Batyphase

Batyphase

Chronobiologie

La chronobiologie est une discipline scientifique étudiant l'organisation temporelle des êtres vivants, des mécanismes qui en assurent la régulation (contrôle, maintien) et de ses altérations. Cette discipline traite essentiellement de l'étude des rythmes biologiques.

Sommaire

Chronobiologie et homéostasie

Bien que l'idée du facteur temps en biologie et en médecine ne soit pas nouvelle (notion que l'on retrouve chez Aristote et Pline), les réflexions, recherches et pratiques de ces dernières décennies ont longtemps été influencés par une croyance en l'invariance des êtres vivants sur le « court terme », à l'échelle des 24 heures, tout comme à l'échelle d'une année. Certains parlent à cet égard de dogme en visant plus ou moins directement le concept d' homéostasie, que l'on retrouve chez Walter Cannon s'inspirant des idées sur la stabilité du milieu intérieur de Claude Bernard.

La contradiction entre le sujet d'étude de la chronobiologie et ce concept n'est qu'apparente et est probablement due à une mauvaise interprétation.

En effet, l'homéostasie traite de la capacité qu'a le milieu intérieur d'un être vivant à se maintenir dans un état apparemment ou globalement stable et ce malgré les fluctuations et changements survenant au sein de son environnement. Or ce dernier n'est jamais constant, ses caractères perceptibles évoluent sans cesse :

  • de manière rythmique, facilement prévisibles (la Terre tourne sur elle-même et autour du Soleil, ce qui induit une alternance lumière/obscurité ainsi que la présence de saisons)
  • de manière aléatoire ce qui est parfois beaucoup plus subtil à percevoir et à prévoir.

L'effet de fluctuations rythmiques (comme l'alternance jour/nuit sur 24h, ou jours courts / jours longs sur une année) sur un organisme qui se veut homéostatique induit logiquement une compensation du même ordre en vue du maintien de l'organisme observé. Ces rétrocontrôles ou feed-backs réguliers permettent donc l'équilibre d'un état de "non-équilibre".

La chronobiologie s'inscrit à ce titre dans le cadre de l'étude des processus non linéaires, que l'on retrouve en thermodynamique chez des chercheurs comme Prigogine ou en science des systèmes. Elle traite donc d'oscillations des systèmes ouverts et évolutifs.

Selon Alain Reinberg[1], de nombreux chronobiologistes s'accordent à dire que, globalement, les rythmes biologiques correspondent à une adaptation des êtres vivants aux variations prévisibles de l'environnement. La question du "Pourquoi ?" des rythmes biologiques reste toutefois « embarrassante » : selon l'auteur, tenter d'y répondre correspondrait à introduire la question de la finalité, et plus précisément celle des mécanismes de l'évolution des êtres organisés, de leur adaptation spécifique (relative à l'espèce) et individuelle à l'environnement. Dans cette situation il est donc difficile de fournir des "preuves expérimentales" de ce que l'on avance. Les rythmes biologiques peuvent donc apparaître comme une « condition » de la survie des individus ou d'une espèce dans la périodicité de l'environnement terrestre. Il faut toutefois remarquer qu'il existe certains rythmes qui ne semblent pas correspondre de prime abord à une nécessité environnementale.

Le concept d'homéostasie doit donc impérativement intégrer les notions de dynamique et de biopériodicité. La notion d'équilibre en biologie, lorsque cet équilibre n'est pas dynamique (un déséquilibre perpétuellement rattrapé), est synonyme de mort.

Caractérisation des rythmes biologiques

Un rythme biologique se caractérise par sa période, l'emplacement de l'acrophase (ou pic, ou sommet, ou zénith) de la variation dans l'échelle de temps de la période, l'amplitude et le niveau moyen de la variation (MESOR).

Période

Intervalle de temps mesuré entre deux épisodes qui vont se reproduire identiques à eux-mêmes au cours de la variation. La période du rythme d'une variable biologique peut être obtenue par analyse spectrale, fournissant une estimation de la période prépondérante fondamentale et de ses harmoniques. On peut aussi l'obtenir via la connaissance du rythme des synchroniseurs (conditions expérimentales).

En fonction de la période prépondérante, la chronobiologie distingue trois grands domaines de rythmes :

  • les rythmes circadiens, d'une période équivalant théoriquement à un jour (24 heures), mais qui varie en réalité de 20 à 28 heures ;
  • les rythmes ultradiens, c'est-à-dire d'une fréquence plus rapide qu'un rythme cicardien, donc d'une durée théoriquement inférieure à 24 heures ;
  • les rythmes infradiens, c'est-à-dire d'une fréquence plus lente qu'un rythme cicardien, donc d'une période supérieure à 24 heures. Parmi ceux-ci :
    • les rythmes septénaires (environ une semaine),
    • les rythmes circamensuels (environ un mois),
    • les rythmes circannuels, ou saisonniers.

Une même variable biologique manifeste sa rythmicité dans plusieurs de ces domaines (exemple du cortisol plasmatique)

Acrophase

L'acrophase (pic, ou zénith), dont l'opposé est la « batyphase » ou « bathyphase », est la position de la plus haute valeur de la variable biologique mesurée dans l'échelle du temps, pour la période considérée en fonction d'une référence temporelle. Lorsque l'on se trouve dans le domaine circadien, le pic peut être donné en heures avec comme référence une heure (par exemple minuit de l'heure locale). Il est possible de donner l'emplacement de l'acrophase par rapport à la température corporelle, mais cela reste beaucoup plus rare.

Lorsqu'on utilise la méthode du Cosinor, le pic sera le point le plus élevé de la fonction sinusoïdale, mais la plupart du temps on parle de pic au regard des valeurs expérimentales.

Amplitude

La caractérisation est la même qu'en sciences physiques ou en mathématiques. Elle représente la variabilité totale de la valeur biologique mesurée sur une période considérée.

Mesor ou niveau moyen du rythme

MESOR pour Midline Estimating Statistic Of Rythm. Il s'agit de la moyenne arithmétique des mesures de la variable biologique.

Propriétés des rythmes biologiques

Les rythmes biologiques ont une origine à la fois endogène et exogène :

Origine endogène

Leur origine est génétique, ils sont innés et ne résultent pas d'un apprentissage individuel. Ils sont gouvernés par des horloges biologiques (ou garde temps) Cette caractéristique peut être mise en évidence par une isolation (protocole de libre cours) durant laquelle les rythmes persistent sur une fréquence qui leur est propre.

Ces facteurs endogènes sont entraînés par des facteurs exogènes, Les Zeitgebers ou Synchroniseurs.

L'origine endogène prend son origine de la constitution génétique de l'espèce et de ses individus. Il est possible qu'interviennent d'une part des gènes programmant directement le rythme considéré et d'autre part la structure d'ensemble de l'individu dépendant à la fois de l'ensemble des autres données génétiques et de facteurs socio-psycho-biologiques exogènes.

On connaît une horloge principale localisée dans l'hypothalamus et des horloges secondaires dont plusieurs sont gérées, elles aussi au niveau cérébral.

Il existe plusieurs gènes codant diverses horloges biologiques : on a, par exemple, décrit une horloge alimentaire qui réglerait la préparation digestive au repas à venir (Cf. Étienne Challet et al., Current Biology du 24 octobre 2006).

Rythmes d'origine centrale et rythmes d'origine périphérique

En fait, toutes les cellules de l'organisme, et pas seulement celles qui appartiennent aux structures cérébrales plus spécialisées, sont dotées d'une horloge propre qui est difficile à mettre en évidence in vitro dans les conditions habituelles du laboratoire. Benoît Kornmann et ses collaborateurs ont découvert la possibilité de laisser en activité ou d'annihiler l'horloge de cellules hépatiques; cela a permis de déterminer que leur rythme circadien est à 90% d'origine "locale" mais qu'il existe un impact "global" (central et/ou lié directement aux synchroniseurs externes) de 10% au moins. Cette part est très robuste et persiste lorsqu'on bloque l'horloge propre des cellules périphériques.

Facteur d'entraînements exogènes

Le synchroniseur est un facteur environnemental, parfois social, mais toujours périodique, susceptible de modifier la période ou la phase d'un cycle biologique. Les synchroniseurs ne créent pas les rythmes biologiques mais ils en contrôlent la période et la phase.

Les principaux agents d'entraînement des rythmes chez l'homme sont de nature cognitives, ainsi les indicateurs socio-écologiques y jouent un grand rôle.

On peut citer ici l'alternance activité/repos, lumière/obscurité au niveau quotidien, ou encore la photopériode (jours courts / jours longs) et la température au niveau annuel ou saisonnier.

Conclusions et implications

Les rythmes biologiques sont donc entraînables (ajustement de la période des rythmes) mais aussi persistants (mise en évidence par protocoles de free run ou libres cours, dans lesquels on coupe l'individu de tous signaux susceptibles de le resynchroniser).

On peut déplacer leurs phases par induction via la manipulation des synchroniseurs (lumière essentiellement) et ainsi créer des avances ou des retards de ces phases, on peut ainsi en cas de pathologie remettre à l'heure l'horloge biologique et ainsi remettre en phase l'organisation temporelle de l'individu. Les rythmes circadiens, quasiment ubiquitaires, sont peut être les rythmes biologiques les plus remarquables et les plus facilement observables.

D'autres synchroniseurs — sociaux notamment — s'adressent à notre cortex. Ils sont des signaux et peuvent être appris. Grâce à un travail cérébral spécifique, tout signal perçu comme repère temporel peut devenir un synchroniseur et orienter notre « vécu » circadien, mais aussi, le cas échéant, circannuel, ultradien, etc. Autrement formulé, notre « horlogerie » interne est influencée par le bruit des voisins, le déclenchement de la sonnerie du réveil, l'heure de passage du facteur, le moment quotidien pendant lequel telle personne a pris l'habitude de nous téléphoner — la liste est longue. Chez l'homme, les synchroniseurs sociaux ont un effet plus important que les synchroniseurs naturels, mais on observe des phénomènes semblables chez certains animaux sociaux qui se synchronisent grâce aux informations données par leurs congénères. Un synchroniseur social peut en remplacer un autre par un phénomène d'apprentissage.

La désynchronisation

La désynchronisation correspond a une perte de la relation de phase des rythmes biologiques. Elle peut être d'origine externe (liée aux modifications de l'environnement) ou interne (sans relations directe avec l'environnement)

Désynchronisation externe

Le travail posté

Le travail de nuit ou le travail posté peuvent provoquer une désynchronisation de l'organisation temporelle de l'individu (il est difficile de prédire qui est tolérant ou non à ce type de travail).

Le décalage horaire ou jet lag

En cas de vol transméridien supérieur à environ cinq heures (phénomène de décalage horaire) on observe une désynchronisation chez les individus.

  • Cycle nycthéméral : recadrage en 2 jours
  • Température du corps : recadrage en une semaine
  • Sécrétion du cortisol : recadrage en 15 à 20 jours

La cécité totale

Les aveugles dont la rétine est complètement inopérante (la rétine contient des récepteurs non photiques permettant de stimuler la sécrétion de mélatonine par la glande pinéale) présentent de nombreux troubles de leur organisation temporelle. La lumière ne pouvant pas être traduite en signal hormonal de synchronisation, il s'en suit des symptômes similaires à ceux pouvant apparaître dans d'autres cas de désynchronisation.

Désynchronisation interne

Cette dernière est mal comprise. Elle est affectée par l'âge, la dépression, ou les cancers hormonaux dépendants (sein, ovaires, prostate, etc.).

Mise en évidence d'une désynchronisation

On peut la mettre en valeur via l'étude de rythmes marqueurs (cortisol plasmatique, mélatonine plasmatique, température, etc.). Si la désynchronisation est mise en évidence, ces marqueurs seront dits soit en avance de phase, soit en retard de phase par rapport à l'organisation temporelle de référence (normale) pour l'individu étudié.

Autres facteurs pouvant affecter les rythmes biologiques

L'âge est un facteur dont il faut tenir compte :

  • le fœtus est cosynchronisé avec les rythmes de sa mère[réf. nécessaire]
  • le nourrisson a ses rythmes qui seront plutôt portés sur l'ultradien (maturité du système nerveux ?)[réf. nécessaire]
  • l'enfant de 4 ans est totalement circadien[réf. nécessaire]
  • le stade pubertaire change les rythmes biologiques[réf. nécessaire]
  • la personne âgée aura des rythmes de moins en moins bien synchronisés et "marqués"[réf. nécessaire]

Le sexe : la notion de rythme chez la femme moins facile à étudier que chez l'homme (cycles menstruels).[réf. nécessaire]

La surface corporelle joue également.[réf. nécessaire]

Exemples d'applications

En France, Michel Siffre, spéléologue, est considéré comme une des personnes ayant permis de mettre en évidence l'objet d'étude de cette discipline. Du 18 juillet au 14 septembre 1962, il a réalisé la première expérience d'isolement hors temps dans le gouffre de Scarasson, à 2 000 m d'altitude dans les Alpes du Sud. Les conditions de cette expérimentation peuvent se rapprocher des conditions de free run, situation dans laquelle les individus étudiés sont privés de tous synchroniseurs. Le free run permet de mettre en valeur les périodes des rythmes endogènes de chaque individu.

Le Pr Christian Poirel (Canada) a étudié les rythmes circadiens de la souris et sur les phénomènes psychopathologiques humains.

Chronopsychologie

François Testu (université de Tours), a étudié les rythmes d'apprentissage chez l'enfant, en leur faisant faire des exercices simples et en regardant les taux de réussite selon les heures. Il a observé la présence de deux acrophases, vers 11h et 17h30, et de deux batyphases, la première vers 13h30 (elle n'est pas directement et uniquement liée à la digestion du déjeuner, sinon il y aurait également une batyphase durant toute période post-prandiale, après toute prise d'aliments). Elle dure environ 2 heures, (entre 13h et 15h). La deuxième à lieu vers 3h30 du matin. Cette dernière est sans doute liée à la chute de la température, qui est au plus bas entre 3 et 5 heures du matin.[réf. nécessaire]

Outre ce cycle circadien d'attention, on note aussi un cycle ultradien d'environ 90 minutes. Par exemple après le début d'un cours, l'attention est à son maximum après environ 25 minutes, puis décroît et la batyphase se situe vers 75 minutes.[réf. nécessaire]

Une étude américaine a révélé un cycle d'attention correspondant à l'intervalle entre les publicités qui coupent les émissions télévisées.[réf. nécessaire]

Rôle dans l'accidentologie

Alain Reinberg[2] en citant Folkard[3] insiste sur la place de la chronobiologie en accidentologie et donne pour quelques raisons:

  • L'accident à une rythmicité à l'échelle d'une population. "Il est unique et peut être mortel pour l'individu, mais le regroupement de son incidence en fonction du temps montre qu'il existe des heures noires"[4]. Selon l'auteur, l'intervalle des heures noires se situe entre minuit et 4h du matin (mais les frontières sont légèrement floues, dues à la variabilité biologique et aux synchronisations respectives des individus concernés).
  • Le caractère nocturne de l'accident de l'adulte est une expression des rythmes circadiens impactant directement la vigilance et la performance des activités des individus[5],[6],[7],[8],[9]

Ces variations de vigilance sont très étudiées dans le cas de surveillance du pilotage des navires (organisation en quarts) ou de salles de contrôles d'installation industrielles (usines chimiques, centrales nucléaires) ou de trafic (tour de contrôle, Cross). Des catastrophes industrielles de l'époque moderne se sont produites au cœur de la nuit, à un moment de vigilance moindre ; on peut citer l'exemple célèbre du naufrage du Titanic qui s'est produit durant la période critique aux alentours de 23h et 01h du matin).

Notes

  1. REINBERG, A.,(1991), Dimension temporelle de la médecine, in Chronobiologie médicale, chronothérapeutique, Flammarion, coll. Médecine Sciences, 2e édition (2003), Paris, pp8-9
  2. REINBERG A.(2003), Heures noires, Rythmes du risque des accidents, in Chronobiologie médicale, chronothérapeutique, Flammarion, coll. Médecine Sciences, 2e édition , Paris, pp263-73
  3. FOLKARD S., Black times: temporal determinents of transport safety, Accid. Anal and Prev, 1997, 29: 417-430
  4. REINBERG A.(2003), op cit, pp263
  5. LAVIE P. The search for cycles in mental performance from Lombard to Kleitmann, in Chronobiologia, 1980,7:247-258
  6. COLQUHOUN W.P. Biological rythms and human performance, London, Academic Press, 1971:39-107
  7. GILLOOLY P, SMOLENSKY M.H.,ALBRIGHT D., et al., Circadian variations in human performance evaluated by the Walter Reed Assessement Battery, Chronobiology Int, 1990, 7: 143-153
  8. CARRIER J, MONK T, Effects of sleep and circadian rythms on performance. In FW Turek, PC Zee, Regulation of sleep and circadian rythms. New York, Marcel Dekker Inc. 1999 527:556
  9. MONK T., Shift worker performance, In: AJ Scott. Shiftwork. Occupationnal medecine. Philadelphia, Hanley & Belfus Inc. 1990:183-198

Bibliographie

  • Reinberg A., (1991), Chronobiologie médicale, chronothérapeutique, Flamarion, coll. Médecine Sciences, 2e édition (2003), Paris
  • Poirel C., Les rythmes circadiens en psychopathologie (Perspectives neurobiologiques sur les structures de rythmes temporalité), Masson Ed., Paris, 1975.
  • Sechter, D. et Poirel, C., Chronobiologie et psychiatrie, Masson Publ., Paris et New York, 1985.
  • DUNLAP J.C., LOROS J.J., DeCOURSEY P.J. dir., Chronobiology, biological time keeping, Sinauer Associates Inc., 2004, Sunderland,

Voir aussi

Liens

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