ramalho Eanes est réélu grâce à son image d'homme intègre.

L'instabilité politique se poursuit : à Sá Carneiro, mystérieusement disparu, succède Francisco Pinto Balsemão avant de démissionner une première fois le 11 août 1981. Cette fois, la contestation vient de sa propre coalition. La situation économique est à nouveau difficile. Eanes lui demande de former un autre gouvernement. Le nouveau gouvernement propose un plan d'austérité.

Pinto Balsemão démissionne à nouveau le 20 décembre 1982 après un échec relatif aux élections municipales. Les législatives anticipées de 1983 signent le retour de Mário Soares : refusant l'alliance avec les communistes, il devient le chef d'une coalition droite (Parti social-démocrate)-gauche (Parti socialiste)[58]. La situation économique et sociale est toujours aussi préoccupante. Mário Soares reprend la politique d'austérité afin d'obtenir la confiance des milieux financiers. De larges secteurs de l'économie sont ouverts aux capitaux privés. Les succès sont mitigés : le déficit budgétaire se réduit mais le chômage reste important. Les commémorations des dix ans de la révolution se font dans un climat d'amertume et une certaine nostalgie du salazarisme.

Durant ces années, le pays est touché par des attentats organisés par le groupe d'extême-gauche FP-25 (Forces Populaires du 25 avril). En 1984, plusieurs de ses membres sont arrêtés, dont Otelo Saraiva de Carvalho, figure historique de la révolution. Cette arrestation très contestée provoque l'émoi de la population[59].

L'éclatement de la coalition PS-PSD en 1985 est surtout le fait de la droite en pleine réorganisation : le principal opposant à Pinto Balsemão, Aníbal Cavaco Silva, prend sa place à la tête du parti de droite. Il dénonce aussitôt l'alliance avec le PS, provoquant le départ des ministres socio-démocrates et la démission de Mário Soares.

Après les législatives d'octobre 1985, la droite, menée par Aníbal Cavaco Silva, revient au pouvoir avec une marge de manœuvre restreinte en l'absence de majorité absolue. Le parti de l'ancien président (PRD) prend la tête de l'opposition à sa politique. En avril 1987, il réussit à renverser le gouvernement par une motion de censure. Des élections anticipées sont alors organisées qui non seulement confirment les résultats précédents mais renforcent le parti au pouvoir.

L'entrée dans l'Union Européenne

Le 12 juin 1985, le Portugal signe son adhésion officielle à la Communauté européenne. Cette adhésion impose au pays de profonds ajustements pour rattraper son retard économique.

Aníbal Cavaco Silva

Cette nouvelle période est marquée par l'élection, pour la première fois depuis 60 ans, d'un civil à la tête de l'État: Mário Soares est élu le 16 février 1986. La majorité absolue obtenue par le PSD en 1987 permet par ailleurs une stabilisation durable de la vie politique.

Le pays connaît une forte croissance. Il bénéficie des fonds structurels européens qui lui permettent de rattraper son retard[60]. Mais l'entrée dans la Communauté européenne impose aussi une politique d'austérité. Le gouvernement d'Aníbal Cavaco Silva mène une politique de libéralisation économique et beaucoup d'entreprises sont privatisées. Cela passe obligatoirement par une nouvelle révision constitutionnelle votée en juillet 1989. Avec la fin de la réforme agraire c'est encore un acquis de la révolution qui disparaît.

Les élections de 1991 confirment encore la domination du PSD. Mais les tensions avec le président Mário Soares, réélu lui aussi, se multiplient à partir de cette date. Jusqu'en 1995, elles accompagnent les tensions sociales conséquences de la politique de rigueur.

Après 10 ans de pouvoir, la contestation à l'intérieur du PSD précipite la chute de Cavaco Silva. Le Parti socialiste manque de peu la majorité absolue aux législatives de 1995 : António Guterres devient premier ministre et Jorge Sampaio est élu président de la République. L'entrée dans l'euro impose néanmoins la poursuite de la rigueur économique. Les déçus du socialisme n'empêchent pas Guterres d'être reconduit en 1999.

Les dernières années ont changé le pays de manière radicale. Le succès de l'exposition universelle de 1998 à Lisbonne (Expo '98) est un moment important de communion nationale. Malgré la disparition des derniers vestiges de l'Empire, avec la rétrocession de Macao à la Chine en 1999, le pays a su retrouver sa fierté. En 2000, le Portugal réussit à faire partie des pays adoptant la monnaie unique (l'euro). Enfin, en 2004, le pays parvient à organiser le Championnat d'Europe de football.

Si Jorge Sampaio est réélu président de la République (14 janvier 2001), les législatives anticipées de 2002 voient la victoire du PSD qui forme une coalition de gouvernement avec le CDS-PP (droite). L'année 2005 voit la victoire aux élections législatives, à la majorité absolue, du Parti Socialiste (PS) portugais alors qu'Anibal Cavaco Silva devient Président de la République en 2006 ouvrant une nouvelle période de cohabitation.

Crises

En 2009, de nouvelles élections législatives confirment la domination du PS portugais même si celui-ci n'a plus la majorité absolue. En effet, un premier plan d'austérité a mis à mal son autorité. Il faut dire que la situation financière du pays est critique. Le déficit public est passé en un an de 2,7% à 9,4% du PIB.

Bien que 2010 voit le déficit se réduire, l'effort reste encore trop faible malgré les discours du gouvernement qui affirme le contraire. Par ailleurs l'agitation sociale gagne le pays.

En mars 2011, la réalité le rattrape et le premier ministre José Socrates annonce un nouveau plan d'austérité pour faire face aux conséquences de la crise économique. L'opposition et le Président récusent les mesures préconisées ainsi que la méthode utilisée. José Socrates décide alors d'engager sa responsabilité sur le Pacte de Stabilié et de Croissance nationale auprès du parlement.

Son gouvernement compte en effet sur la responsabilité de l'opposition pour ne pas ajouter une crise politique à la crise économique et sociale du pays. Mais son plan est rejeté par tous les partis politiques (à gauche comme à droite) et Socrates n'a pas d'autres choix que de présenter sa démission (23 mars 2011). Le Président dissout l'assemblée et convoque des élections pour le 5 juin 2011. Avant même d'attendre le résultat des élections le gouvernement fait appel à l'aide européenne. En contrepartie un plan d'austérité drastique (privatisations, baisse des salaires de la fonction publique, plafonnement des aides sociales, augmentations des taxes)...est annoncé qui engage le prochain gouvernement quel qu'il soit.

L'opposition emporte les élections législatives.

Sujets de l'histoire du Portugal

Notes et références

  1. Histoire du Portugal, Jean-François Labourdette, Fayard, p.7
  2. Historia de Portugal, Volume I, de A. H. de Oliveira Marques
  3. Histoire du Portugal, Jean-François Labourdette, Fayard, p.16
  4. Historia de Portugal, Volume I, de A. H. de Oliveira Marques
  5. Historia de Portugal, Volume I, de A. H. de Oliveira Marques
  6. História concisa de Portugal de José Hermano Saraiva, p.21.
  7. Histoire du Portugal, Jean-François Labourdette, Fayard, p.18
  8. História concisa de Portugal de José Hermano Saraiva, p.23.
  9. Historia concisa de Portugal de José Hermano Saraiva, p. 27. L'auteur cite Pline l'Ancien selon qui les provinces romaines sont elles-mêmes divisées en conventi. Le Portugal actuel correspondrait à deux conventi de Lusitanie, Pacensis et Scallabitanus et un de Tarraconaise, Bracarensis.
  10. Histoire du Portugal, Jean-François Labourdette, Fayard, p.21
  11. História concisa de Portugal de Hermano José Saraiva, p.30.
  12. Revue de philologie portugaise en ligne
  13. Histoire du Portugal; Jean-François Labourdette, Fayard, p.24
  14. Histoire du Portugal, Jean-François Labourdette, Fayard, p.24
  15. Historia de Portugal, Volume I, de A. H. de Oliveira Marques, p.44
  16. História concisa de Portugal de José Hermano Saraiva, p.33.
  17. Histoire du Portugal, Jean-François Labourdette, Fayard, p.27
  18. História concisa de Portugal de José Hermano Saraiva, p.44.
  19. Historia de Portugal, Volume I, de A. H. de Oliveira Marques
  20. Historia de Portugal, Volume I, de A. H. de Oliveira Marques, p.64
  21. História concisa de Portugal de José Hermano Saraiva, p.46.
  22. Historia de Portugal, Volume I, de A. H. de Oliveira Marques, p.67
  23. Histoire du Portugal, Jean-François Labourdette, Fayard, p.32
  24. Historia de Portugal, Volume I, de A. H. de Oliveira Marques, p.68
  25. Histoire du Portugal, Jean-François Labourdette, Fayard, p. 38
  26. Histoire du Portugal, Jean-François Labourdette, Fayard, p. 39
  27. Histoire du Portugal, Jean-François Labourdette, Fayard, p. 42
  28. "Les grandes découvertes" de Jean Favier, p.417 (Fayard)
  29. "Les grandes découvertes" de Jean Favier, p.427 (Fayard)
  30. Du Portugal vers l’inconnu
  31. Le premier chercheur à émettre l’hypothèse de la découverte de l’Australie par les marins portugais est Alexander Dalrymple en 1786, dans une courte note à ses mémoires qui concerne les îles Chagos ; il décrit ses observations de la "carte Dauphin" qu'il a en sa possession et qui représente la Grande Jave à l'est des îles Chagos. Dalrymple est suffisamment intrigué pour publier 200 exemplaires de la carte Dauphin. Il est un des premiers à avancer la théorie de la découverte de l'Australie par les Portugais
  32. Ainsi les Cortes continuent de se tenir au Portugal, la législation et la langue sont maintenues. Les Portugais conservent l'exclusivité du commerce avec les Indes et la Guinée. in Histoire du Portugal de Jean François Labourdette, p.279-280
  33. L'Espagne rend l'indépendance du Portugal, page consultée le 9 mai 2009.
  34. Histoire du Portugal de Jean François Labourdette, p. 336
  35. Histoire du Portugal de Jean François Labourdette, p.503
  36. Histoire du Portugal de Jean François Labourdette, p.505
  37. Historia concisa de Portugal de José Hermano Saraiva, p. 311
  38. Historia concisa de Portugal de José Hermano Saraiva, p. 313
  39. Historia concisa de Portugal de José Hermano Saraiva, p. 320
  40. Le projet est présenté en 1887 par le ministre de la Marine et de l'Outremer, Henrique Gomes Barros in Histoire du Portugal de Jean François Labourdette, p. 532
  41. Histoire du Portugal de Jean François Labourdette, p. 535
  42. Encyclopédie Encarta en ligne
  43. Histoire du Portugal de Jean François Labourdette, p.605-607
  44. a, b, c et d (pt) 25 de abril-mitos de uma revoluçao de Maria Inacia Rezola
  45. Le Portugal de Yves Léonard, p.23.
  46. Le Portugal de Yves Léonard, p.28.
  47. Le Portugal de Yves Léonard, p.30.
  48. Le Portugal de Yves Léonard, p.31.
  49. Le Portugal de Yves Léonard, p.34.
  50. Le Portugal de Yves Léonard, p.36.
  51. Le Portugal de Yves Léonard, p.38.
  52. a et b Le Portugal de Yves Léonard, p.42.
  53. Le Portugal de Yves Léonard, p.37.
  54. Le Portugal de Yves Léonard, p.43.
  55. Le Portugal de Yves Léonard, p.45.
  56. Le Portugal de Yves Léonard, p.47.
  57. Le Portugal de Yves Léonard, p.58.
  58. Le Portugal de Yves Léonard, p.60.
  59. Le Portugal de Yves Léonard, p.68.
  60. 50 milliards de francs entre 1989 et 1993 in Histoire du Portugal de Jean François Labourdette, p. 630

Voir aussi

Bibliographie

  • (de) A. H. de Oliveira Marques: Geschichte Portugals und des portugiesischen Weltreichs; Kröner; 2001; (ISBN 3-520-38501-5)
  • (de) Walther L. Bernecker, Horst Pietschmann: Geschichte Portugals; C. H. Beck; 2001; (ISBN 3-406-44756-2)
  • (en) Douglas L. Wheeler et Walter C. Opello, Jr., Historical Dictionary of Portugal, Scarecrow Press, Lanham Md, 2010, 428 p. (ISBN 978-0-8108-6088-9)
  • (fr) Christophe Picard, Le Portugal musulman - (VIIIe ‑ XIIIe siècle ; l'Occident d'al-Andalus sous domination islamique, Paris, Maisonneuve et Larose, 2000, (ISBN 2-7068-1398-9)
  • (fr) Martins Oliveira, Histoire du Portugal, édition La Différence, 1994, traduit du portugais par Claire Cayron, (ISBN 2-7291-1021-6)
  • (fr) Léonard Yves, Le Portugal - vingt ans après la révolution des œillets, les études de la documentation française, Paris, 1994, (ISBN 2-11-003125-5)
  • (fr) Albert-Alain Bordon, Histoire du Portugal ; Chandeigne Édition ; Collection : Série lusitane ; (ISBN 2-906462-11-X)
  • (fr) Robert Durand, Histoire du Portugal ; Éditions Hatier ; 1983 ; Collection : Nations d'Europe ; (ISBN 2-218-03835-8)
  • (fr) Jean-François Labourdette, Histoire du Portugal ; Éditions Fayard ; 2000 ; (ISBN 2-213-60590-4)
  • (pt) Hermano Saraiva José, Historia concisa de Portugal; publicaçoes europa-américa ; 1978 ; (ISBN 972-1-02829-0)

Articles connexes

Liens externes

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