L'Escalade

L'Escalade
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L'Escalade, célébrée le 12 décembre de chaque année à Genève (Suisse), marque la victoire de la ville sur les troupes du duc de Savoie Charles-Emmanuel Ier à l'occasion de l'attaque savoyarde lancée dans la nuit du 11 au 12 décembre 1602 (selon le calendrier julien soit les 21-22 décembre dans le calendrier grégorien).

Le nom « escalade » évoque la tentative d'escalade par les Savoyards des murailles de la ville au moyen d'échelles.

Sommaire

Contexte historique

Pour consulter des articles plus généraux, voir : Histoire de Genève et Histoire de la Savoie de 1416 à 1792.
Portrait de Charles Emmanuel Ier de Savoie

Depuis plusieurs siècles, les comtes de Genevois, puis les ducs de Savoie, convoitent la ville de Genève dont ils assument la souveraineté plus nominale que réelle. Après de nombreuses escarmouches, les bourgeois de Genève obtiennent enfin leur indépendance, le 27 mai 1535, sous le règne de Charles III de Savoie : Genève, associée aux républiques helvétiques et à la France, devient le centre du calvinisme, fortifie ses murailles face à son puissant voisin savoyard et chasse ses évêques qui trouvent refuge à Annecy.

Le duc Emmanuel-Philibert de Savoie (1528-1580), successeur de Charles III, cherche de son côté à séduire Genève, mais les bourgeois se raidissent contre toutes ses manœuvres diplomatiques et renforcent leur défense. Après le traité de Lausanne de 1564, le duc ratifie le 5 mai 1570 le traité de Berne qui institue un modus vivendi entre les deux voisins. Dès son avènement en 1580, le premier acte de son fils, le duc Charles-Emmanuel Ier de Savoie (1562-1630) est de rompre avec Genève. Une tentative de coup de main sur le port de Genève par des bourgeois de Thonon avorte en 1581. L'année suivante, les milices de Thonon, sous les ordres de Philippe de Savoie, comte de Raconis, échouent dans deux tentatives de prise de Genève. En 1583, Lesdiguières adresse une mise en garde aux syndics de Genève.

Le 2 août 1588, le roi de France Henri III, allié de Genève, est assassiné et remplacé par son cousin Henri IV qui poursuit activement sa politique d'alliance avec les Genevois. La guerre entre la Savoie et la France, entrecoupée de trêves, se poursuit pour aboutir au traité de Lyon de 1601 : la Savoie conserve le marquisat de Saluces mais perd ses provinces de la Bresse, du Bugey, du Valromey, la baronnie de Bresse et tout le cours du Rhône depuis sa sortie de Genève ; ces territoires sont définitivement rattachés au royaume de France. En Savoie, le traité de Lyon produit une impression douloureuse car la séparation des provinces d'outre-Rhône renforce celle de Genève. À titre de revanche, le duc de Savoie décide de comploter avec le maréchal Charles de Gontaut-Biron afin de s'emparer de la Provence mais Biron, pris en flagrant délit de trahison par Henri IV, est livré à la justice du Parlement de Paris et décapité le 31 juillet 1602.

Charles-Emmanuel Ier, malgré ses échecs répétés et les préjudices qu'il inflige ainsi à son peuple, dont les terres sont ravagées par l'occupation des troupes étrangères, décide de se retourner contre Genève à l'instigation de son beau-frère, Philippe III d'Espagne, et du pape Clément VIII.

Bataille

Représentation de la bataille de l'Escalade
Peinture de Karl Jauslin (1842-1904)

Dans les premiers jours de décembre, tout est prêt : le duc Charles Emmanuel Ier quitte Turin en catimini, passe incognito le col du Mont-Cenis, traverse la Savoie et vient se cacher à Saint-Julien-en-Genevois. L'armée commandée par le comte Charles de Simiane d'Albigny, ancien chef de la Ligue catholique du Dauphiné, est forte d'environ 4 000 hommes ; elle se compose de Napolitains, d'Espagnols, de Piémontais et de quelques vieux réfugiés ligueurs. Les chefs de cette troupe de mercenaires sont le Picard François de Brunaulieu, gouverneur de Bonne, le jésuite écossais Alexander Hume, le Piémontais Semori, le Bressan d'Attignac ainsi que trois gentilshommes dauphinois, de Galliffet, de Bernardy et de Commiers. Ils choisissent 300 soldats bien armés, munis de pétards, de claies et d'échelles à coulisse, que l'on fait communier avant l'assaut. Seuls deux seigneurs savoisiens participent à l'escalade : Jacques de Chaffardon et François de Sonnaz. Le reste de la troupe et son chef, le comte d'Albigny, restent l'arme au pied.

L'attaque est lancée dans la nuit du 11 au 12 décembre 1602 à deux heures du matin. La nuit est noire et brumeuse, froide et sans neige. La lune est cachée et les vigiles ont plus tendance à se réchauffer à l'intérieur qu'à rester sur les murs de la ville. Le plan original est d'ouvrir les portes afin de pouvoir laisser entrer les soldats. Le plan semble se dérouler à merveille et l'avant-garde escalade la porte de la Monnaie qui n'est plus gardée par mesure d'économie. On envoie même un émissaire chargé de négocier la paix, histoire d'endormir les soupçons. Les fascines comblent le fossé, les échelles sont dressées, plus de 200 combattants sont déjà dans la place et leurs chefs parcourent les rues désertes de la cité. D'Albigny envoie même un message à Charles-Emmanuel Ier qui dépêche immédiatement des messagers dans toute l'Europe. Entendant un bruit étrange, deux sentinelles genevoises sortent sur le rempart de la Monnaie et tombent nez à nez avec l'avant-garde ennemie. Le premier est rapidement estourbi mais le second a le temps de lâcher un coup d'arquebuse. L'alarme est donnée à 2 h 30, la Clémence (cloche de la cathédrale Saint-Pierre) sonne le tocsin qui est relayé par toutes les cloches des églises. Les citoyens se lèvent, saisissent des armes et, en chemise de nuit, viennent prêter main forte aux milices bourgeoises. Même les femmes s'en mêlent, certaines manipulant lances et hallebardes comme de vieux briscards.

La bataille fait rage dans tous les coins de la ville mais les mercenaires peuvent encore l'emporter s'ils arrivent à ouvrir la porte de Neuve. Ils réussissent à s'en emparer et s'apprêtent à en faire sauter les gonds quand Isaac Mercier, un Lorrain, fait tomber la grande herse qui résiste à tous les assauts. Le gros des troupes reste hors les murs alors que ceux qui réussissent à les franchir sont massacrés ou refoulés.

Bilan

Monument aux morts de l'Escalade dans le temple de Saint-Gervais

54 assaillants ont été tués et treize, pour la plupart blessés, sont faits prisonniers ; ils sont exécutés par les Genevois, après avoir été torturés, malgré leur promesse de la vie sauve, sans que soit respecté le droit de la guerre selon les mémoires historiques du marquis Costa de Beauregard. Genève, quant à elle, pleure la mort de 17 de ses citoyens, parmi lesquels six Genevois d'origine savoyarde.

La délivrance de Genève est célébrée dans toute l'Europe comme une défaite décisive du duc de Savoie et de la politique austro-espagnole. Le lendemain de l'escalade, la population se presse à Saint-Pierre et y chante le psaume CXXIV qu'on répète depuis à chaque anniversaire. On observe que jamais les Genevois n'ont accusé les savoyards de cette mauvaise surprise. En outre, nul en Savoie n'a pris ce désastre, propre au seul Charles Emmanuel Ier et à sa troupe de mercenaires, pour une défaite nationale.

Par le traité de Saint-Julien du 21 juillet 1603 est conclue la paix entre la Savoie et Genève. Sa signature est accueillie avec joie parmi les populations savoisiennes et genevoises, les relations familiales, amicales et commerciales entre les deux peuples étant établies depuis bien longtemps.

Célébration

Festivités

Cortège historique dans la nuit du 10 décembre 2005

Les festivités commémorant cet événement historique ont lieu le 12 décembre de chaque année, les commémorations officielles ayant lieu durant le week-end le plus proche de la date historique. Cette commémoration est considérée comme la « fête nationale » genevoise, culminant par le feu de joie sur le parvis de la cathédrale Saint-Pierre au son du Cé qu'è lainô, l'hymne genevois, écrit en vieux patois genevois, glorifiant cet événement historique.

La coutume veut que les enfants se déguisent et défilent durant cette nuit dans les rues ou chantent aux portes la fameuse chanson Ah ! La Belle Escalade. Les étudiants des niveaux post-obligatoires font également un défilé diurne dans les rues de la ville. La population, notamment les enfants, se déguise aussi pour participer à la multitude de soirées qui sont organisées en marge des évènements officiels. Un grand cortège historique composé de 800 participants en costumes d'époque — hallebardiers, arquebusiers, cavaliers et personnages historiques — défile le dimanche soir dans les rues de la vieille-ville. Durant ces trois jours, des démonstrations de tir de mousquets, de maniement de hallebardes ou tirs au canon ont également lieu. L'étroit passage de Monnetier est aussi ouvert au public à cette occasion.

Marmite

Une femme avec un pot de fer tue un savoyard, gravure sur cuivre de François Diodati, vers 1667
Marmites de l'Escalade

L'un des symboles les plus connus de cette fête est la mère Royaume, une femme d'origine lyonnaise qui, selon la légende, versa par sa fenêtre, durant la bataille nocturne, une marmite de soupe chaude sur les soldats savoyards passant dans sa rue.

De là vient la fameuse marmite en chocolat — remplie de bonbons, emballés aux couleurs genevoises, accompagnés de petits pétards et de légumes en massepain — et la soupe de légumes dégustés à cette occasion[1]. La marmite est traditionnellement brisée, après la récitation de la phrase rituelle « Qu'ainsi périssent les ennemis de la République ! », par les mains jointes du benjamin et du doyen de l'assistance.

Polémiques

La célébration de l'Escalade, relativement récente, prend la forme d'un carnaval au cœur de la Genève protestante où ce type de célébration était formellement interdit depuis la Réforme. Très tôt, la victoire militaire de l'Escalade se double de célébrations profanes qui s'enracinent dans les mentalités, en dépit des interdictions et des remontrances des pasteurs. Dans un État où toute fête religieuse est bannie, la commémoration de l'Escalade s'impose très vite et réintroduit la fête à Genève. Progressivement, deux tendances de célébration vont s'opposer nettement jusqu'à représenter un véritable enjeu social : il y a ceux qui veulent faire de l'Escalade une véritable fête patriotique (digne et grave avec culte, cortège et banquets) et ceux qui entendent célébrer l'Escalade dans la liesse et d'une manière proche du carnaval ou du charivari.

En 1898, un groupe de citoyens fonde l'Association patriotique genevoise pour la rénovation de l'Escalade, rebaptisée en 1926 sous le nom de Compagnie de 1602. Cette association se donne pour tâche de maintenir à la commémoration de l'Escalade « le caractère de dignité patriotique qui lui sied et de stimuler le zèle de tous ceux qui veulent conserver les nobles traditions du passé ».

En 1960, une ordonnance du Conseil d'État n'autorisant les déguisements sur la voie publique qu'aux seuls enfants de moins de quinze ans est promulguée en raison « d'atteintes à la solennité de la cérémonie de 1602 » ; l'interdiction est reconduite en 1978.

Course de l'Escalade

Article détaillé : Course de l'Escalade.
Course de l'Escalade 2008

En marge des commémorations solennelles se déroule depuis 1978, durant le week-end précédent le traditionnel défilé historique, une course pédestre populaire à travers la vieille-ville. Lors de la première course de l'Escalade, le nombre de coureurs déguisés est quasi inexistant, la tradition du déguisement ne s'imposant que très progressivement. Ce n'est qu'en 1985 que le déguisement est reconnu, avant d'être institutionnalisé en 1991 par la création de l'épreuve dite de « la marmite ».

On peut raisonnablement penser que la course de l'Escalade est, et d'une certaine manière reste, un moyen de contourner l'interdit officiel de 1960 car l'épreuve prolonge de manière inattendue et originale le long conflit ayant opposé depuis le XVIIe siècle les défenseurs de la commémoration solennelle et ceux de la fête humoristique. La création de la course de l'Escalade est ressentie par la Compagnie de 1602 comme une tentative de remise en question des valeurs traditionnelles. Finalement, c'est la population genevoise elle-même qui donne à cette course sa popularité. De nos jours, elle constitue le plus grand événement du genre en Suisse.

Références

  1. Bernard Lescaze, « À quand remonte la marmite en chocolat ? », Journal de Genève, 8 décembre 1984, p. 30

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