Économétrie

Économétrie

L'économétrie consiste en « l'application des techniques mathématiques et statistiques à l'analyse des phénomènes économiques. Elle a pour but d'établir et de mesurer des corrélations entre les variables économiques» [1].
La démarche dans sa forme la plus évoluée permet aux «économètres» d'analyser et de représenter l'activité économique sous la forme de «modèles».

L'intéret de cette approche étant :

  • de formuler et de décrire les interactions à l'œuvre dans le fonctionnement réel d'une économie
  • d'en simuler ou d'en prévoir l'évolution par le biais de «représentations modélisées» plus ou moins complexes.

Des hypothèses d'évolution sont introduites dans le «modèle», qui fournit en réponse la gamme des résultats attendus et probables.

Sommaire

Histoire de l'économétrie

On considère généralement que l'économétrie naît dans les années 1930 avec la création de la société d'économétrie et de la Cowles commission aux Etats-Unis d'une part et au département d'économie appliquée de l'université de Cambridge au Royaume-Uni d'autre part[2]. Néanmoins, certains auteurs comme Mary Morgan[3] ou Philippe Le Gall[4] se sont attachés à montrer qu'il a existé avant les années 1930 des programmes scientifiques qui se rapprochent de l'économétrie, notamment par la volonté de rapprocher l'économie et les statistiques.

La préhistoire de l'économétrie

En Angleterre, on pense aux travaux de William Stanley Jevons qui a tenté d'unifier l'économie et la statistique[4].

Aux États-Unis, on pense aux travaux d'Henry Ludwell Moore en 1908[4].

En France, Le Gall voit dans les travaux d'Augustin Cournot, de Jean-Edmond Briaune et de Jules Regnault des précurseurs de l'économétrie au XIXe siècle[5]. Ensuite, il considère une seconde génération au début du XXe siècle avec Lucien March, Henry Bunle et Marcel Lenoir[6].

La société d'économétrie et la Cowles Commission

La société d'économétrie est fondée le 29 décembre 1930 à Cleveland[7].

En 1930, Ragnar Frisch et Irving Fisher fondent la Société d'économétrie (Econometric society) dont l'objet essentiel est de « favoriser les études à caractère quantitatif qui tendent à rapprocher le point de vue théorique du point de vue empirique dans l’exploration des problèmes économiques », puis en 1933, Frisch crée la revue Econometrica qui devient le principal véhicule de la pensée économétrique.

Les travaux de la Cowles commission for research in economics (groupe de recherche créé en 1932 à l'université du Colorado, qui s'installe à l'université de Chicago puis à l'université Yale.

On attribue l'origine du terme économétrie à Ragnar Frisch. Dans son éditorial du premier numéro de la revue Econometrica, il définit les objectifs de l'économétrie : « Son principal objectif devrait être de promouvoir les études qui visent à l'unification des approches quantitatives théoriques et empiriques des problèmes économiques et qui sont mues par une pensée constructive et rigoureuse similaire à celle qui domine dans les sciences naturelles. » (Frisch 1933)[8]

En 1935, Jan Tinbergen présente au meeting de la société d'économétrie de Namur un premier modèle économétrique. Il est ensuite embauché par la société des Nations pour tester la pertinence de la théorie du cycle des affaires et publie ses résultats en 1939[9],[7]. John Maynard Keynes s'est vivement opposé à la méthode de Tinbergen[10]

La première avancée importante de l'économétrie provient d'une solution formelle au problème d'identification. On dit qu'un modèle est identifiable si tous ses paramètres peuvent être obtenus à partir de la distribution jointe des variables observables[2].

Les travaux de la Cowles commission portent essentiellement sur l'identification et l'estimation du modèle à équations simultanées[2].

En 1944 Trygve Haavelmo publie un article fondamental dans Econometrica intitulé The Probability Approach in Econometrics dans lequel il défend l'idée que les modèles économiques doivent être probabilistes de manière à pouvoir être cohérents avec les données[11].

La diffusion des travaux de la société d'économétrie en France

Marianne Fischman et Emeric Lendjel ont analysé l'intérêt que portent les membres du groupe X-CRISE à l'économétrie dès les années 1930. Ils partagent en effet avec les membres de la société d'économétrie le souci de comprendre la crise économique. Robert Gibrat constitue avec Georges Guillaume au sein de X-crise un groupe de travail sur l'économétrie. Il propose régulièrement des "Notes sur l'économétrie" permettant au membre d'X-crise de se tenir au courant. François Divisia participe à la société d'économétrie. Toutefois, les auteurs expliquent qu'X-crise a davantage été un lieu de diffusion des travaux économétriques qu'un lieu de recherche[12].

Les débuts de l'économétrie des séries temporelles

Article détaillé : Série temporelle.

Parallèlement aux travaux de la Cowles commission sur les modèles à équations simultanées, les économistes du département d'économie appliquée de l'université de Cambridge fondent l'économétrie des séries temporelles[2].

La critique de Lucas et les développements de la macroéconométrie

Article détaillé : Critique de Lucas.

Les années 1970 consacrent également la remise en cause des modèles macroéconométriques traditionnels. Notamment parce que, suite à leur inefficacité à expliquer et prévoir la stagflation consécutive aux chocs pétroliers, ils seront accusés de ne pas posséder suffisamment de fondations microéconomiques. Lucas montre par exemple dès 1972 le lien entre les anticipations des agents économiques et la variation des coefficients structurels des modèles macroéconométriques. Sa conclusion est alors que toute mesure de politique économique conduit à un changement dans le comportement des agents, et que par conséquent, ces agents sont à même de contrer les politiques gouvernementales en les anticipant. Ce qui réduit considérablement l'intérêt des politiques budgétaires et monétaires.

Le développement de la microéconométrie

Le développement de la puissance de calcul des ordinateurs et de bases de données microéconomiques ont permis le développement de la microéconométrie avec les travaux de James Tobin sur le modèle Tobit, de Mundlak sur les modèles à effets fixes (1961), les travaux de James Heckman sur les modèles de sélection[13], les travaux de Daniel McFadden sur les modèles de choix discret et les travaux de James Heckman et Burton Singer sur les modèles de durée (1984)[14],[2].

L'importance croissante de l'économétrie dans le champs de la science économique

Dans une étude publiée en 2006, les économistes Kim, Morse et Zingales ont classifié les articles publiés dans les principales revues d'économie et ayant reçu un grand nombre de citations selon que leur contribution principale était théorique, empirique ou méthodologique. Au début des années 70, seulement 11 % des articles les plus cités étaient empiriques alors qu'à la fin des années 90, 60 % des articles les plus cités sont des études empiriques[15]. Cette évolution témoigne d'une transformation profonde de la science économique.

Méthodes de l'économétrie

Méthodologie

L'approche structurelle et l'approche en forme réduite

On oppose souvent l' approche structurelle à l' approche en forme réduite. Dans la première, l'économètre part d'un modèle économique formel et cherche à identifier et estimer les paramètres du modèle. Par exemple, dans un modèle de demande, il s'agit souvent d'identifier les paramètres de la fonction d'utilité du consommateur ou dans un modèle d'offre d'identifier les paramètres de la fonction de production. Par opposition à l'approche structurelle, on parle d'approche en forme réduite lorsqu'au lieu d'estimer toutes les équations d'un modèle, l'économètre estime un modèle simplifié[16].

L'évaluation des politiques publiques

Parmi les approches non-structurelles, un programme de recherche s'est développé autour de l'évaluation des politiques publiques. Dans ce programme de recherche, on considère en réalité un modèle économique très simple dans lequel on définit pour chaque individu deux variables d'intérêt, l'une qui correspond au cas où l'individu ne reçoit pas le traitement (ie la politique que l'on souhaite évaluer) et l'autre qui correspond au cas où l'individu reçoit ce traitement. Pour chaque individu, l'une des deux variables est observée et l'autre est contrefactuelle. On attribue généralement ce modèle à Donald Rubin et Jerzy Neyman. Dans ce programme de recherche, on cherche soit à organiser des expériences aléatoires à grande échelle pour évaluer l'effet du traitement, soit à trouver des situations quasi-expérimentales permettant d'évaluer l'effet du traitement de manière convaincante[17].

Bien que les deux approches puissent être considérées comme complémentaires, il existe aussi des polémiques entre les tenants d'un programme d'économétrie structurelle au sens fort et les défenseurs des méthodes quasi-expérimentales. Par exemple en 2010 dans le Journal of Economic Perspectives, les économètres Joshua Angrist et Jörn-Stephen Pischke défendent l'idée que l'économétrie est devenue crédible grâce au développement des méthodes quasi-expérimentales[17]. A l'inverse, Michael Keane défend l'ambition du programme structurel et l'idée qu'il est nécessaire d'avoir un modèle économique pour interpréter les paramètres estimés et faire des analyses ex ante des politiques publiques[18].

Prix Nobel d'économie

Le Prix de la Banque de Suède en sciences économiques en mémoire d'Alfred Nobel (« prix Nobel » d'économie) a été décerné à plusieurs reprises pour des travaux économétriques:

  • Jan Tinbergen et Ragnar Frisch ont reçu le premier « prix Nobel » d'économie décerné en 1969 (macroéconométrie).
  • Lawrence Klein a reçu le prix en 1980.
  • Trygve Haavelmo récompensé en 1989, a contribué à l'économétrie à travers l'article « The Probability Approach in Econometrics » (L'approche probabiliste en économétrie) publié en 1944 dans la revue Econometrica.
  • Daniel McFadden et James Heckman partagent le prix en 2000 pour leurs travaux en microéconométrie.
  • Robert Engle et Clive Granger ont reçu le prix en 2003 pour leurs analyses économiques des séries temporelles. Engle est un pionner de la méthode ARCH et Granger a développé la méthode de cointégration.
  • Christopher A. Sims a reçu le prix en 2011 pour ses travaux sur la causalité en macroéconométrie et le développement des méthodes VAR.

Voir aussi

Liens internes

Liens externes

Articles fondamentaux

Manuels et introductions

Sources

Notes et références

  1. Dictionnaire d'Économie et Sciences Sociales , Nathan Paris 1993
  2. a, b, c, d et e (en) John Geweke, Joel Horowitz et Hashem Pasaran, « Econometrics: A Bird’s Eye View », dans CESifo Working Paper Series, no 1870, 2006 [texte intégral (page consultée le 09/06/2011)] 
  3. Morgan 1990
  4. a, b et c Le Gall 2006, p. 2
  5. Le Gall 2006, p. 8
  6. Le Gall 2006, p. 17
  7. a et b Michel Armatte, « Le statut changeant de la corrélation en économétrie (1910-1944) », dans Revue économique, vol. 52, no 3, 2001, p. 617-631 [[www.cairn.info/revue-economique-2001-3-page-617.htm texte intégral] (page consultée le 9/9/2011)] 
  8. « Its main object shall be to promote studies that aim at a unification of the theoritical quantitative and the empirical quantitative approach to economic problem and that are penetrated by constructive and rigourous thinking similar to that which has come to dominate in the natural science. » (Frisch 1933)
  9. Jan Tinbergen, Vérification statistique des théories des cycles économiques ; vol. I : Une méthode et son application au mouvement des investissements, 178 p.; vol. II : Les cycles économiques aux Étas-Unis d’Amérique de 1919 à 1932, Genève, Société des Nations, , 1939 267 p.
  10. John Maynard Keynes, « Professor Tinbergen’s Method », Economic Journal, 1939, 49, p. 558-568.
  11. Haavelmo 1944
  12. Marianne Fischman et Emeric Lendjel, « La contribution d’X-Crise à l’émergence de l’économétrie en France dans les années trente », Revue européenne des sciences sociales, XXXVIII-118 | 2000, mis en ligne le 17 décembre 2009, consulté le 28 juin 2011, lire en ligne.
  13. (en) James Heckman, « Sample Selection Bias as a Specification Error », dans Econometrica, 1979, p. 153-161 
  14. (en) James Heckman et Burton Singer, « A Method for Minimizing the Impact of Distributional Assumptions in Econometric Models for Duration Data », dans Econometrica, 1984, p. 271-320 
  15. (en) E. Han Kim, Adair Morse et Luigi Zingales, « What Has Mattered to Economics since 1970 », dans The Journal of Economic Perspectives, vol. 20, no 4, 2006, p. 189-202 [texte intégral (page consultée le 9/9/2011)] 
  16. Cameron et Trivedi 2005, p. 7
  17. a et b (en) Joshua Angrist et Jörn-Stephen Pischke, « The Credibility Revolution in Empirical Economics: How Better Research Design Is Taking the Con out of Econometrics », dans The Journal of Economic Perspectives, vol. 24, no 2, Spring 2010, p. 3-30 
  18. (en) Michael Keane, « A Structural Perspective on the Experimentalist School », dans The Journal of Economic Perspectives, vol. 24, no 2, Spring 2010, p. 47-58 


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Contenu soumis à la licence CC-BY-SA. Source : Article Économétrie de Wikipédia en français (auteurs)

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