Marcel Fiorini

Marcel Fiorini

Marcel Fiorini, né le 23 février 1922 à Guelma (Algérie) et mort le 16 janvier 2008 à Bois-le-Roi, est un peintre non figuratif et un graveur français de la nouvelle École de Paris particulièrement reconnu pour les nouveaux procédés de gravure en taille-douce sur bois, linoleum ou plâtre qu'il a mis au point et utilisés à partir des années 1950.

Sommaire

Biographie

Marcel Fiorini commence en 1938 à peindre et à faire des essais de gravure en utilisant les acides et les produits de la pharmacie de son père pour fabriquer des vernis selon les recettes d'un ancien code pharmaceutique. Après des études au lycée de Bône (Annaba) où il se lie avec Marcel Bouqueton il fréquente de 1940 à 1942 l'École des Beaux-Arts d'Alger. Il y rencontre Louis Nallard et Maria Manton avec qui il arrive en France en 1947.

Installé d'abord dans la région parisienne puis à Paris, Fiorini partage l'amitié de Roger Chastel et de Roger Bissière pour qui il réalise à partir de 1952 des gravures d'interprétation, ainsi que pour Jean Bertholle, Mark Tobey, Maria Elena Vieira da Silva, Jacques Villon. En 1953 il illustre La Rose de Vérone, poème de Jean Lescure dont le texte est repris dans Treize poèmes. D'après les gouaches de Bissière il grave en 1954 les images et le texte du Cantique au soleil de saint François d'Assise dont il tire lui-même toutes les épreuves. Pour Jacques Villon il grave les illustrations de Laus Veneris de Swinburne en 1956, de Dents de lait, dents de loup de Henri Pichette en 1959, d’Ajournement d'André du Bouchet en 1960.

Participant au Salon des Réalités Nouvelles à partir de 1948, au Salon de Mai et aux expositions de la Jeune gravure contemporaine, Fiorini reçoit pour sa peinture en 1952 le prix Félix Fénéon, en 1954 le prix du Dôme, en 1955 le prix de la Biennale de Menton et pour ses gravures un Prix à la Biennale de São Paulo. Il expose régulièrement à la galerie Jeanne Bucher de 1953 à 1970 ainsi qu'en Suisse et en Allemagne, et participe à de nombreuses expositions collectives en Europe, aux États-Unis, au Japon et en Amérique latine. L'Œuvre gravée (Nesto Jacometti) édite à partir de 1956 la plupart de ses gravures.

Fiorini a par la suite réalisé des objets de décor en porcelaine pour la Manufacture nationale de Sèvres ainsi qu'une série de douze plaques de cheminée illustrant les signes du Zodiaque pour les Fonderies de Cousances-les-Forges et enseigné la gravure à l'École nationale supérieure des arts décoratifs de Paris, rue d'Ulm.

L'œuvre

L'importance de Marcel Fiorini dans les développements de la gravure dans la seconde moitié du XXe siècle tient aux procédés nouveaux qu'il invente, bois, linoléum ou plâtre en taille douce, et à la richesse d'expression qu'ils permettent.

Les deux formes de la gravure traditionnelle

La plus ancienne façon de graver, utilisée aux premiers temps des « incunables » mais pratiquée depuis l'antiquité pour la décoration des tissus, la réalisation des sceaux ou des jeux de cartes, est la « gravure en relief » ou « taille d'épargne », pratiquée en général sur bois (« xylographie »), qui ouvrit la voie à la gravure des caractères typographiques. Après encrage les « réserves », c'est-à-dire les creux entaillés sur la plaque, laissent apparaître au tirage la blancheur du papier tandis que les aplats, demeurés en relief, des surfaces épargnées et encrées y reportent le noir. Le procédé est simple mais les possibilités de varier les valeurs demeurent quasi inexistantes. La « taille-douce » est la manière d'imprimer qui est propre au procédé contraire de la « gravure en creux », héritée des orfèvres italiens du Quatrocento. Dans cette technique les « tailles », c'est-à-dire les creux entaillés sur la plaque métallique au burin, à la pointe-sèche ou par les procédés de l'eau-forte et de l'aquatinte (par morsure aux acides), retiennent, après l'encrage au tampon et l'essuyage à la mousseline, l'encre que le papier mouillé vient boire, « laminé » sous la très forte pression d'une presse à rouleaux. Dans la tradition comme dans le renouveau de la gravure apparu à partir des années 1930 c'est le métal utilisé en taille-douce qui domine, permettant toutes les subtilités dans l'animation du trait et la variété des valeurs, le travail en relief du bois se trouvant marginalisé.

Xylographie et linogravure en taille-douce

Fiorini, après avoir utilisé l'aquatinte, assez rapidement en couleur, et s'être initié au travail d'imprimeur, le tirage étant pour lui un moment aussi important que la gravure, réalise à partir de 1952 la synthèse nouvelle de l'utilisation du bois (en minces planches de contreplaqué de poirier, chêne, noyer ou okoumé) et de la technique d'impression de la taille douce. À l'inverse de la gravure en relief ce sont des valeurs et non des blancs qui sont creusées dans le bois, absorbant et restituant sur le papier plus ou moins d'encre selon qu'il est plus ou moins verni ou poli. Dans le procédé nouveau qu'il met au point, les combinaisons d'aplats et de creux plus ou moins profonds permettent une très grande variété des transparences et des opacités. Il est par ailleurs possible au graveur de tirer plastiquement parti dans son travail des marbrures et textures des fibres du matériau. « La supériorité du bois se vérifie encore pour la gravure en couleur », analyse Fiorini en 1953 : « il est un support parfait de la couleur. Non seulement sont évitées les réactions chimiques provoquées par tout métal non aciéré, mais le bois permet généralement un ton beaucoup plus pur que le métal. » (cité par Roger Van Gindertael, Fiorini, 1965). Dès cette époque Fiorini non seulement encre ainsi directement ses planches de plusieurs couleurs mais encore adapte sa technique au linoléum (linogravure) qui, par sa souplesse, multiplie les possibilités d'incision et d'expression. Alors que dans ses aquatintes et ses gravures sur bois, généralement verticales, les tracés épurés suggèrent de façon très allusive natures mortes et figures humaines, l'espace horizontal de ses linogravures s'ouvre plutôt sur une large série de paysages non figuratifs.

Fiorini imprimant les pages du livre Un Herbier des dunes (poème de Jean Lescure) à l'atelier Leblanc à Paris en 1963

Un livre entièrement gravé

À partir de 1959 Fiorini étend ses procédés à la réalisation d'un livre entièrement gravé, Un Herbier des dunes, qui représente une synthèse de ses innovations antérieures et est à l'origine de ses recherches ultérieures. Son intention initiale est de « lier ensemble des bois et des linos en creux, imprimés en taille douce, et un texte poétique intégré à la gravure, formant ainsi une suite ininterrompue, une arabesque allant du début à la fin du livre », ce qui suppose « l'impression sur les deux faces de la feuille afin d'éviter la rupture d'une page blanche au dos de la gravure ». Fiorini expose ce projet à son ami le poète Jean Lescure « qui se passionne et immédiatement précise le thème et le lieu : thème, le végétal, de la mer et de la terre, de l'algue à la vigne en passant par les espèces qui à la fois les séparent et les réunissent », écrit Fiorini dans la notice accompagnant la présentation du livre. Au long de deux étés à l'Île de Ré se forment en même temps « les mots et les images ». En 1962 Fiorini grave ainsi 20 planches, c'est-à-dire 40 pages qui intègrent les vers du poème de Jean Lescure dans leur composition plastique où s'inscrivent à la fois les libres réminiscences des formes ou des matières du végétal et des éléments non figuratifs du paysage des rivages. Dans la suite de ses gravures Fiorini introduit de plus une dimension temporelle, le livre se développant dans une progression générale de l'obscur vers les lumières du lever du jour. Il trouve ensuite les moyens d'effectuer pour chaque feuille de papier, en évitant le gaufrage, les quatre passages sous la presse nécessaires à l'impression recto-verso des images (sur planches de linoléum) et du texte (sur planches de cuivre, comportant aussi une partie de la gravure). Le livre, unique dans l'histoire de la gravure, est exposé par la galerie Jeanne Bucher en 1964 et le poème sera repris dans le recueil Drailles en 1968. Parallèlement à sa longue réalisation les séjours de Fiorini à l'Île de Ré sont à l'origine d'une suite majeure de planches (notamment Varech, Algues, Les Salines, Le Marais, Nacre, La Plage, La Dune aux vignes) autour des mêmes thèmes « atlantiques ».

Gypsographie en taille-douce

Au-delà du bois et du linoleum Fiorini utilise à partir de 1963 le plâtre, en le rendant moins brisant par l'adjonction de colles plastiques (vinyl, polyester) qui lui donnent une certaine élasticité et en permettent tous les maniements possibles. « La richesse d'utilisation d'un tel matériau, qui peut se maçonner, se couler, se mouler ou s'estamper lorsqu'il est encore frais, et se creuser, se gratter, se tailler, lorsqu'il est dur, n'est limitée que par les seules exigences de l'impression en taille-douce », note-t-il. À cette richesse du plâtre, susceptible de toutes les déterminations formelles, s'ajoute une immédiateté inédite de l'expression en laquelle se trouve supprimé tout temps d'exécution ou tout intermédiaire. C'est principalement dans ce procédé (« gypsographie en taille-douce ») que Fiorini réalisera ses gravures ultérieures. En 1964 il reprend son intention d'introduire la durée dans son album Les Saisons qu'il réalise à partir d'une seule planche gravée sur linoléum avec des superstructures de plâtre, imprimée huit fois différemment, la diversité des couleurs recréant pour chacun des temps de l'année une lumière du matin et une autre du soir.

Gravures panoramiques

Dans ses Gravures pour les heures, exposées à la galerie Jeanne Bucher en 1965, Fiorini poursuit d'une autre façon son projet d'intégrer dans ses œuvres la temporalité. Ces onze gravures, huit horizontales en forme de « makémono » et trois verticales en forme de « kakémono », ont pour la plupart plus de deux mètres, et jamais l'histoire de la gravure n'a connu d'estampes de dimensions aussi exceptionnelles, qui « n'étaient, en vérité, pas praticables si, encore une fois, Fiorini n'avait imaginé et réalisé des procédés permettant de dépasser les normes, aussi bien dans les formats de papier que pour le passage sous presse », souligne Roger Van Gindertael (Fiorini, 1965). Dans la distance propre à la gravure, qui attire à soi le regard jusque dans le détail de sa matière, il faut pour percevoir ces œuvres les parcourir dans la durée et non d'un seul regard. C'est ainsi une sorte de voyage visuel parmi des paysages non figuratifs qu'elles proposent, Fiorini abordant au-delà l'ensemble des thèmes que la dimension temporelle lui permet de suggérer, depuis un hommage à La Vague d'Hokusai jusqu'aux cortèges allusifs du Roi René ou des Gens du voyage. Comme dans son album antérieur, Fiorini présente plusieurs de ses planches selon des tirages différents qui évoquent les gammes essentielles de la lumière au long du jour et de l'année, certaines d'entre elles en recréant d'un bord à l'autre la succession par d'insensibles passages.

Gravures pour le mur

Le caractère monumental de cette suite se trouve accentué dans les onze Gravures pour le mur, six gravées par Fiorini et cinq par Louttre.B, que les deux peintres-graveurs réalisent et présentent en 1970 à la galerie Jeanne Bucher. « Il est simple de faire des gravures de deux mètres sur trois. Aucune difficulté, si ce n'est que rien n'existe à ces dimensions : ni matériel, ni matériaux. Pourtant, par l'ampleur de son travail et par la richesse de sa matière, le bois gravé en creux appelle le mur. » écrivent-ils alors, résumant comment il leur avait nécessaire de réaliser pour le tirage une presse suffisamment large et de mettre au point des feuilles de papier aux dimensions nécessaires. « Ce sont là gravures monumentales, pour la première fois aux dimensions d'une tapisserie. (…) Le langage même de la gravure reçoit une extension, connaît une libération décisive. Où la peinture va, la gravure peut aller : elle n'est pas réduite à ce que, dans des dimensions modestes, le noir et le blanc peuvent saisir. La gravure peut dire tout ce que dit la peinture, si elle dit autrement. » analyse dans sa préface Gaétan Picon.

À travers son utilisation de nouveaux matériaux et ses développement dans le champ mural l'œuvre de Fiorini apparaît ainsi, auprès de celles de Jean Fautrier ou Raoul Ubac, Johnny Friedlaender, Stanley Hayter, Henri-Georges Adam, Roger Vieillard ou Pierre Courtin, parmi les plus significatives de la mutation qui a libéré la gravure de toute subordination au dessin ou à la peinture et, l'ayant engagée dans la reconnaissance de ses moyens spécifiques, a assuré l'entière l'autonomie de son expression.

Jugements

« Si un grand nombre d'artistes font, aujourd'hui, de la gravure, plutôt accessoirement et avec plus ou moins de réussite, très peu d'entre eux méritent vraiment le nom de graveur. Marcel Fiorini, lui, sur le plan esthétique comme dans le domaine de la technique, est un des rares maîtres graveurs de la nouvelle École française. (…) C'est une volonté d'expression personnelle dans l'ordre des préoccupations esthétiques les plus actuelles qui a précisément orienté toutes ses recherches et provoqué toutes ses innovations matérielles. »

Roger Van Gindertael, Fiorini, Gravures pour les heures, galerie Jeanne Bucher, Paris, 1965.

« Fiorini, en effet, n'est pas seulement un graveur, il est aussi un peintre de qualité et pour lui les deux modes d'expression sont indissolublement liés. Ils retentissement constamment l'un sur l'autre. De là le caractère si personnel de cette œuvre gravée où les moyens orthodoxes ne sont pas toujours respectés, où l'invention et la liberté règnent constamment, où les moyens nouveaux comme l'attaque en creux de la plaque de bois donnent des résultats inattendus. »

Roger Bissière, Fiorini (1961), dans T'en fais pas la Marie, Écrits sur la peinture 1945-1954, Éditions Le temps qu'il fait, Cognac, 1994.

Bibliographie sélective

Signature de Fiorini

Ouvrage utilisé pour la rédaction de l'article : sources utilisées pour la rédaction de cet article

  • Roger Van Gindertael, Une nouvelle technique de la gravure sur bois, proposée par Fiorini, dans Actualité Artistique Internationale, Paris, 6 juin 1953.
  • Fiorini, préface de Roger Bissière, galerie Schmücking, Brunswick (Allemagne), 1961.
  • Fiorini, Gravures pour les heures, préface de Roger Van Gindertael, galerie Jeanne Bucher, 1965. Ouvrage utilisé pour la rédaction de l'article
  • Fiorini, University of Kentucky art gallery,[exposition rétrospective] préface de Roger Van Gindertael, États-Unis, 1965.
  • Fiorini / Louttre, Gravures pour le mur, préface de Gaétan Picon, galerie Jeanne Bucher, Paris, 1970. Ouvrage utilisé pour la rédaction de l'article
  • Guy Marester, Fiorini, les pouvoirs de la taille-douce, dans Cimaise, n°113-114 [couverture originale de Fiorini], Paris, septembre-décembre 1973. Ouvrage utilisé pour la rédaction de l'article
  • Lydia Harambourg, Disparition, Marcel Fiorini, dans La Gazette de l'Hôtel Drouot, 7 mars 2008, p. 240.

Lien interne


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Contenu soumis à la licence CC-BY-SA. Source : Article Marcel Fiorini de Wikipédia en français (auteurs)

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